Après le nazisme et le stalinisme, la terrible menace d'un nouveau totalitarisme (27/08/2014)

Sur FigaroVox, le sénateur de Vendée Bruno Retailleau, de retour d'Irak, livre son sentiment (extraits) :

Etat Islamique en Irak, le troisième totalitarisme ?

Les combattants kurdes continuent leur contre-offensive, et reprennent des villes contrôlées par l'Etat Islamique dans le nord de l'Irak. Pour le sénateur Bruno Retailleau, leur combat est cependant perdu d'avance sans une aide internationale immédiate.

FigaroVox: Vous revenez tout juste d'un voyage en Irak. Dans quelles circonstances avez-vous voyagé dans ce pays? Pouvez-vous nous raconter ce que vous y avez-vu?

Bruno RETAILLEAU: J'étais en Irak, et plus précisément à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, à 30 minutes de la ligne de front telle qu'elle est fixée aujourd'hui. J'étais invité à la fois par les patriarches de la ville, et par une ONG, Fraternité en Irak. Pour des raisons de sécurité évidentes, je suis resté à Erbil, où j'ai rencontré les autorités diplomatiques, des dirigeants de la DGSE, et les patriarches, Erbil étant une grande ville catholique et chaldéenne. J'ai également pu visiter des camps de réfugiés, où 3000 personnes vivent, loin de leur foyer.

J'étais le premier parlementaire à y être allé, car je voulais me rendre compte de la réalité de la situation, extrêmement tendue, comme chacun le sait. Une forte communauté chrétienne, historique, y est menacée. Ce que j'ai vu, sur le plan humanitaire, dépasse l'entendement: on est là face à une urgence absolue. L'eau croupit, les gens dorment dans des tentes de fortune, ou entassés dans les églises, les médicaments se font rares, et une tente, divisée en cinq box, tient lieu d'hôpital pour les malades et blessés!

Les guerriers de l'Etat Islamique construisent une stratégie de terreur barbare et efficace : décapitations, éventrations de femmes enceintes, ces méthodes abominables sont utilisées pour terrifier les soldats et civils ennemis, qui fuient en les voyant arriver.

La première urgence est donc d'ordre humanitaire: les camps de réfugiés se sont faits à la va-vite, ne sont pas organisés, et manquent de tout. On parle là de 600 000 déplacés, pour la plupart chrétiens, mais pas seulement: s'y trouvent également des minorités yazidis, par exemple. Là, je n'ai pas vu la communauté international agir dans les proportions adéquates, et les réfugiés sont donc abandonnés, traumatisés par ce qu'ils ont vu et vécu. Ils vivent à présent dans des conditions inhumaines.

Le second point est le Califat. L'Etat Islamique contrôle à présent 1/3 de la Syrie, 1/3 de l'Irak, et efface la frontière entre ces deux Etats. Ce Califat est une instance temporelle, qui a prétention non seulement à diriger les musulmans de la région, mais également à unifier sous sa férule la planète entière! Cet Etat se constitue, selon les témoignages, très rapidement, avec une administration, des écoles coraniques, et des circuits financiers propres. Il est financé par certains pays riches de la péninsule arabique, par l'impôt levé sur les chrétiens, mais également par les razzias qu'il lance: à Mossoul, les combattants de l'EI ont ainsi récupéré 450 000 000 d'euros dans les banques! Aujourd'hui, le Califat dispose de 50 000 hommes en Syrie, ainsi que 10 000 en Irak, des combattants redoutables, qui ne reculent devant rien, et qui profitent de l'équipement américain, abandonné sur place par l'armée irakienne lorsqu'elle fuit devant les troupes de l'Etat Islamique. Ces guerriers construisent également une stratégie de terreur barbare et efficace: décapitations, éventrations de femmes enceintes, ces méthodes abominables sont utilisées pour terrifier les soldats et civils ennemis, qui fuient en les voyant arriver.

Les Peshmergas ne feront pas le poids face à une telle force. Ces combattants sont plutôt habitués aux escarmouches, rapides, tactiques et précises ; ils ont ainsi réussi à stopper la progression de l'Etat Islamique. Toutefois, ils ne sont pas armés pour résister voire repousser la vague islamique. Les frappes américaines, de même, ont été utiles, mais elles ont de moins en moins d'impact. On peut arrêter un raid ponctuel, grâce à elles, mais pas l'avancée de l'Etat Islamique.

Nous avons en face de nous une épuration ethnique et religieuse qui ne reculera devant rien. Chaque jour, la barbarie avance et la civilisation recule. Nous devons donc agir.

La haute-commissaire aux droits humains de l'ONU, Navi Pillay, a accusé les djihadistes de «nettoyage ethnique et religieux». Avez-vous vu sur place des éléments confirmant cette accusation?

Absolument. C'est une évidence. Les premières victimes sont les chrétiens, à Qaraqosh, Mossoul et dans la plaine de Ninive, où leur implantation est très ancienne, antérieure, même, à celle des musulmans. D'autres minorités, dont les Turcomans, Shabaks et Shiites, sont également frappées. En somme, l'Etat Islamique ne tolère rien d'autre qu'un fondamentalisme.

Quelles conclusions tirez-vous de votre déplacement?

Nous ne pouvons pas accepter la construction de ce Califat en Irak, dans l'arc de crise le plus déstabilisé au monde. Al-Qaïda ne disposait jusqu'ici pas des moyens suffisants pour frapper l'Europe, mais imaginez ce que pourrait faire un Etat organisé comme celui-ci! Nous avons en face de nous une épuration ethnique et religieuse qui ne reculera devant rien. Chaque jour, la barbarie avance et la civilisation recule. Nous devons donc agir, et j'inclus dans ce nous l'ONU en son ensemble, pas seulement l'Europe et les Etats-Unis, mais également l'Asie et la Ligue Arabe, par exemple. Pour le moment, l'armée irakienne et les kurdes ont stoppé l'avance, mais sans notre aide, ces combattants ne résisteront pas longtemps à l'avancée des drapeaux noirs islamiques. Nous avons ici affaire au troisième totalitarisme, après l'Allemagne d'Hitler et la Russie stalinienne.

Quand on parle d'épuration ethnique et religieuse, de totalitarisme, il ne s'agit plus d'un problème occidental, mais de l'humanité toute entière.

De plus, je l'ai dit, l'aide humanitaire n'est absolument pas organisée. Il faut que le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l'ONU et que la communauté internationale prennent conscience de la réalité de la situation, et s'occupent de ces persécutés. Laurent Fabius et la France peuvent proposer le droit d'asile aux réfugiés politiques, mais je ne pense pas que ce soit la bonne réponse à cette situation.

Les membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU doivent donc absolument s'entendre pour apporter une réponse à cette grave crise. Le monde entier, et pas seulement l'Occident, ne pourra jamais accepter la présence d'un Etat Islamique fanatique, organisé, au cœur de cet arc de crise du Moyen-Orient. La situation n'a jamais été aussi dangereuse, et seule une action globale, qui s'appuiera sur les forces locales, avec la Ligue Arabe, un mandat de l'ONU, l'aide des Chinois, pourra permettre de lutter contre ces terroristes. Quand on parle d'épuration ethnique et religieuse, de totalitarisme, il ne s'agit plus d'un problème occidental, mais de l'humanité toute entière. (...)

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