Veille devant le Parlement : le témoignage d'une sentinelle (14/12/2013)

De "Veilleurs debout Belgique sur Facebook" : Voici le témoignage d'une sentinelle qui a accepté de nous livrer la façon dont elle a vécu sa première veille et celles qui ont suivi ! Très belles confidences !

Mardi 26 novembre 2013. Je me rends devant le Parlement pour rejoindre les Sentinelles pour la première fois. Nous sommes à la veille de la première étape du vote de la loi. Je me suis résignée à être une « veilleuse » ; la situation dans mon pays est bien trop grave et je ne suis même plus crédible avec mes excuses pour ne pas rejoindre ces personnes dont le courage force mon admiration. Quelle était mon excuse principale déjà ? «Les veilleurs sont français et sont opposés au mariage homo ». Cette excuse ne vaut rien. Les belges qui sont là se mobilisent contre l’euthanasie des enfants malades de leur pays, rien d’autre. J’en suis la preuve.

En chemin, je pense m’être déjà fait mon idée sur les veilleurs, les veilleurs debout, les sentinelles (qu’importe leur nom, finalement !). Je trouve stupide qu'ils n'avouent pas que leur action est en fait une manifestation comme on les connaît : c’est une action citoyenne qui mobilise et rassemble les personnes opposées à un projet de loi. Elle vise à faire parler d’elle dans les médias et sur les réseaux sociaux, elle cherche à être créative pour faire des « actions chocs », des gestes qui interpellent, des oppositions dans les lieux publics ; l’évocation de la mobilisation dans un article est une victoire, le plus important étant d’avoir bien relayé l’information sur twitter ou sur facebook, surtout via des photos, car elle se met sous les yeux du citoyen et du parlementaire, et de ce fait, fait parler d’elle, se rend visible, témoigne et sensibilise. C’est précisément comme ça que les veilleurs debout ont commencé à se faire connaître et à exister en Belgique. On pourrait donc se dire que les sentinelles, ce n’est jamais que ça ; une « manifestation » comme il y en a d’autres.

En réalité, les sentinelles ne se contentent pas de manifester leur mécontentement. Ils font l’expérience bien plus puissante de vivre un temps intérieur. Un temps avec soi-même tourné vers la société.

Ce 26 novembre précisément, à vingt deux heures, j’ai compris quel était le vrai sens de ma mobilisation. J’étais sortie de ma maison pour veiller. Veiller debout à trois mètres de distance avec les autres sentinelles. Veiller face à un lieu qui est le berceau de toute négociation parlementaire au sujet de l’euthanasie des mineurs. Ce lieu m’interpelle… Comment peuvent bien se voter aussi rapidement des lois qui dépénalisent l’action de poser le geste ultime ?

Je suis sortie de ma maison pour veiller. Veiller dans le silence. Veiller pour intérioriser, pour me questionner, pour faire naître en moi des décisions personnelles, pour prendre un temps d’arrêt dans ma journée, un temps tourné entièrement vers ma préoccupation de la légalisation de l’euthanasie des mineurs. C’est dans cette veille lourdement silencieuse qu’un jeune à côté de moi a mûri le choix de visiter les personnes en fin de vie. Il m’a confié cette décision dans les jours qui ont suivi. 

Pendant ce temps de silence, je pense à toutes les personnes qui seraient venues si elles n’avaient pas été retenues par leur travail, une longue distance à parcourir ou une obligation à remplir. Etrangement, je me sens portée par leur volonté d’être parmi nous.

Nous veillons comme j’ai veillé, des soirs de camp, jusqu’à ce que toutes mes guides soient endormies pour enfin m’assoupir à mon tour.

Je suis sortie de ma maison pour veiller. Veiller personnellement et collectivement. Je suis arrivée et repartie en toute liberté, en toute conscience et dans la sérénité de savoir que d’autres personnes veillent aussi. Car même si ma démarche est personnelle, je sais pertinemment bien que je ne suis pas seule. Je suis en communion avec les autres sans qu’un mot ne soit prononcé. Le geste qui nous unit est cette position déterminée à rester debout et en silence. Nous savons pourquoi nous sommes là, et c’est précisément ce qui compte pour nous.

Je suis citoyenne et j’ai le droit de m’exprimer. C’est pour ça que je suis là. Je ne peux pas tout faire, mais ce que je fais, je le fais pleinement. Ma présence peut être anodine aux yeux de la société et à l’échelle du monde, mais elle ne l’est pas parce qu’elle a toute son importance dans mon cœur. Elle m’est nécessaire. C’est là que je puise des ressources pour passer du temps avec mon ami Henri, handicapé mental profond, mon grand complice lorsque je vais le voir une fois par semaine. C’est là que je rédige dans ma tête toutes mes idées, convictions, réflexions sur ce qui m’entoure. C’est là qu’est ma place au moment où j’y suis. C’est là que je me sens pleinement en union avec toutes les personnes qui, de près ou de loin, se penchent sur la question de l’euthanasie ; elles me ressemblent car comme moi, elles s’indignent face à la souffrance. Si je n’avais pas pris un temps d’arrêt et de réflexion sur l’euthanasie, je n’aurais pas pensé à cette idée. L’idée qu’au centre de tous ces débats sur l’euthanasie, il y a la souffrance, et que c’est bien de cela dont on parle. Ma préoccupation est de voir comment la société veut y répondre. La réponse qui est ici proposée m’indigne encore plus.

Si je suis préoccupée, je me mobilise. Je me manifeste, je sors de ma maison, et je veille.

Une veilleuse parmi d’autres

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