Abbé Grosjean : «Les chrétiens doivent investir la cité » (02/08/2014)

Le grand entretien sur « Figaro-Vox » :

PHO9c6d70f6-197b-11e4-8bee-3fa0b97b13ef-805x453 (1).jpgFigaro Vox: Que vous inspire la situation des Chrétiens d'Orient? Trouvez-vous que les politiques français se mobilisent assez sur le sujet?

Pierre-Hervé Grosjean: La persécution des chrétiens d'Orient, et particulièrement ceux d'Irak, est une tragédie qu'on ne peut ignorer. Le Cardinal Barbarin a posé un geste prophétique et fortement symbolique en se rendant lui-même sur place, à leurs côtés. Le Primat des Gaules rappelle ainsi non seulement la communion spirituelle, mais aussi le lien historique qui existe entre la France et les chrétiens d'Orient. Je me réjouis de voir se mobiliser peu à peu des politiques de tout bord. Mais comme le disait l'un d'eux, les paroles ne suffisent plus, il faut des actes pour sauver ces chrétiens et leur permettre de rester dans leur pays. C'est maintenant au Président de la République de s'engager. Nous savons défendre nos intérêts économiques et stratégiques partout dans le monde, et c'est bien. Mais saurons-nous protéger nos frères persécutés? Leurs regards sont tournés vers la France, protectrice des minorités.

 L'Opinion a titré le 28 Juillet «le lobby catho sur tous les fronts» pour décrire la mobilisation intense des catholiques français au sujet des chrétiens d'Irak. Reconnaissez-vous l'existence de ce lobby catho? Les catholiques français ont-ils aussi tendance à se «communautariser»?

Ce mot lobby n'est pas tout à fait juste, car les catholiques ne défendent pas des intérêts particuliers, mais le bien commun. Ils ont conscience que leur foi les engage à servir la dignité de la personne humaine, à protéger les plus fragiles, du migrant à l'enfant à naître, en passant par le malade en fin de vie, le chômeur ou l'enfant au cœur des débats sur la famille. Les catholiques, loin de tout communautarisme qui les ferait se replier sur eux-mêmes, ont au contraire moins de complexes à assumer ce qu'ils sont et le message qu'ils portent. Ils prennent leur place dans la vie de la cité et dans les débats qui peuvent l'animer. C'est leur droit, et même leur devoir.

Vous animez l'association «Acteurs d'avenir», qui a pour ambition de former des jeunes chrétiens des grandes écoles à une conscience politique, en les faisant notamment rencontrer des «décideurs publics». Quel est l'objectif à long terme? Former des chrétiens politisés qui puissent envahir la cité et se réapproprier le débat public?

L'ambition d'Acteurs d'Avenir est de préparer les décideurs chrétiens de demain. Notre société a besoin dans tous les domaines de décideurs à «forte valeur éthique ajoutée». Avec d'autres prêtres, nous voulons faire prendre conscience à ces jeunes qui ont beaucoup reçu, qu'il leur sera beaucoup demandé. L'Eglise veut les aider à réfléchir au sens qu'ils donnent à leur ambition, à la façon dont ils exerceront leurs futures responsabilités, afin de se mettre au service et de faire grandir ceux qui leur seront confiés. Ces jeunes généreux ont une grande soif de cohérence. Ils ont conscience qu'ils auront à vivre leur vie de façon «engagée» et veulent s'y préparer.

Vous avez été très présent lors des mobilisations contre le mariage pour tous. Diriez-vous que la Manif pour tous a été le grand retour du catholicisme politique en France?

La Manif Pour Tous est un mouvement non partisan et non confessionnel. Son caractère spontané et multiculturel a fait sa force. Il est vrai par contre que ces débats autour de la famille ont été l'occasion pour beaucoup de catholiques de prendre conscience de l'urgence de leur engagement, pour promouvoir et défendre le bien commun véritable. C'est la mission des laïcs.

Ce qui était hier évident pour tous ne l'est plus. Le chrétien ne peut plus se désintéresser de la vie politique de son pays. Les lois viennent fragiliser ou au contraire redire les repères essentiels dont notre société a besoin. Les évènements de 2013 ont été un électrochoc pour beaucoup. Désormais, les catholiques ne veulent plus regarder la partie se jouer sans eux, en restant sur le banc de touche, là où beaucoup se réjouissaient ou essayaient de les cantonner. Unanimement, les évêques les ont encouragés à s'engager, chacun selon ses talents et ses intuitions, dans le domaine culturel, politique, social, économique. Il ne s'agit plus simplement d'être gentiment écoutés, mais de peser.

Le CSA a récemment mis en garde M6 et TF pour avoir diffusé un spot de sensibilisation à la trisomie 21 «Chère future maman», réalisé en partie par la Fondation Lejeune. Que révèle cette décision de la vision que notre société porte sur les plus faibles?

Comme beaucoup, j'ai été profondément choqué et blessé par l'avis du CSA, qui restera une vraie honte pour ceux qui l'ont signé. Montrer le bonheur possible des enfants trisomiques est donc suspect à leurs yeux. Pourquoi? Cela pourrait-il apparaître comme une remise en cause de l'IVG? C'est ce que sous-entend le CSA quand il accuse ce clip de ne pas susciter «une adhésion consensuelle». Comme si tout ce qui passe à la télévision était consensuel! Le CSA ne dit rien des publicités dans lesquelles la femme est ravalée au rang d'objet, mais reproche à des grandes chaînes de montrer des enfants trisomiques heureux, qui veulent rassurer les futures mamans. Il faudrait les cacher? Je pense aux parents de ces enfants, je pense à eux… Que les membres du CSA viennent s'expliquer face à eux, ou reconnaissent leur erreur, s'ils ont encore un peu d'honneur!

Vous avez écrit récemment un livre «Aimer en vérité», sorte de guide pour l'apprentissage d'un amour plus authentique destiné à la jeunesse. Comment est-il possible d'avoir un discours audible sur ce sujet à une époque qui fait de la sexualité débridée un élément constitutif du bonheur individuel?

Les jeunes - chrétiens ou non - que je rencontre lors des conférences que je peux donner dans les lycées en particulier sont certes abreuvés d'images et de conseils techniques sur la sexualité, mais ont soif qu'on leur parle d'autre chose. Ils veulent qu'on leur apprenne à aimer. Qu'on leur transmette un idéal. Qu'on les encourage à ne pas se contenter d'un plaisir facile, mais à se préparer à une joie vraie. En dépit des blessures et des modes du temps, il y a dans le cœur de chacun un grand désir d'aimer en vérité, d'être aimé pour de vrai. Avec bienveillance et exigence, l'Eglise le sait et veut répondre à cette soif.

Vous qui êtes prêtre, à quel titre parlez-vous de ce sujet?

Depuis 2000 ans, l'Eglise accompagne les jeunes qui se préparent au mariage, les couples et les familles. Elle a une véritable expérience, une belle sagesse à transmettre. Le prêtre est à la croisée de multiples confidences. Il a donc une certaine expérience de par son ministère, complémentaire à celle qu'aurait un couple.

On vient chercher auprès de lui une écoute, une aide au discernement. Il est là pour encourager, accompagner, relever, ceux qui veulent avancer sur ce chemin beau mais difficile de l'amour. L'exigence du message de l'Eglise n'est jamais écrasante, elle est au contraire encourageante: l'Eglise croit chacun de nous capable du meilleur, avec l'aide de Dieu, et veut nous y aider.

Les jeunes comprennent bien que ce message profondément positif est une vraie preuve de confiance vis à vis d'eux. Ils veulent construire sur du solide, et sont reconnaissants qu'on les en croie capables, en osant leur proposer un chemin vrai et audacieux. Voilà pourquoi ils accourent écouter le pape à chaque JMJ!

Quel message le célibat des prêtres peut-il convoyer dans notre société saturée de désirs?

Le célibat du prêtre, c'est une chance pour l'Eglise et pour le monde. Le prêtre choisit librement de ne pas s'attacher à une personne en particulier, pour être pleinement donné à Dieu et à tous. La raison d'être de ce célibat, au fond, c'est vous! Comme prêtres, nous donnons non pas un peu de temps, mais toute notre personne, toute notre vie, pour montrer à chacun le prix qu'il a pour Dieu. 

Votre salut vaut bien que nous y consacrions notre vie! Ce célibat n'est pas une frustration, parce qu'il est au service d'un don, librement choisi. Voilà aussi un message pour tous: toute vie est féconde, toute vie est belle, quand elle est donnée, d'une façon ou d'une autre.

Ref. Abbé Grosjean : «Les chrétiens doivent investir la cité »

La Belgique aurait aussi besoin de quelques prêtres de ce format, solides et décomplexés. Il faut dire qu’on ne se pousse guère au portillon des séminaires de nos diocèses, ni d’ailleurs qu’on l’y laisserait facilement entrer, mais ne préjugeons pas... 

L'abbé Pierre-Hervé Grosjean, curé de Saint Cyr l'Ecole, est Secrétaire Général de la Commission «Ethique et Politique» du Diocèse de Versailles. Il a récement publié Aimer en vérité( Artège, 2014). Il est l'un des animateurs du Padreblog. 

JPSC

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