Le synode sur la famille, l'Irlande et le "mariage" homosexuel (03/06/2015)

Synode sur la Famille, Irlande et « mariage » homosexuel

Dans cet entretien, Mgr Tony Anatrella décrypte les tenants et aboutissants du vote irlandais sur le "mariage" homosexuel, dans le cadre d'une réflexion plus large sur la famille et alors que l'Eglise prépare le deuxième synode sur la famille.

(ZENIT.org) 

 « Accueillir avec bienveillance et sympathie toutes les personnes, ce que font la plupart des prêtres, est une chose ; mais créer des institutions « matrimoniales » en fonction de leur situation particulière en est une autre », explique Monseigneur Anatrella dans cet entretien à propos du récent vote irlandais. Il fait observer que loin d’être « en retard », la position catholique est « prophétique ».

L’Irlande a accepté par référendum le « mariage » entre personnes de même sexe là où il avait été simplement voté par des parlements nationaux souvent dans l’interrogation d’une majorité de la population. Un phénomène nouveau qui manifeste une accoutumance à ce qui est revendiqué depuis quelques années.Monseigneur Tony Anatrella qui étudie depuis des années la question de l’homosexualité et les revendications des groupes militants, répond aux questions de Zenit pour en mesurer les conséquences.

Monseigneur Tony Anatrella, est psychanalyste et spécialiste en psychiatrie sociale, Consulteur du Conseil Pontifical pour la Famille et du Conseil Pontifical pour la Santé, et Expert auprès du Synode sur la Famille en 2014. Il est l’auteur, pour le thème de cette interview, des livres : Le règne de Narcisse – le déni de la différence sexuelle – Éditions Presses de la Renaissance et Mariage en tous genres, Éditions l’Échelle de Jacob.

Zenit – L’Irlande vient d’accepter le mariage entre personnes de même sexe à la suite d’un référendum où 62% des votants ont répondu « oui » ? Est-ce une défaite pour l’Église ?

Monseigneur Tony Anatrella - C’est une défaite pour ce que représente la famille et le sens du mariage qui, lui, exprime l’alliance des sexes ; une institution qui ne concerne pas ceux qui ont un attrait envers les personnes de même sexe. L’alliance se trouve ainsi altérée car le mariage est une institution séculaire créée en extension de la différence sexuelle. C’est un vol des mots et des symboles pour les attribuer à deux semblables qui sont en dehors de la logique de l’alliance conjugale. La « conjugalité » homosexuelle n’existe pas puisque rien ne se conjugue dans ce type de relation qui reste de l’ordre individuel mais ne concerne pas la société. L’homosexualité ne se traite pas au plan social de la même façon qu’elle s’aborde sur le plan individuel dans le sens où elle n’est pas un fondement du lien social. C’est pourquoi nous devrions faire davantage attention au langage que nous utilisons. Il est impertinent de parler de « couple » homosexuel car la notion de couple ne s’applique qu’à un homme et une femme. Les choses doivent être désignées dans ce qu’elles apparaissent en réalité : il est plus juste de parler de « duo » de personnes de même sexe. Malheureusement tout le langage est faussé ce qui empêche d’avoir l’intelligence de la situation.

Accueillir avec bienveillance et sympathie toutes les personnes, ce que font la plupart des prêtres, est une chose ; mais créer des institutions « matrimoniales » en fonction de leur situation particulière en est une autre. Ce que ne considèrent pas de nombreux responsables politiques alors qu’ils sont conditionnés par les mœurs de l’époque sans en voir les enjeux et les mettre en perspective. Nombreux sont ceux qui ont trahi leur pensée à ce sujet et ne savent plus faire les distinctions nécessaires.

Dans ce désaccord profond, la loi civile perd de sa force ?

Mgr T. Anatrella - Sans aucun doute puisque la loi civile se donne le droit de transgresser des invariants culturels. Une attitude qui en dit long sur l’état délétère des démocraties occidentales qui ont, en plus, la prétention de faire la morale au reste du monde en colonisant idéologiquement les esprits à partir d’un changement de paradigme. Faut-il le rappeler : on veut redéfinir le couple, le mariage et la famille à partir des orientations sexuelles (qui ne sont que des désirs) au détriment des deux identités sexuelles de l’homme et de la femme. L’Europe ne perd-t-elle pas son âme en dénaturant le mariage ? La société a, en fait, beaucoup à y perdre et le politique se déconsidère en légiférant sur des mœurs plutôt que de traiter les questions régaliennes. En créant des genres de toutes espèces, nous cultivons la confusion des catégories et des identités au point de brouiller le sens de la loi civile qui devient de moins en moins estimable. De ce fait, le lien social se délie d’année en année comme je l’avais déjà souligné dans mon livre « Non à la société dépressive » (Flammarion). De la dépression nous en venons au suicide collectif dont les symptômes sont, entre autres, les meurtres collectifs !

De nombreux médias ont utilisé un discours maniaco-euphorique pour annoncer que l’Irlande « catholique » acceptait par référendum de marier des personnes de même sexe. Une façon de faire croire que le pays se libère de la tutelle de l’Église alors que celle-ci ne fait que dire le réel à partir duquel le mariage est raisonnablement possible.

Cela pose deux questions. L’une pour les partisans : peut-on légiférer sur le mariage de façon aussi sentimentale, dans une sorte de délire sur la sexualité quand on s’imagine que tous les fantasmes sont réalisables ? L’autre pour les opposants : doivent-ils s’excuser de rappeler que le mariage ne concerne qu’une union mixte tout en affirmant que des personnes homosexuelles peuvent être de bons parents ? La question se pose-t-elle en termes aussi contradictoires et dans l’injonction paradoxale ? La réalité est tout autre : l’enfant, pour son éducation, n’a-t-il pas besoin d’un homme et d’une femme, d’un père et d’une mère qui sont les seuls capables de lui transmettre les caractéristiques nécessaires pour son développement psychologique ? Dans l’avenir, ce type de loi ne peut être que remis en question. Il ne s’agit nullement ni d’une générosité audacieuse de la société, ni d’un progrès de la civilisation, mais d’une régression affective qui atteint le lien social.

L’Église n’apparait-elle pas en retard au point de devenir un objet de contestation ?

Mgr T. Anatrella - En retard ? Non ! Elle reste prophétique. Mais dans ce climat, l’Église est vivement critiquée car elle reste l’une des seules institutions qui reconnaisse la différence sexuelle comme l’un des principes majeurs de l’organisation de la société. Faut-il le rappeler : le mariage est une institution qui est née du constat réaliste de l’existence de l’homme et de la femme. Il a pour but d’organiser juridiquement leur relation autour d’une alliance qui les unit, les lie et offre un cadre sécurisant pour l’appel à la vie de leurs enfants, et assure ainsi la succession des générations lisible dans l’histoire. Le « mariage » entre personnes de même sexe, qui ne recouvre aucune nécessité sociale, met en question la différence sexuelle et du trouble dans la filiation. De sorte que la société inscrit ainsi dans son code civil une loi contradictoire qui se retournera contre elle puisqu’une loi fondée sur une contradiction façonne de la pathologie sociale et de la perversion. Dire une chose et son contraire rend la société folle sur le long terme. Cette loi est l’expression d’un mépris de ce qui fonde l’humanité.

C’est pourquoi, si défaite il y a, c’est surtout une défaite pour la société et non pas pour l’Église. Celle-ci n’est ni dans un rapport de force, ni dans une recherche de pouvoir, ni dans une volonté d’emprise sur la société. L’Église se situe dans la logique du fondement du mariage comme lien structurant la société dans l’alliance juridiquement engagée entre un homme et une femme et qui a été élevée au rang de sacrement par le Christ. L’Église doit-elle courir après l’air du temps comme le font certains chrétiens angoissés du besoin de reconnaissance de la part du monde en s’identifiant à ses modèles idéologiques et passagers, et en voulant recruter large au mépris des réalités anthropologiques et en plus des exigences évangéliques ? L’Église ne peut pas s’inscrire dans de la démagogie pastorale qui frôle l’immoralité.

Ne s’agit-il pas d’un changement culturel qui favorise tous types « d’unions », un fait qui serait ignoré par l’Église alors qu’elle est le témoin de l’amour de Dieu ?

Mgr T. Anatrella - Ne soyons pas des blasphémateurs, même si l’idée est à la mode dans une société transgressive, en imaginant que tout est acceptable au nom de l’amour de Dieu. De quel amour parlons-nous ? Qu’est-ce que l’amour quand on sait que ce mot au contenu variable est un piège à illusions et à fantasmes au point parfois de créer des « couples » imaginaires. On veut parfois projeter de « l’amour » dans des duos de personnes de même sexe alors qu’il s’agit d’attirances, d’émotions et de sensations érotiques. L’amour implique la présence de l’altérité fondée uniquement sur la personne de l’autre sexe, puisque l’autre c’est toujours l’autre sexe et non pas le même et le semblable. Il peut y avoir de l’attention, de la générosité et de la solidarité qui ne font pas pour autant de l’altérité. Un moralisme sentimental tente de justifier ces situations dans une sorte de phénoménologie ambiguë. Ainsi situé intellectuellement, il est difficile d’accompagner réellement ces personnes autrement qu’en les justifiant dans ce qu’elles vivent. Si Dieu reste présent à toute personne, il ne bénit pas pour autant n’importe quel comportement ou situation. L’Église n’est pas une auberge espagnole où chacun prend ce qui lui convient pour être conforté dans ses actes et rejette ce qui l’interroge. Il est grave que des pasteurs laissent entendre ce relativisme moral sans appeler à effectuer un discernement en vérité.

Dans des réunions préparatoires au sein des diocèses en France pour le Synode sur la famille en 2015, certains ont proposé de réinterroger les textes bibliques sur l’homosexualité pendant que d’autres proposent de réécrire des passages du Catéchisme à ce sujet. Ce n’est plus le sens de l’enseignement de l’Église qui est en mesure d’inspirer les actes humains, mais le discours ecclésial qui doit être reformulé à partir des comportements contemporains. Nous sommes dans la logique du « règne de Narcisse » où tout se conçoit à partir des exigences subjectives de chacun. Une façon de morceler la société qui d’ailleurs nous propose déjà une sexualité imaginaire et éclatée à partir des pulsions partielles qui sont à l’origine psychique des orientations sexuelles. Bref, une régression et le façonnage de « couples » imaginaires !

Le « mariage » entre personnes de même sexe à vise faire « accepter » moralement l’homosexualité ? Un autre changement culturel ?

Mgr T. Anatrella - On peut le penser. Le mariage est ainsi instrumentalisé comme principe d’intégration pour des personnes qui vivent une orientation particulière comme si nous devions maintenant nous définir selon la catégorie des orientations sexuelles : les hétérosexuelles, les homosexuelles, les lesbiennes, les bisexuels, les transsexuels plutôt que de se définir comme homme ou femme. Il ne s’agit pas de sexualités alternatives, mais le simple prolongement de certains états primaires de la vie affective qui ne sont pas élaborés dans l’identité du sujet.

Au lieu d’un changement culturel, il s’agit plutôt d’une forme de désocialisation de la vie affective en prétendant que n’importe quelle forme de sexualité participe du lien social. Je l’ai déjà dit, nous sommes face à une régression de la vie émotionnelle quand on veut organiser la société à partir des orientations sexuelles et non plus en fonction des deux seules identités sexuelles qui existent : celle de l’homme et celle de la femme. Une vision qui n’est plus acceptée et qui est même jugée « homophobe ».

Ce slogan utilisé à tort et à travers nous empêche de penser et de faire les distinctions nécessaires. Il est même intériorisé par de nombreuses personnes qui pensent que critiquer le « mariage » entre personnes de même sexe, ne pas bénir ce type d’association ou encore ne pas donner des responsabilités ecclésiales à des personnes ainsi impliquées, est « homophobe ». Nous déraisonnons et la loi française au contenu juridique imprécis à ce sujet est la porte ouverte à toutes les manipulations intellectuelles, à toutes les persécutions idéologiques et à toutes les injustices possibles. Il n’y a rien d’homophobe de rappeler que l’Église confie des missions à des personnes qui sont dans les conditions pour les assumer et qu’un enfant a besoin d’un homme et d’une femme, d’un père et d’une mère pour son éducation. Il suffit d’observer les conséquences du divorce sur les personnalités et le lien social, et celles à venir lorsque des enfants auront à en subir d’autres, une fois adultes, en ayant vécu dans ces milieux homosexués dont il manque une partie de la réalité dans leur intimité affective : la personne de l’autre sexe qui ne peut pas être compensée par l’environnement social. Ainsi s’exprimait une jeune fille ayant vécu entre deux femmes : « Moi, je n’ai pas de père ». Nous allons fabriquer des handicapés supplémentaires de la vie conjugale et familiale. Il est donc difficile d’y voir une situation positive pour les enfants et donc pour la société.

Vous estimez que le discours de l’immédiateté médiatique prend le pas sur la culture qui s’inscrit dans une histoire ?

Mgr T. Anatrella : Le « changement culturel » est une notion hâtivement utilisée par les militants de cette cause. Il est davantage le reflet d’une action de lobbying et de l’emprise des médias qui, pendant des années, n’ont cessé de vouloir rééduquer les personnes dans le sens de la primauté des orientations sexuelles. Ils ont martelé de bien des façons qu’il y avait une équivalence entre l’union d’un homme et d’une femme et l’attrait entre personnes de même sexe. J’ai déjà eu l’occasion de l’étudier dans plusieurs livres pour faire observer qu’il n’y a pas de concordance de la vie affective et sexuelle dans ces deux formes d’attachement puisque les structures psychiques en cause ne sont pas identiques. Mais ces aspects ne sont pas entendus. Ils sont même masqués pour ne pas avoir à s’interroger et à tenir compte d’études scientifiques psychologiques pour affirmer à tort que ces situations sont similaires. Cette attitude est surtout symptomatique du monde occidental en pleine crise anthropologique, morale et spirituelle. Il perd ses repères de base et la plupart des responsables politiques sont dans une grande inculture et dans une débâcle intellectuelle. Il suffit d’ailleurs de voir dans quelle ignorance culturelle et historique on voudrait organiser les nouveaux programmes scolaires en France. Le moralisme politique se substitue à la formation de l’intelligence des enfants et à l’apprentissage de la culture de base. Comme le savoir n’est plus premier, on crée des ignorants et des personnalités qui seront dans la confusion des structures élémentaires de la vie conjugale et familiale. À ce propos, redisons qu’il est pour le moins étrange de vouloir concéder la symbolique et les attributs propres à l’union formée entre un homme et une femme, à deux personnes de même sexe alors qu’il n’y a rien de commun entre ces deux situations ; sauf à y voir un certain mimétisme et encore davantage quand ils veulent jouer au « papa » et à la « maman ». Le règne de l’infantile est à son comble d’autant plus que nous ne sommes pas dans le cadre d’union. Qui y-a-t-il à unir dans un duo de personnes de même sexe ? Bref ce climat ne témoigne-t-il pas d’un déficit de la pensée et un repli sur de l’affectivité imaginaire ?

Y a-t-il un rapport entre le « mariage pour tous » et la réforme des programmes scolaires ?

Mgr T. Anatrella - Oui. Nous sommes dans l’idée toute-puissante et dans le délire de vouloir créer un homme nouveau. La loi du « mariage pour tous » a créé en France une profonde division dans les familles et dans la société. Une fracture qui demeure alors que c’est la famille qui tient le lien social. Le « mariage pour tous » apparaît bien comme un dissolvant du lien social. De nombreuses lois civiles ont dévalorisé le sens du mariage et de la famille. La banalisation du divorce, de la contraception puis de l’avortement, ont déstabilisé le sens du mariage comme si l’homme et la femme n’avaient plus d’autre projet que d’être uniquement « bien » ensemble pour une durée limitée. Une perspective valable pour toutes les formes d’associations affectives qui s’écartent pourtant du sens du mariage quand on croit que l’homme et la femme n’ont plus rien à transmettre. Il en est de même avec les programmes scolaires dont les modifications annoncées ne font que confirmer l’effondrement d’un système qui ne transmet plus grand-chose mais renvoie chacun à ce qu’il croit savoir parce qu’il n’a rien appris. Il suffit de voir l’état des connaissances de ceux qui arrivent à l’Université et l’éclatement affectif dans lequel ils sont quand socialement l’assise familiale fait défaut.

On peut diagnostiquer une perte du sens même des idées ?

Mgr T. Anatrella - En effet on peut le penser. Pour l’instant le vote irlandais, tout en étant inquiétant, fait croire que l’on peut décider de la vérité des choses à la suite d’un référendum. C’est la réussite de la dictature des sondages seul instrument de stratégie et de communication des politiques. Il suffit de manipuler médiatiquement la population au fil des années (séries télévisées, films divers, publicité et débats publics sans réelle présence de contradicteurs), pour arriver à ce type de décision qui est sans fondement logique et rationnel. Ainsi vont les idéologies qui, par définition, sont irréalistes et restent prégnantes chez les plus jeunes qui n’ont pas d’autres ouvertures intellectuelles que de répéter les clichés à la mode.

Ce qui est en question ici, je le répète à nouveau, ce n’est pas la personne avec ses tendances particulières liées à son histoire intrasubjective, mais de vouloir faire de l’homosexualité un objet politique à partir duquel pourrait se réorganiser la société, pour ne pas dire la subvertir afin de supprimer la référence à la différence sexuelle au bénéfice des orientations sexuelles. Or la différence sexuelle est du côté de l’être du sujet, là où l’orientation sexuelle est sur le versant des pulsions partielles et des identifications primaires. Une société qui s’organise de cette façon en isolant les pulsions de l’identité du sujet, prépare la violence à venir. Lorsque les pulsions ne sont pas intégrées dans l’être de la personne à partir de l’identité de son corps sexué (alors qu’il s’agit d’une opération psychique dans laquelle l’enfant et l’adolescent sont engagés) et que ce travail psychique n’est pas soutenu par la culture, nous fabriquons des personnalités superficielles, clivées et violentes. Nous le constatons tous les jours dans la vie quotidienne.

Vous craignez une « contagion » de ce référendum irlandais?

Mgr T. Anatrella - C’est difficile à pronostiquer ! Mais il y a une telle pression de la part du lobby, des Organisations européennes et internationales et des médias en passant par Internet que la vague peut se propager lorsque des responsables politiques se sentiront prisonniers de ces pressions à l’égard de leur population. Pour l’instant, cette dérive d’un mariage dénaturé reste anecdotique et provincial. Quand on voyage à travers les continents, surtout en Asie et en Afrique qui sont l’avenir des années qui viennent, nous apparaissons comme des égarés, voire comme des enfants qui veulent marier tout le monde sans distinction. Les pratiques du monde occidental au sujet du « mariage » homosexuel sont vécues dans une grande violence dans de nombreuses aires culturelles qui les rejettent. L’Occident, associé au monde chrétien, apparaît, à tort ou à raison, comme une culture sans avenir, au langage frauduleux et aux exigences incompréhensibles. En effet sur 243 pays au monde seuls 19 pays ont légalisé le « mariage » entre personnes de même sexe et veulent l’imposer à l’ensemble du monde via les organismes internationaux (ONU).

Nous sommes à l’époque des hérésies anthropologiques qui, pour s’imposer, se font répressives et utilisent la discrimination, le procès d’intention à l’égard de personnes ou d’institutions pour mieux les décrédibiliser. Tout ceci évidement au nom des « valeurs » de tolérance, de liberté et de choix personnels. Une société qui ne sait plus penser la différence sexuelle, fondement de toutes les différences là où l’unisexualité les nie, se perd dans l’exhortation de « valeurs » et de la « diversité » pour justifier l’immaturité sociale. Elle oublie que certaines d’entre-elles ne sont pas des « valeurs » mais des vertus que la juste raison grecque et biblique a développées, mais qui sont déviées de leur signification. Nous allons ainsi d’hérésie en hérésie. Il a fallu deux siècles, entre le quatrième et le sixième siècle, pour se dégager de l’arianisme, c’est-à-dire d’un christianisme désincarné, alors que l’Église à Rome n’était constituée que d’un petit nombre fidèle au Concile de Nicée (325). Il en fut de même avec le marxisme pendant 70 ans et maintenant avec les concepts du genre et le mariage ouvert aux situations les plus inconciliables. Autant d’idées qui envoient dans le mur de nombreuses personnes et massacrent des cultures.

La confusion des sexes et les divorces ont participé à la dévalorisation du mariage au point de le réduire à la simple reconnaissance des sentiments entre n’importe qui. Cette perspective n’a pas d’avenir. D’où l’importance d’un enseignement et d’une préparation à ce sujet pour éviter de multiplier les impasses et les échecs.

Zenit  - Dans cette phase de préparation du second Synode sur la famille, on a l’impression que beaucoup ne retiennent que la question des divorcés-remariés. Est-ce qu’on n’est pas « conditionnés » ?

Mgr T. Anatrella  -  Ce n’est pas nouveau, mais les médias ne se sont pas privés de majorer ce sujet. En psychiatrie sociale nous analysons les idées et les comportements comme les symptômes de certains aspects psychologiques retenus plus que d’autres par la culture ambiante qui façonne les personnalités contemporaines. Ce conformisme est largement imposé par le biais des divers moyens de communication qui aujourd’hui laminent et uniformisent les mentalités. Faute de recul et de clairvoyance, nous nous identifions à des idées dominantes, pour être certains de toujours appartenir au groupe et de ne pas être rejetés. Ce processus psychosocial est inhérent à toutes les sociétés, lorsque l’on craint de ne pas être reconnu dans une société donnée et dans son groupe d’appartenance. Il est davantage de l’ordre de l’émotion que de la raison. Ainsi, dans un passé récent, de nombreux chrétiens, dont des prêtres, ont accordé du crédit à la théorie marxiste au risque de s’y perdre. Un comportement idéologique qui montrait un manque de cohésion avec la doctrine sociale de l’Église qui a influencé l’action pastorale. Périodiquement ce phénomène se répète avec aujourd’hui une identification plus particulière, non plus à des idées plus ou moins passagères, mais à des mœurs en se calant sur les modèles sexuels contemporains.

Zenit  -  Les mœurs font la loi  pour que la loi fasse les moeurs?

Mgr T. Anatrella  -  Je l’avais déjà annoncé et sans doute était-ce voulu. À partir du moment où le « mariage » entre personnes de même sexe est accepté par la loi civile, cela entraîne une sorte de légitimité qui incite d’autres instances à reconnaître ce fait et bouleverse les mentalités. Les chrétiens eux-mêmes sont conditionnés et finissent par vouloir faire fléchir l’Église sur ce point pour l’obliger à des accommodements. C’est ainsi que les mœurs font la loi dans la société et que l’on risque, en plus, de désarticuler l’enseignement de l’Église avec la relation pastorale. Les prêtres ont toujours su dans une attitude de miséricorde, conduire leur relation pastorale et éclairer la conscience des personnes qui sont dans des situations problématiques. Ils ne font pas, pour autant, croire qu’il y a du bien là où il y a malgré tout un conflit et que ce qui est vécu ne représente pas nécessairement un bien. Au contraire, la plupart des gens ainsi impliqués ne sont pas dupes mais ne veulent pas le savoir tout en cherchant à ce que l’institution lève ce sentiment de culpabilité inconsciente par rapport à des comportements qui ne sont pas toujours justes. Une vision simpliste, répandue dans les débats de société, peut se développer et s’infiltrer sournoisement dans les réflexions actuelles autour du Synode sur la famille à travers le cliché « du tout ou rien ». C’est de cette façon que des politiques se sont dit en pensant aux personnes homosexuelles : « il faut bien faire quelque chose pour eux » ; ce qui a débouché, en France ou à l’étranger, sur des pactes civils ou le « mariage » homosexuel. Pour l’Église la question doit-elle se poser en ces termes « du tout ou rien » ? Comme s’il fallait nécessairement apporter un semblant de caution à certaines formes de vie puisqu’elles sont durables. Autrement dit, plus le phénomène serait prégnant et plus il faudrait en partie le légitimer. Bien au contraire à la place « du tout ou rien », la question doit rester ouverte et laisser un espace pour favoriser la réflexion psychologique et l’évaluation morale.

Zenit - Le baptisé se retrouve sans boussole ?

Mgr Anatrella - Oui ! Nous croyons être libres alors que nous ne savons pas que nous sommes conditionnés. Quand on se réveille, il est trop tard. Malheureusement les tragédies de l’histoire ne nous servent pas de leçon puisque ce sont les mêmes impasses qui se répètent souvent avec la complicité des autorités civiles et parfois religieuses. Précisons : plus un phénomène devient massif dans les représentations sociales et plus les tendances qu’elles imposent favorisent une identification inconsciente au point de la prendre comme une « référence ». Ce sont paradoxalement les idées minoritaires et marginales qui finissent par devenir dominantes sans être majoritaires. Ainsi depuis près de 50 ans, l’Occident cherche à changer l’homme comme le souhaitait le marxisme. Pour aller dans ce sens, la loi civile défait le sens de la famille pour être sans racine, sans père et sans filiation pour ne plus s’inscrire dans la transmission, si ce n’est de « construire » soi-même sa famille à durée déterminée (divorce, concubinage, pacte civil révocable, « filiation » en dehors d’une relation parentale remplacée d’ailleurs par la « parentalité » ce qui n’est pas la même chose, on ne se marie plus au nom de l’alliance des sexes mais selon des orientations sexuelles). Une attitude qui n’est pas tenable sur le long terme mais qui, actuellement, se prolonge à travers l’éducation et l’enseignement. On transforme l’école dans laquelle l’enfant n’a pas à recevoir un savoir mais à le découvrir et à l’édifier par lui-même selon des thématiques et les nouveaux instruments de communication : ordinateur et internet. On oublie simplement que ces moyens de communication ne favorisent pas en soi, ni la mémoire, ni l’évolution des stades de l’intelligence et ni l’écriture. Nous fabriquons des personnalités insulaires et sans racines qui sont dans l’exigence de revendications subjectives sans que celles-ci ne soient évaluées à la lumière objective des réalités et de ce qui est structurant pour l’homme. Par exemple : à partir de quelle forme de sexualité et d’alliance la société s’organise ?

Zenit  - On finit par réfléchir à ce qu’est la famille sans référence à la pensée de l’Église mais à partir des modèles occidentaux actuels ?

Mgr T. Anatrella - En effet, c’est dans ce cadre qu’il faut situer l’expression de chrétiens qui au lieu de tenir compte de l’ensemble du texte préparatoire au prochain Synode, se sont parfois rabattus sur les questions de la « communion » des divorcés-remariés et l’accueil des personnes homosexuelles. Il s’agit de deux questions particulières qui ne rendent pas compte de l’ensemble de la problématique de la famille que le Synode a déjà commencé à étudier. Les médias ne parlent que de ces situations. D’ailleurs la question des divorcés-remariés relève davantage de la théologie sacramentaire et celle de l’accueil des personnes homosexuelles de la théologie morale que de la pastorale familiale. Les échanges à ce sujet traduisent parfois une méconnaissance profonde de la pensée de l’Église. Les propositions qui s’en suivent ne sont que la reprise de ce que nous entendons dans les médias et d’associations militantes, et qui devrait être le nouveau « catéchisme » de l’Église Catholique. Ne nous y trompons pas, si ces personnes engagées dans diverses situations demandent à rencontrer un prêtre pour opérer un discernement, elles seront toujours accueillies avec estime et attention. Mais tout dépend du sens de leur démarche afin de savoir ce qu’elles viennent demander et dans quelle attitude spirituelle elles l’expriment ?

Zenit – Il semble que le pape François ait voulu que le peuple de Dieu fasse part de ses observations afin de réfléchir à comment annoncer l’Évangile à ceux qui sont dans des situations affectives complexes : l’a-t-on compris ?

Mgr T. Anatrella - On peut se poser la question. Si le Synode « se met à l’écoute du peuple de Dieu » comme le dit le Cardinal Lorenzo Baldisseri, Secrétaire Général, ce n’est pas pour banaliser, justifier et valider ces situations, mais bien au contraire mobiliser l’Église afin de savoir comment rejoindre ces personnes et les inviter là où elles en sont à vivre du message évangélique et à progresser. Il s’agit d’offrir des informations aux membres du Synode, comme le suggère le cardinal, « afin d’avoir davantage d’éléments pour trouver des lignes pastorales adéquates ». Autrement dit, l’objectif recherché n’est pas de développer une action pastorale complaisante pour s’attirer les bonnes grâces des personnes concernées, ce que le Christ n’a jamais voulu dans l’Évangile puisqu’il ne se présentait pas en séducteur, mais de savoir aller à leur rencontre pour leur présenter l’espérance de l’Évangile de la famille. En sachant que toutes les formes d’associations affectives ne constituent pas pour autant une famille. La plupart des gens le savent bien et aspirent à être dans cette logique.

Faut-il le rappeler ? Les divorcés-remariés ont leur place dans l’Église. Ils ne sont pas excommuniés comme le répètent certains médias. Mais pour diverses raisons, ils ne peuvent pas recevoir les sacrements et ne peuvent pas exercer des responsabilités ecclésiales puisqu’ils ne sont pas dans la cohérence du sacrement de mariage. L’Église ne manque pas de moyens pour résoudre ce problème délicat quand cela est possible. Il y a ainsi des voies de passage à trouver à l’égard de situations particulières lorsque les personnes témoignent d’une authentique vie chrétienne selon des critères ecclésiaux en l’espèce à déterminer. Le discernement en la matière demande de l’intelligence pastorale et du temps sous la vigilance de l’évêque. Il fait partie de la casuistique au sens noble du terme, c’est-à-dire de l’étude de cas en tenant compte de diverses approches afin de parvenir à une décision face à une situation complexe. On évitera ainsi d’être dans le « rigorisme » et dans le « subjectivisme » ou le « relativisme moral », même si la solution trouvée selon les cas n’en fait pas pour autant une règle générale applicable en toutes circonstances.

Mais certains voudraient aussi établir une concordance entre la « communion sacramentelle » et la « communion spirituelle ». Est-ce vraiment possible et dans quelle condition ? De plus situer ces personnes comme des victimes de leur histoire, voire de la prétendue « sévérité » de l’Église, ou encore de les inviter à faire de la catéchèse auprès des jeunes ou encore à participer à la préparation au mariage pour des fiancés, est-ce la bonne réponse face aux enjeux ? Ces questions ont besoin d’être examinées là où l’on fait de la surenchère afin de trouver des mesures concrètes dans l’espoir de leur dire qu’elles sont bien dans l’Église. Certes elles le sont, mais pas forcément n’importe comment et encore moins dans la recherche de relation fusionnelle du « tous ensemble, tous ensemble ». Il existe déjà tout un accompagnement qui se fait en direction des divorcés-remariés pour leur permettre de vivre leur vie chrétienne dans la cohérence de leur baptême et des grâces du sacrement de mariage déjà reçu. Le risque existe parfois d’être dans l’impasse, en opposant doctrine et relation pastorale ; comme si cette dernière était du bricolage qui pouvait s’écarter du sens du sacrement de mariage. Il est vrai qu’un courant voudrait « fabriquer » de la pastorale sans avoir à s’inspirer de l’Enseignement de l’Église en affirmant : « Le Pape dit ce qu’il veut, mais nous nous faisons ce que nous voulons » au nom de l’intérêt de tel ou tel groupe de pression, voire d’une « Eglise » nationale. Ce qui veut dire qu’un schisme pratique risque d’être à l’œuvre et porte principalement sur des questions de mœurs.

Zenit – Le même mécanisme que pour l’approche de l’homosexualité?

Mgr T. Anatrella - Sans aucun doute. Dans un diocèse, à l’issue de la consultation synodale, on a suggéré de prévoir une « cérémonie » valorisant l’engagement des personnes homosexuelles. Dans un autre de les intégrer à l’équipe de préparation au baptême ou au mariage ou encore dans la catéchèse, voire dans les aumôneries scolaires. Nous risquons de faire fausse route car le problème ne se pose pas en ces termes. Lors de la session extraordinaire du Synode en octobre 2014, la question des divorcés-remariés n’a pas été évoquée dans les débats entre les pères du Synode sous l’angle soutenu par des médias et encore moins celle des personnes homosexuelles. Pour cette dernière, lorsque le sujet a été abordé c’était simplement pour réfléchir à la situation de certains maris ou femmes qui avaient des pratiques homosexuelles ou quittaient la vie conjugale pour vivre leur homosexualité ; ou encore le cas de jeunes qui révèlent leur tendance à leurs parents. Dans ces situations comment aider et soutenir les familles ; voire accompagner spirituellement les personnes concernées ? Il n’a jamais été question de proposer de possibles responsabilités ecclésiales et encore moins de créer une « cérémonie » ou de donner une « bénédiction » à ce type de relation que l’Église ne reconnaît pas. Tout n’est pas bénissable. Le Synode porte sur la famille et c’est par rapport à la famille que la plupart des interrogations sont traitées.

L’Église n’a pas peur de l’homosexualité comme on l’entend dans des médias. Si tel est le cas, comme le pensent certains, alors l’Église doit permettre l’accès aux sacrements aux personnes homosexuelles qui forment un duo fidèle. Ou encore elle doit reconnaître « l’amour durable » qui existe entre ces deux personnes (s’agit-il d’amour conjugal ?), voire même leur permettre l’accès au diaconat permanent et au sacerdoce. Pourtant, l’Instruction de 2005 rappelle que cette situation « fait gravement obstacle à une juste relation avec les hommes et les femmes ». En allant plus loin, il conviendrait d’utiliser un autre langage et de modifier le Catéchisme lorsqu’il est écrit (cf. n. 2357 à 2359) que « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés ». Pourquoi réécrire alors que nous savons que ce ne sont pas les personnes qui sont désordonnées mais les actes qui, eux, ne peuvent être finalisés que dans l’altérité sexuelle. Il est même affirmé qu’il faudrait en finir avec la théologie du corps qui est par ailleurs celle de la personne dans sa relation à l’altérité sexuelle pour la remplacer par la théologie de l’amour ouvrant la possibilité à la reconnaissance de tous désirs (en s’appuyant étrangement sur Freud) quel que soit le sexe du sujet et à l’expression sexuelle constituant une relation durable. Une fois de plus on fait l’impasse sur ce que dit Freud lorsqu’il souligne que c’est seulement l’expression sexuelle entre homme et femme qui constitue leur relation. On applique une fois de plus des catégories qui sont étrangères à l’homosexualité. D’autres vont même jusqu’à prétendre qu’il s’agit d’une différence qui nous enrichit et dans ce cas l’Église pourrait approuver des duos homosexuels. Cependant, accueillir généreusement les personnes pour les accompagner signifie-t-il pour autant que leur état et leur mode de vie seront reconnus ? L’Église accueille et bénit des personnes, mais pas des types de relation et encore moins le mariage en dehors d’une union formée uniquement entre un homme et une femme. De plus tout attachement et toute solidarité entre les personnes n’est pas synonyme d’amour conjugal. On veut unir ce qui est inconciliable. Et ce n’est pas parce que des personnes sont sympathiques, généreuses, gentilles, délicates, coopératives et disposent de nombreuses qualités que cela justifie une reconnaissance ecclésiale de l’homosexualité et de l’association qui en dépend. Il y a des méprises sentimentales à ce sujet énoncées par telle ou telle personne qui entraînent dans des impasses et témoignent souvent d’un manque de réflexion aussi bien au plan psychologique, anthropologique que théologique.

Zenit  - Une communauté protestante a décidé de bénir des « duos homosexuels » - selon l’expression que vous préconisez - ...

Mgr T. Anatrella - Les médias l’ont présentée comme une décision qui concerne tous les protestants. Ce qui est loin d’être le cas et participe d’une entreprise de désinformation puisqu’il s’agit d’une minorité parmi les protestants qui ont pris cette décision en calquant simplement sur les mentalités actuelles.

Autrement dit, il est demandé à l’Église de dire autre chose que ce qu’elle a dit jusqu’à présent sur la sexualité parce que le monde change. Or le monde ne change pas malgré nous puisque les modèles sexuels sont très variables d’une époque à une autre. Ainsi à l’époque romaine, il y avait une sorte « d’effroi » d’associer les sentiments à l’expression sexuelle là où le christianisme a voulu les associer à travers le mariage libre. Le libertinage du 18ème siècle était encore autre chose. Les modèles contemporains valorisent les pulsions partielles et les identifications primaires qui viennent retarder la maturité affective et sexuelle. Faute d’analyse, d’intelligence de la réalité et de mise en perspective, cette communauté protestante se laisse déborder pour homologuer la confusion des sentiments.

Si pastoralement des prêtres peuvent accompagner une personne en particulier, il n’est pas pensable d’envisager une « bénédiction » de deux personnes de même sexe et encore moins lors d’un « mariage » civil. Une situation sans rapport avec le sens de l’amour, de la sexualité humaine et du mariage tel que le conçoit l’Église. Il n’y a rien à attendre dans ce sens. L’Église dispose d’un enseignement sur la sexualité puisé aux sources de l’Ecriture qui ne varie pas selon les mœurs et les idéologies transitoires.

En revanche, au lieu de répondre de façon simpliste à certaines demandes, il faudrait davantage s’interroger afin de savoir ce qu’est l’homosexualité, à quoi correspondent ce type d’attachement et cette forme de sexualité dont l’origine est davantage psychique que génétique ou hormonale. Pourquoi l’homosexualité se trouve non seulement valorisée actuellement au point de déstabiliser des jeunes mais aussi d’être surprotégée par la loi civile à travers le slogan de l’homophobie pour neutraliser toutes réflexions ? Et quelles sont les répercussions sur les sujets qui s’interrogent sur eux-mêmes sans vraiment toujours vouloir cette inclination et sur les familles qui vivent très mal la découverte de cette tendance chez leur fils ou fille ? Il est difficile de soutenir qu’il s’agit d’une forme de sexualité alternative surtout quand on est en présence d’un conflit intrapsychique relativement présent lors de la période juvénile entre orientations et identité sexuelles.

Cette approche est une façon de prendre au sérieux ces personnes en écoutant et en travaillant leurs interrogations et non pas le signe d’un rejet. Elles peuvent développer des tendances singulières apparemment malgré elles, mais pour l’Église c’est leur mise en acte qui pose problème : c’est pourquoi d’ailleurs, elle a toujours opéré une distinction séculaire entre personne et actes. Si les actes révèlent la personne ces derniers ne la réduisent pas à ce qu’elle fait. Dans cette distance entre l’un et l’autre, il y a de l’espace pour réfléchir, s’interroger, se remanier et choisir. Si la personne garde toute sa valeur en étant accueillie, cela ne veut pas dire que les actes sont nécessairement validés et reconnus. Tel est l’espace à partir duquel un discernement peut se faire au regard des exigences de l’Évangile de la famille afin de se vivre dans la cohérence chrétienne. De plus, il est inexact de prétendre que « l’amour » leur est refusé alors que justement, deux personnes de même sexe ne sont pas dans les conditions psychologiques, sociales et morales pour s’inscrire dans l’ordre de l’amour conjugal. Le contexte social narcissique dans lequel nous sommes, en privilégiant une forme de délire affectif, empêche de réaliser ces distinctions fondamentales.

Zenit – Puisque la situation des divorcés-remariés ou l’homosexualité n’ont pas mobilisé les débats, quelles sont les principales questions soulevées par les Pères du Synode ?

 

Mgr T. Anatrella - Les Pères ont passé des heures à parler de bien d’autres questions actuelles. Elles sont nombreuses : le développement du concubinage, le refus du mariage chez des jeunes, les difficultés conjugales, le divorce et ses graves répercussions sur les adultes et les enfants, l’initiation et l’éducation chrétienne des enfants et la vie spirituelle de la famille, l’existence de mères célibataires vivant dans une relative précarité, l’éducation des enfants, l’absence des pères ou encore la dévalorisation du père et de l’homme, l’immaturité qui préside parfois au désir d’enfant, l’évolution technologique en matière de procréation, la facilité pour les femmes de devenir « mères » sans homme, la location des utérus définie de façon pernicieuse à travers la notion de la « gestation pour autrui », l’hyper-présence de la société pour régenter la famille à travers des lois civiles qui la dévalorisent de plus en plus et qui dépossèdent les parents de leur rôle de père et de mère, le féminisme exacerbé lorsque la femme veut se suffire à elle-même et dans la toute-puissance, les déceptions sentimentales des adolescents qui les écartent du sens de la relation de couple, la polygamie, la répudiation dans le concubinage ou le mariage, les cas d’incestes (près de 85% ont lieu dans la famille et dans le silence), le chômage, l’immigration, les guerres et les persécutions qui mettent en péril l’équilibre de la vie familiale. Mais aussi comment préparer au mariage les fiancés, au sens d’un engagement irrévocable, sur le sens de la fidélité et de la parole donnée, et sans doute allonger le temps de cette préparation, évoquer le sens du mariage et de la famille dans la catéchèse, dans les aumôneries scolaires et les mouvements de jeunes, dans les homélies. Donc un vaste programme, là où l’on a tendance à réduire le Synode à des particularités sans doute légitimes à soutenir mais qui ne recouvrent pas l’ensemble de la problématique familiale.

Zenit – On s’éloigne du projet initial du pape François?

Mgr T. Anatrella - À l’évidence c’est le risque. Sans prendre en compte toutes ces questions parmi d’autres, certains s’enferment dans l’étude exclusive de l’ouverture systématique à la communion des divorcés-remariés, pour en finir avec l’indissolubilité du mariage, et proposer une forme de « bénédiction » pour les duos homosexuels. Une façon de réduire le travail du Synode en le détournant de sa trajectoire dans une vision purement pragmatique. Déjà se multiplient dans quelques paroisses, dans le cadre de rencontres initiées par la pastorale familiale de certains diocèses, des témoignages de personnes homosexuelles se disant catholiques pratiquants qui se présentent en étant pacsés ou se préparant au mariage civil. Pourtant cette question ne relève pas de la pastorale familiale, mais d’une réflexion en théologie morale puisqu’il est difficile d’avoir accès aux sacrements en se conduisant de la sorte. Là encore, on fait fausse route en interprétant les réflexions du Synode et du Pape François dans l’idée de valider l’homosexualité, et de s’aligner sur les modèles mondains. Le « couple » homosexuel n’existe pas. Cette appellation est un abus de langage. Se réunir en paroisse entre deux à trois personnes pour justifier « chrétiennement » ses pratiques homosexuelles est une façon de fausser les questions à se poser. Autrement dit, l’Église devrait s’aligner sur le discours à la mode ce qui serait une façon de trahir son enseignement. Or, lorsque le Pape affirme : « Si une personne homosexuelle suit le Seigneur qui suis-je pour la juger ? », faut-il entendre qu’il justifie les actes homosexuels ? Bien sûr que non ! À partir du moment où la personne « suit le Seigneur », cela veut dire qu’elle s’abstient de toutes ces pratiques et peut ainsi vivre des sacrements.

Zenit – Comment comprendre les propos du cardinal Peter Erdö, archevêque de Budapest, et rapporteur général du Synode, épinglant ceux qui opèrent « des pressions sans légitimité théologique » et « risquent de causer une division dans l’Église » ?

Mgr T. Anatrella - Le cardinal Erdö a raison de le souligner, comme le Pape François a dit clairement, le mercredi 20 mai 2015, de ne pas favoriser un « l’esprit de division » dans l’Église. Pourtant certains indices de division sont déjà présents et méritent une attention soutenue pour éviter toute fracture. Beaucoup s’interrogent sur la nature des débats actuels qui risquent d’être détournés de leur finalité voulue par le Pape : faire connaître le message du Christ à ceux qui sont aux frontières de l’Église pour leur permettre de se mettre sur le chemin du salut en vivant réellement de l’Évangile.

Parfois on entend dire : « il faut faire évoluer la pastorale » ! Mais, répétons-le, que signifie une telle affirmation ? S’agit-il de chercher à accueillir, à réconforter et à accompagner, ce qui ne veut pas dire que l’on va valider des pratiques et de comportements, ou encore s’agit-il de modifier la doctrine pour accréditer ces derniers ? Nous ne devons pas oublier que c’est la doctrine qui inspire la pastorale et celle-ci vient enrichir la réflexion théologique. Sinon nous créons une scission qui nous situe en dehors du message évangélique du salut.

Vérité et miséricorde forment un couple indissociable (cf. psaume 84). Il n’y a pas d’opposition entre la loi évangélique, bien actualisée par saint Paul dans ses épitres et les conciles doctrinaux de l’Église, et l’annonce du salut avec miséricorde comme ne cesse de le rappeler le Pape François. Depuis le mois d’octobre 2014, le Saint Père nous offre un enseignement fidèle à celui de l’Église sur le sens de la famille et du sacrement de mariage et, en même temps, il nous appelle au sens de l’accueil de toutes les personnes au-devant desquelles nous sommes appelés à aller. Chacun a sa place dans l’Église et est appelé à recevoir le message d’espérance du Christ, et à s’en inspirer pour conduire son existence.

Mais il y a parfois des confusions entretenues par certains courants de la théologie morale qui minimisent le critère ultime et déterminant de la parole du magistère qui aide pourtant au discernement et à la décision concernant des actes humains à poser. En ce sens, on risque de promouvoir une « morale de situation », un « relativisme éthique » ou un « rigorisme » (cf. La splendeur de la Vérité) dont mettait en garde l’exhortation apostolique Familaris consortio (Les tâches de la Famille, 1981). Ou encore de prétendre une autonomie des conférences épiscopales qui ferait de chacune d’elle une « église » nationale, qui prendrait des décisions proches ou éloignées du magistère en matière morale selon les appréciations culturelles de chaque région en risquant de s’aligner sur la philosophie contextuelle. Une façon de reconnaître la plupart des idées à la mode et de mœurs discutables. Se séparer ainsi du magistère est une façon de préparer une nouvelle division qui serait regrettable pour l’Église.

 

Zenit – Dans ses catéchèses, ses audiences, ses interviews, le pape François semble vouloir rappeler de différentes façons les objectifs du Synode …

Mgr T. Anatrella - Assurément. Le Pape François a voulu situer les enjeux du Synode sur la famille lors d’une interview donnée à une chaîne de télévision mexicaine le 13 mars 2015, à l’occasion du second anniversaire de son pontificat. Il dit : « Je crois qu’il y  a des attentes démesurées, à propos de la possibilité de la communion pour les catholiques divorcés et remariés ou en matière d’homosexualité ». Puis il a poursuivi en affirmant « qu’en donnant la communion aux personnes divorcées-remariées on ne résout rien. … Ce que l’Église veut, c’est que chacun s’intègre à la vie de l’Église ». En conclusion, le Saint Père souligne directement que « pour ceux qui disent “non, moi je veux communier et c’est tout, la communion n’est qu’une “cocarde“, qu’un “titre honorifique“ ».

La vraie question qui se pose donc est de savoir comment faire entendre la parole du Christ et en vivre en vérité et non pas chercher à être reconnus de façon inconditionnelle dans tous ses actes.

Propos recueillis par A. Bourdin

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