Ma lettre à Benoît XVI (28/02/2013)

De Jean Mercier, sur son blog “paposcopie”, à son “Cher Benoît XVI” encore pape à Rome pour quelques heures (extraits) : 

“Cher Pape, à l'heure où vous disparaissez de nos yeux, quelques mots, en toute franchise, pour dire mon immense reconnaissance. Et quelques reproches aussi.

(…) Le jour de votre élection, j’avais fait la moue, comme tant d’autres. Je vous ai aimé spontanément quelques jours plus tard lors de votre messe d’installation du 24 avril 2005. Je vous ai aimé lorsque vos paroles ont percé mon coeur. Vous avez repris le “N’ayez pas peur de Jean Paul II” - à vrai dire celui de Jésus - en lui donnant une couleur nouvelle. Voilà ce que vous nous avez dit, ce que j’ai recopié comme un adolescent dans mon carnet intime : “.Celui qui fait entrer le Christ ne perd rien, absolument rien, de ce qui rend la vie libre, belle et grande. N’ayez pas peur du Christ, il n’enlève rien et il donne tout. Celui qui se donne reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ, et vous trouverez la vraie vie.”

Comment, sinon grâce à l’extraordinaire finesse spirituelle qui est la vôtre, psychologique aussi, avez vous pu comprendre le fond de notre problème occidental ? La peur de l’abandon radical... La peur de faire confiance à Dieu, qui est en nous depuis le péché originel, qui explique bien mieux la pénurie de vocations sacerdotales et conjugales que n’importe quel rapport d’expert... Peur que Dieu nous utilise pour nous jeter ensuite comme un kleenex, peur de la Croix, aussi et surtout de nous-mêmes.

J’ai aimé ensuite presque tous vos textes, discours, homélies, vos deux premiers livres sur Jésus lus et relus avec passion, et émerveillement devant tant de profondeur. Je me souviens de mon bonheur en vous entendant dire aux JMJ de Cologne : “Dans les vicissitudes de l'histoire, ce sont les saints, qui ont été les véritables réformateurs. C'est seulement des saints, c'est seulement de Dieu que vient la véritable révolution, le changement décisif du monde. ” . L’autre jour, un évêque français me rappelait cette extraordinaire homélie des JMJ de Cologne, où vous avez parlé de la transformation eucharistique comme d’une sorte de contagion suite à une réaction en chaîne nucléaire. Eblouissant.

J’ai aimé vos images, oui, toutes celles qui animaient vos textes et discours. Vous êtes un tel pédagogue. J’ai aimé que vous nous parliez de l’Eglise comme d’un lieu où nous devons nous supporter les uns les autres, avec cette image maintes fois reprise du filet dans lequel se trouve les bons et les mauvais poissons. Cette vision de l’Eglise où le péché existe, vous l’avez déroulée dès les JMJ de Cologne. Cinq ans avant le tsunami des affaires de pédophilie, lorsque des poissons se sont révélés très pourris et puants... Image à méditer lorsque nous aurions des rêves de pureté pour notre Eglise romaine, lorsque les medias s’acharnent à mettre le projecteur sur les souillures dont vous avez parlé avec tant de courage.

J’ai donc aimé votre "augustinisme", votre vrai faux pessimisme qui consiste à se féliciter, comme Saint Paul et son écharde dans la chair, du péché, parce qu’il est le point d’insertion de l’amour de Dieu. “En définitive, que l'ivraie existe dans l'Eglise est consolant. Ainsi, avec tous nos défauts, nous pouvons néanmoins espérer nous trouver encore à la suite de Jésus, qui a précisément appelé les pécheurs.” Phrase assez scandaleuse en vérité.

J’ai aimé en vous le chantre de la grâce, un Bernanos revenu parmi nous. Je repense à votre discours aux jeunes, à Fribourg en Brisgau : « On pense souvent qu'un saint est seulement celui qui accomplit des actions ascétiques et morales d'un niveau très élevé et que, pour cela, on peut certainement le vénérer, mais jamais l'imiter dans la vie personnelle. Comme cette opinion est erronée et décourageante ! Il n'y a aucun saint, sauf la bienheureuse Vierge Marie, qui n'ait pas connu aussi le péché et qui ne soit jamais tombé. Chers amis, le Christ ne s'intéresse pas au nombre de fois où vous trébuchez dans la vie, mais bien au nombre de fois où vous vous relevez. Il n'exige pas des actions extraordinaires, mais il veut que sa lumière resplendisse en vous. Il ne vous appelle pas parce que vous êtes bons et parfaits, mais parce qu'il est bon et qu'il veut faire de vous ses amis. Oui, vous êtes la lumière du monde parce que Jésus est votre lumière. Vous êtes chrétiens, non parce que vous faîtes des choses particulières et extraordinaires, mais parce que Lui, le Christ, est votre vie. Vous êtes saints parce que sa grâce opère en vous »

J’ai aimé en vous, par conséquent, tout ce que vous avez dit sur la faiblesse humaine, la vôtre et la nôtre qui est transfigurée lorsqu’elle est habitée par le Christ. Dans le livre d’entretiens avec Peter Seewald, Lumière du monde: “Je vois bien que presque tout ce que je dois faire, je ne suis pas capable de le faire. ne serait-ce que pour cette raison, je suis pour ainsi dire forcé de me remettre entre les mains du Seigneur et de Lui dire : Fais le, si Tu le veux”. Boucle bouclée lors de votre dernière audience générale : “Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, les mots qui, ce 19 avril, ont été prononcés dans mon cœur étaient: Seigneur, pourquoi me demande-tu cela, que me demande-tu? C'est un grand poids que tu dépose sur mes épaules. Mais si tu me le demande, à ton ordre et malgré toutes mes faiblesses je jetterai en confiance les filets. Huit ans après, je peux assurer que Seigneur m'a guidé Il m'a été proche et j'ai pu sentir sa présence chaque jour.”  (…)

L’ancien archevêque de Canterbury, George Carey, m’a confié un jour qu’il admirait chez vous cette capacité rare à tenir ensemble l’excellence intellectuelle la plus vive et la piété la plus humble et enfantine. Celle-ci vous a sauvé de l’orgueil intellectuel ou d’une forme de dureté. (…)

(…)  Votre point le plus faible:  Votre difficulté à gouverner, relevée à l’envi depuis des années par les médias, s’est appuyée sur votre manque de discernement des personnes, votre incapacité à vous entourer. Vous qui êtes si intelligent, vous avez parfois choisi des médiocres. Or compte tenu de vos limites (bien compréhensibles, vous êtes un théologien) en matière de gouvernance, et donc de communication - car la communication fait plus que jamais partie de la gouvernance - vous auriez dû pouvoir vous appuyer sur les meilleurs. Certes, vous avez dû faire avec les gens qui étaient à votre disposition. Mais choisir Tarcisio Bertone comme secrétaire d’Etat, c’était comme si la reine d’Angleterre nommait sa femme de chambre la plus efficace à Downing Street. Chaos assuré, ce que nous vîmes effectivement. Ce n’est pas le lieu de faire la liste de toutes les bévues et magouilles de votre bras droit, le scandale Vatileaks nous en a d’ailleurs révélé l’ampleur.

J’ai toujours pensé que la grandeur d’un dirigeant est de savoir s’entourer de gens plus calés, plus doués, plus forts que lui, quitte à se mettre en danger, à se faire voler la vedette. Vous n’avez pas été capable de ça. On me dit : mais le pape était trop vieux, il ne pouvait pas se mettre à faire confiance à quelqu’un qu’il ne connaissait pas... Excuse peu convaincante : vous aviez eu le temps, durant votre carrière de préfet, de repérer les gens valables, non ? Au lieu de la compétence professionnelle, vous avez préféré le confort affectif en "reprenant" Bertone, votre ancien second quand vous étiez préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Je peux comprendre votre choix d'un point de vue psychologique, mais ce fut une erreur politique dont nous n'avons que trop mesuré les conséquences... Un de vos amis va jusqu'à dire: “On touche ici les limites de Joseph Ratzinger, son côté bureaucrate allemand, son besoin d’ordre, de ne pas être mis sous tension”.

Dommage. Mais puisque Dieu sait changer les choses en bien, on peut dire aussi que toutes ces polémiques, ce bruit et cette fureur ont secoué le cocotier. Si on s’est un peu ennuyé pendant les dernières années de Jean Paul II, les vôtres ont été du sport. Je crois fermement que Dieu utilisera le moins bon de ce pontificat pour en faire du meilleur. Et je crois que c'est ce que nous pouvons attendre à l’issue de la fumée blanche.(…)”.

Ici, toute  Ma lettre à Benoît XVI

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