Demeurons libres de toute attache afin d'être prêts à partir à chaque instant (21/01/2024)

3e dimanche du Temps Ordinaire

Homélie du Père Joseph-Marie Verlinde fsJ - homelies.fr (Archive 2006)

Les trois lectures de la liturgie de ce jour sont traversées par une urgence : Jonas proclame que Ninive sera détruite si elle ne se convertit pas dans les plus brefs délais. Saint Paul rappelle aux chrétiens de Corinthe que « le temps est limité, car ce monde tel que nous le voyons est en train de passer » ; en d’autres termes : demeurons libres de toute attache afin d’être prêts à partir à chaque instant. Le Psalmiste demande à Dieu de lui « enseigner ses voies, de lui faire connaître sa route, de lui montrer son chemin », témoignant par cette triple insistance qu’il n’attend qu’un signe pour prendre le départ. Le crescendo au fil des lectures culmine dans l’Evangile, aussi est-ce à partir de lui que nous approfondirons cette liturgie de la Parole.

Chaque évangéliste a sa grâce propre, son charisme personnel au service de la rencontre avec le Seigneur. Saint Marc nous transmet le témoignage de l’apôtre Pierre, qui ne nous livre pas de grandes considérations théologiques, mais nous partage le choc existentiel de son cheminement avec celui qui allait devenir son Maître, en attendant qu’il le reconnaisse comme le Christ, puis comme son Sauveur et son Dieu. C’est à ce même itinéraire que nous sommes invités en tant que lecteurs ; aussi resterons-nous tout proches de la parole de l’Evangile, en demandant la grâce de pouvoir faire nous aussi cette même rencontre bouleversante qui change notre vie.

Le Baptiste est arrêté ; il n’est pas prudent de rester en Judée : Jésus rentre dans sa Galilée natale. Il va centrer son activité sur les bords du lac de Génésareth, plus précisément sur la rive nord-ouest. C’est là, dans ce cadre paradisiaque, que commence l’histoire de notre salut. La Galilée des nations est le lieu privilégié de l’activité de Jésus ; il ne la quittera que pour vivre sa Passion à Jérusalem. Puis au matin de Pâques, c’est à nouveau dans cette région ouverte sur le monde, que le Ressuscité donnera rendez-vous à ses disciples (Mc 16, 7).  

L’évangéliste précise d’amblée que la proclamation faite par Jésus est une « Bonne Nouvelle » venant de la part « de Dieu ». Le résumé de sa prédication se résume en deux sentences. La première éveille l’attention : « Les temps (kairos) sont accomplis », c'est-à-dire le temps de l’attente est terminé, le bon moment, l’heureux événement que vous attendiez, est enfin arrivé. « Le Règne de Dieu est tout proche » : voilà le message de grâce que Jésus est venu apporter aux hommes : la Basileia tou Theou s’est approchée de l’humanité. L’accès au Royaume dont l’homme se trouvait exclu par le péché, lui est à nouveau offert. La seconde sentence tire les conséquences de cet événement sous forme de deux verbes actifs, qui représentent le programme à réaliser pour accéder à cette réalité divine : « Convertissez-vous » ; ou encore : « tournez-vous vers la réalité nouvelle qui s’annonce, fût-ce au prix de ruptures avec le monde ancien, voué à disparaître. Et : « croyez à la Bonne Nouvelle » ; s’il s’agit de « croire », c’est donc que la venue du Règne, ne s’impose pas avec l’évidence d’une réalité sensible. Il faudra discerner son avènement aux signes que Jésus en donne, et adhérer à la nouveauté radicale qui s’annonce dans le secret. Ce qui suppose de se tenir à proximité du Maître, de l’écouter, de l’observer, d’épier ses moindres faits et gestes, afin de ne pas gâcher cette occasion unique de réintégrer le dessein de Dieu au-delà de la fracture du péché, qui nous avait aliénés de notre condition filiale. Vu l’importance de l’enjeu, il n’y a pas de temps à perdre, car « il est limité » (2nd lect.).

Aussi, sans transition, Saint Marc nous invite-t-il à emboîter le pas au Rabbi qui commence sa vie itinérante. Sa première initiative consiste à former le noyau du futur groupe de ses disciples. Première surprise : contrairement à la tradition, c’est le Maître qui appelle ses disciples. De plus, il ne les choisit pas dans le cercle des scribes ou autres spécialistes de la Loi qui résident à Jérusalem, mais parmi les pécheurs du lac de Galilée. La sobriété du style du premier Evangile souligne le caractère paradoxal de la situation : un homme passe sur la grève, appelle deux pêcheurs « en train de jeter leurs filets » ; il leur intime brièvement de le suivre, leur faisant une vague promesse dont le lecteur - comme sans doute les pêcheurs - se demande ce qu’elle veut dire. Rien ne nous est dit sur une éventuelle rencontre préalable entre les personnages, ni sur les sentiments des appelés ; nous savons seulement qu’« aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent ». 

Sans doute ce comportement illustre-t-il l’attitude que nous sommes tous appelés à adopter en réponse à l’annonce faite au verset précédent : la conversion ne consiste pas d’abord en œuvres ascétiques, mais dans la promptitude à suivre celui qui chemin faisant, va nous révéler le visage du Père.

Le verset suivant est construit dans un stricte parallélisme à celui que nous venons de lire : Jésus passe, voit deux frères préparant leurs filets pour la pêche, les appelle « aussitôt », et ceux-ci tout comme leurs collègues, « partent derrière lui, laissant dans la barque leur père avec ses ouvriers ».

Qui sont ces hommes ? Nous le découvrirons chemin faisant. Pour le moment nous connaissons déjà leur nom : Simon et son frère André ; Jacques fils de Zébédée et Jean son frère. André sera plus discret dans la suite du récit ; les trois autres constitueront le noyau du groupe des disciples : le Maître leur attribuera un rôle particulier dans la vie et dans la mission du groupe. Mais tous, les Douze et ceux qui tout au long de l’histoire entendront l’appel du Seigneur et lui emboîteront le pas, auront à « se lever et à partir » (1ère lect.) à sa suite. Avons-nous encore une telle disponibilité ? La seconde lecture veut nous aider à répondre à cette question en nous proposant un examen de conscience sur la manière dont nous réagissons aux événements qui nous affectent, sur notre attachement aux biens de ce monde, voire même sur nos relations avec nos proches : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ » (1 Co 3, 22-23).

L’appel des premiers disciples constitue l’action inaugurale du ministère public de Jésus, qui résume toute sa mission : Notre-Seigneur est venu nous appeler à sa suite pour nous arracher à « ce monde qui est en train de passer » (2nd lect.) et conduire nos pas au chemin d’éternité. Le chrétien se définit avant tout comme un disciple du Christ, qui met toute sa vie dans le rayonnement de sa lumière, se nourrissant de son Pain eucharistique, afin de lui être configuré dans une existence semblable à la sienne.

« “Dirige-moi Seigneur, par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse” (Ps 24), et accorde-moi la force d’une sincère conversion. Fais que j’entende ta voix qui m’appelle : “Viens derrière moi ; je ferai de toi un pêcheur d’hommes”. Donne-moi de discerner la présence de ton Règne au milieu de notre monde meurtri par la violence et accablé de tristesse, et fait de moi un artisan de ta paix et un témoin de la joie de ton Esprit.»

Père Joseph-Marie

08:59 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |