Une grande voix s'est éteinte il y a 120 ans, celle de Monseigneur Freppel (30/09/2011)

A Obernai, en Alsace, une exposition commémore le 120ème anniversaire du décès de Mgr Freppel. Un nom qui ne dit peut-être plus grand chose à la plupart des gens mais qui fut celui d'un grand évêque peu enclin à manier la langue de buis. A travers sa dénonciation de la "Révolution française", on découvre un diagnostic clair de tous les maux qui nous accablent aujourd'hui et qui mérite d'être médité.

Dans sa "Révolution française, à propos du centenaire de 1789", il voit dans cet évènement, non une péripétie de l'histoire, mais une vraie doctrine qui ne concerne pas la seule France mais la civilisation toute entière:

« ...la Révolution française (...) est une doctrine, ou, si l'on aime mieux, un ensemble de doctrines, en matière religieuse, philosophique, politique et sociale. Voilà ce qui lui donne sa véritable portée ; et c'est à ces divers points de vue qu'il convient de se placer, pour la juger en elle-même et dans son influence sur les destinées de la nation française, comme aussi sur la marche générale de la civilisation. » (...)

« Une nation, rompant brusquement avec tout son passé, faisant, à un moment donné, table rase de son gouvernement, de ses lois, de ses institutions, pour rebâtir à neuf l'édifice social, depuis la base jusqu'au sommet, sans tenir compte d'aucun droit ni d'aucune tradition ; une nation réputée la première de toutes, et venant déclarer à la face du monde entier qu'elle a fait fausse route depuis douze siècles, qu'elle s'est trompée constamment sur son génie, sur sa mission, sur ses devoirs, qu'il n'y a rien de juste ni de légitime dans ce qui a fait sa grandeur et sa gloire, que tout est à recommencer et qu'elle n'aura ni trêve ni repos tant qu'il restera debout un vestige de son histoire : non, jamais spectacle aussi étrange ne s'était offert aux regards des hommes. » (...)

La Révolution française est « une doctrine radicale, une doctrine qui est l'antithèse absolue du christianisme, de là sa fausseté manifeste, comme aussi l'importance de son rôle et de son action dans l'histoire du genre humain. »

« La Révolution française, écrit Mgr Freppel, est l'application du rationalisme à l'ordre civil, politique et social : voilà son caractère doctrinal, le trait qui la distingue de tous les autres changements survenus dans l'histoire des États. Ce serait s'arrêter à la surface des choses, que d'y voir une simple question de dynastie, ou de forme de gouvernement, de droits à étendre ou à restreindre pour telle ou telle catégorie de citoyens. »

Il ne s'agit pas d'une simple « attaque visant à la destruction de l'Église catholique ». La Révolution veut « dans son principe comme son but, l'élimination du christianisme tout entier, de la révélation divine et de l'ordre surnaturel, pour s'en tenir uniquement à ce que ses théoriciens appellent les données de la nature et de la raison. Lisez la Déclaration des droits de l'homme, on dirait que pour cette nation chrétienne depuis quatorze siècles, le christianisme n'a jamais existé ou qu'il n'y a pas lieu d'en tenir le moindre compte. »

« C'est le règne social de Jésus-Christ qu'il s'agit de détruire et d'effacer jusqu'au moindre vestige. La Révolution, c'est la société déchristianisée ; c'est le Christ refoulé au fond de la conscience individuelle, banni de tout ce qui est public, de tout ce qui est social ; banni de l'État, qui ne cherche plus dans son autorité la consécration de la sienne propre ; banni des lois, dont sa loi n'est plus la règle souveraine ; banni de la famille, constituée en dehors de sa bénédiction ; banni de l'école, où son enseignement n'est plus l'âme de l'éducation ; banni de la science, où il n'obtient plus pour tout hommage qu'une sorte de neutralité non moins injurieuse que la contradiction ; banni de partout, si ce n'est peut-être d'un coin de l'âme où l'on consent à lui laisser un reste de domination. (...) »

"Ce n'est plus en Dieu que l'on cherche le principe et la source de l'autorité, mais dans l'homme, et dans l'homme seul. La loi n'est plus que l'expression de la volonté générale, d'une collectivité d'hommes qui décident en dernier ressort et sans recours possible à aucune autre autorité, de ce qui est juste ou injuste. Tout est livré à l'arbitraire et au caprice d'une majorité. (...) Peu importe, par conséquent, qu'on laisse le nom de l'Être suprême au frontispice de l'œuvre comme un décor ou un trompe-l'œil ; en réalité, l'homme a pris la place de Dieu, et la conséquence logique de tout le système est l'athéisme politique et social. (...)

« C'est le triste spectacle que nous avons sous les yeux ; et, pour en être surpris, il faudrait ne pas se rendre un compte exact de ce qu'il y a au fond du mouvement révolutionnaire de 1789. Car, on voudra bien le remarquer, c'est ni dans les excès ni dans les crimes de 1793 que nous cherchons le caractère doctrinal de la Révolution française. Ce n'est pas en 1793 mais bien en 1789 que la France a reçu la blessure profonde dont elle souffre depuis lors, et qui pourra causer sa mort si une réaction forte et vigoureuse ne parvient pas à la ramener dans les voies d'une guérison complète. C'est en 1789 qu'en renonçant à la notion de peuple chrétien pour appliquer à l'ordre social le rationalisme déiste ou athée, ses représentants ont donné au monde le lamentable spectacle d'une apostasie nationale jusqu'alors sans exemple dans les pays catholiques. C'est en 1789 qu'a été accompli, dans l'ordre social, un véritable déicide, analogue à celui qu'avait commis sur la personne de l'Homme-Dieu, dix-sept siècles auparavant, le peuple juif, dont la mission historique offre plus d'un trait de ressemblance avec celle du peuple français. À cent ans de distance le cri " écrasons l'infâme " [Voltaire] a trouvé son écho dans cet autre cri, expression plus dissimulée, mais non moins fidèle de la même idée : " le cléricalisme, voilà l'ennemi ! " [Gambetta] »

Mgr Freppel étudie ensuite le retentissement de la Révolution de 1789 sur l'Europe entière. « Il n'y a rien de moins français, écrit-il, que la Révolution française, et, la meilleure preuve de ce que j'avance, c'est qu'elle-même a l'ambition d'être tout autre chose. Ce n'est pas à la France qu'elle s'adresse, mais au genre humain tout entier ; elle déclare les Droits de l'Homme, et non pas ceux du citoyen français ; elle aspire au rôle de messie politique. »

« La Révolution a poussé la centralisation des pouvoirs à ses dernières limites. Son œuvre fut de faire revivre la théorie païenne de l'omnipotence de l'État incarné dans une majorité numérique au mépris de toutes libertés provinciales ou municipales. Entre l'État et l'individu, elle ne conçoit ni corps autonomes, ni organismes intermédiaires, ni associations indépendantes : tout cela l'offusque, la gêne, la contrarie dans ses tendances absolutistes. (...)

« Il serait facile de parcourir, de haut en bas, toute l'échelle sociale, telle qu'elle a été construite par la Révolution française, pour montrer qu'il n'y a de vraie liberté à aucun de ses degrés. 1789 a fait litière de toutes les libertés locales, pour concentrer dans les mains de l'État le pouvoir le plus absolu qu'il soit possible d'imaginer dans un pays civilisé. On a calculé que la Constituante avait confectionné, en deux ans, 2557 lois ; la Législative, en un an, 1712 ; et la Convention, en trois ans, 11 210. Jamais spectacle plus bizarre n'avait été donné au monde. On eût dit que la France ne faisait que de naître, et qu'il fallait la traiter comme une horde de sauvages arrivant à l'état social." (...)

« Lorsqu'on parle de liberté religieuse à propos de la Révolution française, il se présente immédiatement à l'esprit des noms et des souvenirs tels que toute discussion sur ce point devient superflue. Tout un clergé massacré, ou déporté, ou dispersé dans l'Europe entière, pour avoir refusé de prêter serment à une Constitution hérétique et schismatique, produit naturel de ce despotisme d'État dont je parlais tout à l'heure, voilà comment la liberté religieuse est née du mouvement révolutionnaire de 1789. Car il ne faut pas perdre de vue que, si ces épouvantables forfaits ont été commis en 1793 et après, c'est dans l'assemblée de 1789 qu'on avait élaboré la Constitution civile du clergé, cette mainmise absolue de l'État sur les consciences, ce mouvement insigne du despotisme antireligieux. L'oppression des catholiques, par des actes de violence ou par la voie légale, a été, dès le premier moment, comme elle est restée depuis lors, l'une des marques distinctives de la Révolution française. »

« L'un des péchés capitaux de la Révolution française, c'est d'avoir voulu légiférer pour un être abstrait, séparé de tout milieu et de toute qualité qui pourraient en faire autre chose qu'un homme purement et simplement. Et parce que cet être de raison n'a jamais existé et ne saurait exister nulle part, tout ce qu'elle a formulé à cet égard est faux et chimérique. (...)

« Pour la première fois depuis qu'il y a des écoles au monde, on vit se produire en 1789 un système d'éducation indépendant et exclusif de toute idée religieuse. Il est à croire que les tenants de la pédagogie révolutionnaire, ceux d'aujourd'hui comme leurs devanciers, n'ont jamais mis la main à l'œuvre si difficile de l'éducation. Autrement il serait impossible de comprendre qu'à l'aide d'un simple manuel civique, sans chercher un point d'appui en Dieu, et rejetant tout mobile supérieur à la volonté de l'homme, ils aient pu se flatter de vaincre les résistances que rencontre la vertu dans le cœur de l'enfant. L'expérience n'a cessé de démontrer qu'en dehors de l'action religieuse sur l'enfance, il n'y a jamais eu qu'impuissance et déception. " Quiconque n'aime pas Dieu, écrivait Bossuet, quoi qu'il dise et quoi qu'il promette, n'aimera jamais que lui-même. " »

« L'État enseignant ! À moins que nous ne soyons fatalement voués au plus effrayant et au plus absurde de tous les despotismes, j'espère bien que, dans cent ans d'ici, on ne comprendra plus qu'une pareille erreur ait pu s'emparer de l'esprit d'un peuple [Hélas ! ]. (...) La fonction éducatrice n'entre nullement dans l'idée d'État, qui est un pouvoir de gouvernement et non pas un pouvoir d'enseignement. On a beau presser en tous sens les divers pouvoirs qui constituent l'État, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, jamais l'on n'en fera sortir la fonction éducatrice.

« Que l'État exerce à cet égard une mission de surveillance, d'encouragement et de protection, à la bonne heure ; mais vouloir enseigner toute la jeunesse d'un pays, et la jeter dans un seul et même moule, alors que l'on n'a pas et que l'on fait profession de ne pas avoir de doctrine d'État, ni en religion, ni en philosophie, ni en histoire, ni dans tout le reste, c'est le comble de l'absurdité. (...) »

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