Qu’est-ce que la théologie du peuple ? (19/07/2015)

XVM0f739a66-2651-11e5-9800-dd50c08405a9.jpgTout au long de son récent voyage en Amérique du Sud, le pape François a déployé, avec une conviction sans retenue, un discours politique, économique et social qui s’appuie sur un avatar non marxiste de la théologie de la libération, baptisé « théologie du peuple ». De quoi s’agit-il ? Le journal « La Croix » tente de l'expliquer :

« Variante essentiellement argentine de la théologie latino-américaine de la libération, la théologie du peuple trouve son origine dans la commission épiscopale de pastorale (Coepal) créée en 1966 par les évêques argentins soucieux de mettre en œuvre le concile Vatican II dans leur pays. Cette commission regroupait des évêques – comme Mgr Enrique Angelelli, qui sera assassiné en 1976 par les militaires – et des théologiens à la tête desquels on trouve notamment les P. Lucio Gera et Rafael Tello.

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Sous l’influence du P. Justino O’Farrell, professeur à l’Université nationale de Buenos Aires, la Coepal utilise aussi la sociologie, mais avec le souci de se démarquer tant des catégories de la sociologie libérale que de celles de la sociologie marxiste. « Ils voulaient penser la relation entre le peuple de Dieu et les peuples de la terre, explique le jésuite Juan Carlos Scannone (1), un des plus éminents représentants actuels de la théologie du peuple. Mais c’était à la fois contre le marxisme et le libéralisme. Pour éviter une conceptualisation de type libéral ou de type marxiste, la solution était de recourir à la culture et à l’histoire argentines et à celles de l’Amérique latine, là où le thème du peuple était très présent. » 

Qu’est-ce que le peuple ?

La théologie du peuple envisage le peuple comme un ensemble dynamique d’interactions personnelles et comme le vrai sujet de l’histoire à travers l’élaboration d’une culture propre. « Gera définit le peuple à partir de la culture mais une culture enracinée, poursuit le P. Scannone. Le peuple ne se constitue pas seulement autour du partage d’une culture, c’est-à-dire d’un style de vie, mais il y a aussi un projet commun, un projet politique partagé, un projet de bien commun. » 

Mais, à l’inverse des politiques qui n’envisagent le peuple que comme nation, la théologie du peuple cherche aussi à comprendre l’Église comme peuple de Dieu, en dialogue avec les peuples de la terre et la culture. Elle s’inscrit ainsi dans la pensée du concile Vatican II qui avait redécouvert la notion de peuple de Dieu. « Croisant l’ecclésiologie de Lumen gentiumavec l’importance que Gaudium et spes reconnaît à la culture comme lieu par excellence de l’humanisation, la théologie du peuple considère que l’Évangile doit se faire “culture” dans la vie des hommes », relevait en 2014 le P. Serge-Thomas Bonino, secrétaire général de la Commission théologique internationale.

Quels sont ses liens avec la théologie de la libération ?

Cette théologie est clairement une des branches de la théologie de la libération. « Le courant principal de la théologie de la libération se réfère principalement à la dialectique oppresseur-opprimé. (Le P. Gustavo) Gutiérrez dit que le peuple, ce sont les nations, les races, les classes opprimées, explique le P. Scannone. La théologie du peuple accepte le fait de l’oppression et de la dépendance. Et c’est pour cela qu’elle parle, elle aussi, de libération. Mais elle pense la notion de peuple à partir de la nation. » Ce faisant, la théologie du peuple n’a donc pas besoin de l’approche marxiste qui se focalise avant tout sur l’analyse sociologique et la dialectique de la lutte des classes : c’est sans doute pour cela qu’elle n’a pas été concernée par les mises en garde du magistère contre la théologie de la libération.

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De la théologie de la libération, la théologie du peuple reprend néanmoins l’axe fondamental de l’option préférentielle pour les pauvres. Dans sa perspective, et suivant en cela ce que le Conseil épiscopal latino-américain (Célam) avait dit à Puebla (Mexique) en 1979, les pauvres apparaissent comme les témoins privilégiés des valeurs que véhicule la culture commune. « Ils en sont comme les gardiens », résumait le P. Bonino. « La théologie du peuple voit la religion populaire, surtout le catholicisme populaire, comme l’incarnation de la foi et de l’Évangile dans la culture, développe le P. Scannone. Elle n’oppose pas foi et religion. Au contraire, la religion, de son point de vue, est une inculturation de la foi et de l’Évangile. » . Ce thème de l’inculturation est fondamental dans la théologie du peuple. 

La théologie du peuple a-t-elle influencé le pape François ? 

Argentin, Jorge Mario Bergoglio a été très influencé par la théologie du peuple. Lors de sa formation jésuite, il eut parmi ses principaux professeurs le P. Scannone, avec lequel il est resté en contact étroit. Dans nombre de ses textes tant comme évêque que comme pape, on retrouve plus que des traces de ce courant théologique.

Ainsi l’expression « peuple fidèle », que l’on retrouve une quinzaine de fois sous sa plume depuis le début de son pontificat, pour désigner le peuple porteur de la foi, qui s’évangélise lui-même et évangélise les autres à travers la religion populaire, autre sujet auquel le pape porte aussi une forte attention. Ainsi, en 2007 à Aparecida (Brésil), le document final de la rencontre du Célam – dont la rédaction a été supervisée par le cardinal Bergoglio – y fait-il une large place, tout comme son exhortation apostolique Evangelii gaudium. On sait d’ailleurs que pour ce texte, comme pour celui d’Aparecida, il a bénéficié du concours du P. Carlos Galli et de Mgr Victor Fernandez, deux des grandes figures de la troisième génération de la théologie du peuple.

 > A lire  : En 2007, le cardinal Bergoglio avait rédigé le « Document d’Aparecida »  

Mais pour le P. Scannone, le pape François en vient aujourd’hui à apporter sa propre pierre à la théologie du peuple. « Dans la conception de Bergoglio – et c’est l’un de ses apports –, le peuple n’est pas uniforme comme dans l’image de la sphère, mais pluriforme selon le modèle du polyèdre qui préserve, lui, les différences dans l’unité, explique-t-il. Bergoglio a l’idée d’un peuple qui a une mémoire historique, un style de vie et un projet partagé en vue du bien commun. Le peuple est peuple parce qu’il a une responsabilité citoyenne à chaque moment de l’histoire. Chaque génération n’est pas seulement la répétition de celle qui précède mais elle apporte quelque chose de neuf. » 

Nicolas Senèze

(1) Le Pape du peuple, entretiens avec Bernadette Sauvaget, Cerf, 174 p., 18 € (lire La Croix du 19 mars). Les autres citations du P. Scannone sont aussi tirées de cet ouvrage essentiel pour comprendre la formation intellectuelle de Jorge Bergoglio. 

Ref. Qu’est-ce que la « théologie du peuple »

Une "péronisme" religieux à vocation universelle ?

JPSC

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