Scènes de chasse en Wallonie (22/08/2012)

belgique-dutroux-nonnes.jpgLu sur le site du « Nouvel Observateur »

« En Wallonie profonde, une petite communauté de religieuses a offert une deuxième chance à la complice de Marc Dutroux (le tueur en série pédophile), condamnée à trente ans de prison pour complicité d’enlèvement d’enfants et promise à une libération sous conditions à la fin du mois. Depuis, leur vie est un enfer.

La scène dure sept secondes très exactement. Sept secondes au milieu d’un déluge de vociférations. Le 31 juillet, à 19h30, le JT de la RTBF consacre son édition spéciale à la libération conditionnelle de Michelle Martin, qui vient d’être rendue publique.

L’émoi est énorme. Sur le plateau, un ancien président de tribunal de première Iistance, Christian Panier, tient le rôle du pédagogue venu expliquer la décision du tribunal d’application des peines aux téléspectateurs. Entre deux questions, il glisse :

« Pour ma part, je trouve extrêmement touchant, dans les circonstances actuelles, de voir ces vieilles religieuses prêtes à accueillir madame Martin. »

Sept secondes. Ce fut une des rares, sinon la seule, marque de sympathie à l’égard des onze sœurs clarisses, qui ont plongé la tête la première dans une tourmente médiatico-judiciaire sans fin. Ce dimanche après-midi, une manifestation organisée à Bruxelles par le père d’une victime de Marc Dutroux a encore rassemblé quelque 5000 personnes.

La une de Sud presse du 1er août 2012 

La petite communauté des clarisses de Malonne, qui vit retirée dans la campagne namuroise selon les vœux de contemplation et de pauvreté propres à la congrégation, a été brutalement tirée de son existence discrète : dès le lendemain de l’annonce, Sudpresse, le quotidien le plus lu en Belgique francophone, publie à la une la photo des sœurs, extraite d’un site catholique. Le titre :

« Voici les nouvelles amies de Michelle Martin. »

Pendant des jours, tous les JT se doivent de diffuser leur direct du couvent des clarisses. Tous leurs visiteurs sont filmés, photographiés. Plus personne n’ignore rien de la vie bien ordonnée des clarisses : des horaires de prière à la visite du réfectoire en vidéo, tout y passe.

Et puis les manifestations se succèdent : les comités de citoyens et associations d’aide aux victimes y croisent les sympathisants d’extrême droite et les touristes de l’étrange.

Un planning est nécessaire les jours de grande affluence : jusqu’à trois manifestations par jour. La police locale est sur les genoux, et le maire de Namur chiffre rapidement le coût de cette agitation pour les services de l’ordre, qui s’élève à 42 000 euros en heures supplémentaires. Alors même que Michelle Martin n’est pas encore arrivée.

Des gardes du corps au couvent

La municipalité de Namur évalue le budget de surveillance du couvent, en cas de présence de Michelle Martin, à 300 000 euros par mois. Après l’indispensable petite polémique pour savoir qui, de l’Etat ou de la municipalité, paiera la note, l’autorité locale fait savoir aux sœurs qu’elles devront faire un effort dans l’organisation de leur sécurité. Il ne manquait plus qu’une touche de surréalisme à la belge dans ce dossier : la voici avec la perspective de gardes du corps au couvent.

Bref, les sœurs clarisses découvrent en un instant les réalités du « sacré bordel » que le prêtre Guy Gilbert leur promettait : voyeurisme, vandalisme, corrida médiatique. Mais elles ont au moins appris une chose dans leur couvent : à se taire.

A part un communiqué de presse signé « Sœur Christine, abbesse », aucun contact n’a eu lieu avec le monde extérieur, aucune interview n’a été concédée, aucun détail n’a filtré hors des murs du couvent. Des heures d’émissions, des milliers d’articles, des débats à n’en plus finir, et… deux feuillets A4 pour toute réponse.

Comme le dit pudiquement sœur Christine dans ce communiqué :

« La démarche de répondre à des journalistes ne nous est pas du tout familière. »

On l’aurait deviné sans peine. Elles qui vivent recluses depuis des décennies, imaginaient-elles l’ampleur du tollé à venir ? Apparemment, oui. En tout cas, elles y ont réfléchi. « Longuement », souligne l’abbesse, qui ajoute que ce « n’est pas de l’inconscience » de leur part :

« Nous avons envisagé la répercussion sur l’opinion publique, mais bien plus encore sur les parents des victimes. Mais nous avons pensé que personne n’y gagnerait dans notre société si on laissait la violence répondre à la violence. »

Les prétendues « nouvelles amies de Michelle Martin » prennent néanmoins la peine d’expliquer que cette dernière « ne fera pas partie de [leur] communauté » :

« Ce n’est ni son désir, ni le nôtre. Concrètement, madame Martin aura quelques pièces à sa disposition. Elle pourra cependant être, à certains moments, en contact avec des sœurs. »

L’Eglise embarrassée

L’Eglise belge, elle, se montre plus prolixe, mais à peine. A peine remise des scandales de pédophilie qui l’ont ébranlée, la voilà considérée comme le dernier refuge des tueuses d’enfants. Le primat de Belgique, monseigneur Léonard, se sent alors obligé de préciser que les clarisses ne sont pas placées sous l’autorité d’un évêque et affirme :

« L’accueil que les sœurs pourraient offrir éventuellement à Michelle Martin ne peut porter préjudice au choix, sans équivoque, que les évêques ont fait, dans le dossier des abus d’enfants, d’être du côté des victimes et de leurs proches. »

Lâchées par l’Eglise, les sœurs ? Non, quand même pas. Mises à distance, peut-être, mais l’Eglise ne saurait renier sa tradition d’accueil des libérés probatoires. Tommy Scholtès, porte-parole des évêques de Belgique, prend la défense des clarisses :

« Elles constituaient l’ultime recours. Sans cette main tendue, Michelle Martin aurait été condamnée à une mort civile certaine. »

De fait, le plan précédent de reclassement de Michelle Martin, qui prévoyait son accueil par les sœurs dominicaines de Béthanie en France, avait été anéanti par le refus du gouvernement français. Mais aujourd’hui, plus rien ne peut s’opposer, à part une décision en appel qui serait surprenante, à l’arrivée de Michelle Martin à Malonne, même si un journal néerlandais croit savoir qu’un plan B existe dans un monastère hollandais.

Corrida puissance dix

Après l’arrivée de Martin, les sœurs vivront alors la même corrida, mais puissance dix. Elles devront faire face non plus seulement à des manifestants et des journalistes, mais à tous les « justiciers » du coin.

Et puis un autre combat les attend, qu’elles n’avaient pas prévu. Leurs biens sont déjà menacés de saisie par l’avocat d’une partie civile non indemnisée : selon lui, les menus services rendus par Michelle Martin en échange du gîte et du couvert s’apparentent à… du travail au noir. Son raisonnement est le suivant : si Michelle Martin demeure incapable d’indemniser ses victimes à l’avenir, ce sera en raison d’un défaut de paiement de la part des sœurs. Sollicité sur ce point, l’Auditorat du travail a confirmé que la situation « était troublante ».

Voir ici: Des nonnes accueillent l’ex-femme de Dutroux et scandalisent en Belgique

«  A ouais », chantons avec le petit bitu : « Vola poqwé qu'on-z-èst fir d'èsse Walon! » . Non ce n'est pas la Carmagnole...

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