"Aimer, c'est tout donner" : un best-seller mondial qui change le regard porté sur les religieux (26/03/2015)

Un livre qui est devenu "le" livre de l'année de la vie consacrée et qui sera diffusé en Belgique dans les prochains jours. Lu sur letemps.ch (Lisbeth Koutchoumoff) :

zoom_Aimer_cest_tout_donner_OK.jpgConçu à Fribourg, «Aimer, c’est tout donner» est devenu, grâce au pape, un best-seller mondial

(Béatrice Devènes)

Déjà traduit en sept langues dont le russe, l’arabe et le chinois, «Aimer, c’est tout donner» réunit des témoignages de religieux et de religieuses de Suisse romande. Rencontre à Fribourg avec les deux concepteurs de ce succès planétaire

Qui aurait pu imaginer qu’un recueil de témoignages de religieuses et de religieux de Suisse romande allait devenir le best-seller mondial de l’année 2015? Traduit en une dizaine de langues, tiré à plusieurs millions d’exemplaires? Aimer, c’est tout donner connaît précisément ce destin. En Suisse romande, les 15 000 exemplaires mis sur le marché le 2 février se sont écoulés en trois semaines. 15 000 exemplaires supplémentaires sont disponibles depuis le 14 mars. 150 000 exemplaires sont tirés pour la France et la Belgique. Les traductions et les éditeurs sont trouvés pour le Canada, les Etats-Unis, l’Amérique latine, la Russie, la Pologne et l’Allemagne. La version chinoise est prête. L’arabe aussi. Et en 2016, "Aimer, c’est tout donner" sera distribué aux participants des Journées mondiales de la jeunesse à Cracovie.

Il faut dire que le livre bénéficie du savoir-faire d’un responsable marketing redoutable: le pape François en personne. Le coup de pouce publicitaire du Vatican oblige les deux concepteurs fribourgeois du projet à s’improviser éditeurs de carrure internationale, rodés aux rouages dumass market. Or, ni Daniel Pittet, bibliothécaire à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, ni Sœur Anne-Véronique Rossi, supérieure générale de la congrégation des Ursulines, n’avaient vu de contrats d’édition de leur vie avant Aimer, c’est tout donner.

Si Daniel Pittet et Anne-Véronique Rossi ne sont pas des pros de l’édition, ils font preuve par ailleurs de compétences hors pair. Car si le pape François s’est engagé à promouvoir le livre au niveau mondial, le Vatican ne verse pas un centime à l’aventure. A charge pour Daniel Pittet et Sœur Anne-Véronique, certes dotés d’un sens de l’humour et d’une foi inébranlables, de trouver les fonds et de relever le défi. Le duo orchestre tout depuis Fribourg: recherche d’argent de Hongkong à New York, principalement auprès de congrégations religieuses et de mécènes, le graphisme, l’impression, les traductions, etc.

Mine de rien, au fil des mois, Aimer, c’est tout donner, conçu, réalisé (photos Jean-Claude Gadmer, graphisme Sophie Toscanelli) et édité entre Fribourg et Saint-Maurice, est en train de changer de par le monde le regard porté sur les religieux. Le petit livre de témoignages simples, ancrés dans le quotidien, rend ces femmes et ces hommes à nouveaux visibles.

Olivier Clément, conseiller à la clientèle, vacille un peu: «Je ne réalise pas encore complètement», glisse-t-il dans un sourire. L’émotion est palpable. En face de lui, Daniel Pittet et Sœur Anne-Véronique Rossi viennent de lui passer commande: un million d’exemplaires pour le marché africain. L’ampleur de la nouvelle exige de s’asseoir. «Nous avons arrêté l’impression de journaux fin 2014 et les médias nous prédisaient un avenir sombre. Et voilà que l’on nous annonce un contrat comme nous n’en avons jamais eu. Si ce n’est pas la Providence, qu’est-ce que c’est?» demande joyeux, Thomas Burri, directeur de l’imprimerie.

Sur la table, quelques exemplaires du livre. En couverture, une mosaïque de visages de religieuses et de religieux aux sourires solaires. Au dos du livre, la photo du pape François plongé dans la lecture d’Aimer, c’est tout donner et visiblement ravi de le faire. «C’est la première fois que le pape fait la promotion d’un livre», précise Daniel Pittet.

Pourquoi le pape argentin a-t-il été séduit par le livre des Romands au point de le vouloir traduit au plus vite dans sept langues? Pour le comprendre, il faut remonter à l’automne 2013. Daniel Pittet, grande armoire à l’humour irrésistible, est un grand résilient. Fils de parents alcooliques, il dit s’en être sorti grâce aux sœurs qui l’ont élevé. Fort d’une expérience éditoriale en 1994 sur les monastères de Suisse romande, il veut cette fois-ci rendre hommage aux religieux de la région.

Mais tout commence mal. La Suisse romande compte 1300 personnes qui se consacrent à la vie religieuse. Daniel Pittet lance un appel aux responsables des communautés religieuses romandes, au nombre de 80 environ. Une dizaine se déplace. Daniel Pittet ne sait pas encore la forme que prendra le livre mais il présente l’idée. Il ne recueille que scepticisme et découragement: «A quoi bon? Nous allons bientôt disparaître! Les gens ne nous comprennent plus.» Dépité, Daniel Pittet décide d’enterrer l’idée.

Entre alors en scène Sœur ­Anne-Véronique Rossi. La religieuse est à la tête des Ursulines depuis 2011. En 2013, pour les 380 ans de présence des religieuses à Fribourg, les archives de la congrégation sont exposées au public. Mais il faut aussi et surtout parler d’aujourd’hui: une brochure réunit les photos et témoignages de chacune des sœurs: «Nous avons l’habitude de nous méfier des mots. «Plutôt faire que dire», disait la fondatrice de l’ordre. J’ai convaincu les sœurs que témoigner sur leur vie de consacrées n’était pas un exercice narcissique mais participait de leur mission apostolique», explique Anne-Véronique Rossi.

Mais comment s’adresser à un public qui ne comprend plus ni le langage ni la mission des religieux? Anne-Véronique Rossi: «A nous de trouver la façon juste pour transmettre l’héritage que nous avons reçu et qui nous fait vivre. Nous ne sommes plus lisibles ni audibles. Il nous faut reverbaliser notre mission de façon à être compréhensibles par quiconque, âgé de 15 à 45 ans et dépourvu d’initiation religieuse.» Au bout de ce travail d’écriture, les témoignages se révèlent directs, simples, partageables.

Face à un Daniel Pittet décidé à laisser tomber son idée de livre, la religieuse propose une collecte de témoignages selon les principes qu’elle vient d’éprouver avec ses sœurs. Avec force pédagogie, elle réunit 250 textes de religieux de toute la Suisse romande. Les sœurs et frères âgés vont à l’essence. Les plus jeunes rédigent d’immenses confessions. Le travail d’édition est colossal. 80 témoignages, de la phrase au petit texte, sont retenus.

Quand un matin, au terme de cette collecte, Daniel Pittet se dit qu’une préface du pape François, frère jésuite, serait du meilleur effet, il contacte un ancien officier de la garde pontificale, le Valaisan Jean-Daniel Pitteloud. Ni une ni deux, le contact est établi avec le secrétaire du pape, Guillermo Karcher. A l’annonce d’un livre de témoignages sur les religieux, celui-ci dresse l’oreille: 2015 est décrétée par le Vatican Année des consacrés et le Saint-Siège n’a pas prévu de publication grand public sur ce thème.

Rendez-vous est pris avec le pape. «Ton titre «La Vie consacrée» n’est pas bon», lance tout de go le souverain pontife qui tutoie tout le monde. «Mais les témoignages sont excellents. Simples, ancrés dans la vie, ils s’adressent à tout le monde», poursuit le pape. «Vous auriez une idée de titre», demande Daniel Pittet? «Aimer, c’est tout donner», répond François du tac au tac. La phrase est de sainte Thérèse de Lisieux. Emballé par le ton du livre, le pape détaille le plan marketing. A l’automne 2015, à l’issue de l’angélus, il brandira le livre sur la place Saint-Pierre. Le livre sera donc «mondiale, mondiale!», insiste-t-il. Mais avec quel argent? risque Daniel Pittet. «Vous priez saint Joseph? Alors tout ira bien.» Traduction: à vous de faire fonctionner le réseau des congrégations et des donateurs du monde entier.

C’était il y a six mois. Depuis, le défaitisme à l’œuvre dans les congrégations a régressé. Anne-Véronique Rossi ne croise pas une sœur ou un frère sans faire un point détaillé sur les ventes et les traductions d’Aimer, c’est tout donner. «Et les laïcs me disent qu’ils y trouvent aussi de l’énergie pour affronter les creux de l’existence.»

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