Quel regard sur le monde animal ? (03/05/2014)

Le « chamour » est mort et l’abbé Guillaume de Tanoüarn a béni sa tombe…

10154384_10152429599364813_2385619349017702773_n (1).jpgComment s'appelait-il le chamour? Il n'avait pas de nom. Un nom eût semblé réducteur. Il était "le chat". Parvenu à l'âge vénérable de 19 ans, âge splendide pour un chat, atteint d'un cancer du foie qui l'empêchait même de boire, il s'est éteint sans souffrance sous la seringue du vétérinaire. Ses propriétaires ont tenu à l'enterrer, à côté d'un autre chat, mort dix ans auparavant. J'ai béni la tombe de cette créature de Dieu, d'une simple mais sentie bénédiction. Il suffisait de regarder les deux petits de la maison, quatre et sept ans, leur sérieux, leur gravité, pour comprendre que cette si simple cérémonie était sous le signe de la piété.

Ce court hommage ne relevait absolument pas de je ne sais quel fétichisme animiste. Le chat, réceptacle de tendresse, se charge de toutes les affections dont il est entouré. Il devient quelque chose d'humain, par toutes les caresses dont il a été sujet et objet. Il est un appel à la solidarité avec le monde animal dont nous sommes issus. Une occasion aussi de mesurer l'extraordinaire mystère qui nous a faits "humains". Nous sommes tellement supérieurs aux chats et aux chiens qui partagent souvent notre existence. Et en même temps (il suffit d'écouter un animal ronfler) nous leur sommes tellement proches. Un texte de l'Ecclésiaste dit cela avec force:

"Le sort de l'homme et le sort de la bête sont un sort identique ; comme meurt l'un ainsi meurt l'autre et c'est un même souffle qu'ils ont tous les deux. La supériorité de l'homme sur la bête est nulle, car tout est vanité. Tout s'en va vers un même lieu : tout vient de la poussière, tout s'en retourne à la poussière. Qui sait si le souffle de l'homme monte vers le haut et si le souffle de la bête descend en bas, vers la terre?" (Eccl. 3, 19 sq.)

L'Ecclésiaste semble ici ne pas croire en l'immortalité de l'âme humaine. Cela avait beaucoup marqué Cajétan. On retrouve en tout cas l'anthropologie fondamentale énoncée au Commencement du Livre, en Genèse 2, 7 :

"Yahvé Dieu modela l'homme avec la poussière du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint une âme vivante".

L'homme est cet individu absolument unique fait de poussière et de souffle. Le souffle? C'est l'esprit. La poussière avec le souffle? C'est l'âme, la psyché, avec les tours et les détours, les sinuosités du souffle dans la poussière.

Mais l'animal? N'est-il pas aussi souffle et poussière? C'est en tout cas la question que pose Qohélet. L'animal, comme l'homme, vient de la poussière et retourne à la poussière. Et qui dit que le souffle de l'homme s'élève et s'élèvera au dessus de la poussière? Qui sait si le souffle de l'homme descend en bas comme le souffle de l'animal? On retrouve chez Qohelet le grand existentialisme biblique, sublimé par le Christ : tu es ce que tu fais. Tu deviens ce que tu aimes. "Là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur".

Regarder l'animal en face, c'est accepter de considérer aussi la précarité de notre situation d'animaux plus ou moins raisonnables. Pour prétendre à être vraiment autre chose que l'animal, il faut nous laisser racheter. Nous ne nous sauvons pas nous-mêmes, pas tout seuls. Sans le Christ, qui nous fait vivre, que serions-nous?

Et lorsque l'on a éprouvé cette fraternité par le bas avec l'animal, lorsque l'on a compris que sans le Christ et sans son salut, nous sommes tous des bêtes, juste "des êtres pour la mort" (Heidegger), alors que nous reste-t-il à faire? Il nous faut sauver l'animal. Pourquoi cette oeuvre de Dieu n'aurait-elle pas droit à un salut? Peut-on penser que Dieu fait toutes ces belles choses en vain? Peut-on donner raison à l'Ecclésiaste qui ne voit en toutes choses que "vanité et poursuite du vent"? Chaque animal, chaque végétal, chaque composition de paysage est une pensée de Dieu. En tant que telle, elle ne meurt pas. "Les concepts des créatures sont des concepts de Dieu" dit Cajétan sublimement en jouant sur le sens du génitif. Il avait compris la transcendance analogique du Logos mieux que beaucoup.

Mieux que les cartésiens en tout cas. C'est le délicat Malebranche qui avait compris le problème que pose à la conscience la souffrance animale. Je soulignais tout à l'heure que le Chat a été euthanasié. C'est normal : lui ne peut pas donner un sens à la souffrance, comme d'ailleurs il ne peut donner un sens à sa vie. Seul l'homme cherchant le sens de sa vie, donne un sens à sa souffrance - et cela d'ailleurs qu'il le veuille ou pas, que ce soit pour la révolte ou pour l'amour. Il n'y a pas d'acte humain indifférent. Il n'y a pas de vécu humain sans signification et l'absence revendiquée de signification est encore sans doute la plus terrible des significations.

Malebranche qui avait si bien compris cela, ne pouvait supporter la souffrance animale et, au lieu de remettre les bêtes au Logos commun dans un acte de foi (ce que je tâche de faire ici), il a pensé qu'il valait mieux les exclure de ce logos, en faire de pures mécaniques, incapables de vrais retours sur elles-mêmes. On sait qu'il battait sa chienne, lui le doux, le délicat, en disant : "Ça crie mais ça ne sent pas".

Si l'on est d'accord avec Malebranche, il n'y a pas d'enterrement de chats. Mais alors il faut aller jusqu'au bout et ôter aux bêtes toute forme d'âme. Est-ce bien raisonnable? Ni Aristote ni Leibniz ne l'auraient admis.

Je crois qu'il faut être capable de contempler le Logos, oui, le Verbe de Dieu, indéfiniment participable par ses créatures, qui, chacune, en expriment quelque chose. De la même façon, les hominidés, néanderthaliens et autres, ou les géants dont parle la Bible, ou les extraterrestres putatifs ne sont pas des hommes, ils n'appartiennent pas à l'espèce homo sapiens, mais ils participent à leur façon au Logos divin, dont rien ne vient limiter la fécondité que sa propre volonté et le principe de contradiction.

Comment Malebranche accepte-t-il, lui, d'expulser les animaux du Logos? Il le fait par sensibilité, parce que la souffrance animale, cette souffrance sans signification, cette souffrance qui ne peut jamais devenir un sacrifice, lui est insupportable. En ce domaine comme en d'autres, la raison se contredit elle-même, Malebranche le montre bien : c'est son amour raisonnable pour les animaux qui les lui fait expulser de l'Intelligence universelle, pour qu'ils ne souffrent pas.

Cette question de la souffrance animale requiert non seulement notre raison mais notre foi : dans la foi, nous savons que nous comprendrons un jour le sens de la vie animale et le mode d'immortalité des chats et des chiens.

 Réf. J'ai assisté à l'enterrement d'un chat

C'est toute la création qui sera assumée par les cieux nouveaux et la terre nouvelle, aux temps fixés par Dieu...

JPSC

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