Abbé Gabriel Ringlet : les confessions du prieur de Malèves Sainte-Marie (28/07/2015)

Dans la veine moderniste des deux derniers siècles illustrée par de grands ancêtres comme Lamennais, Renan et autres Loisy, j’avais pensé qu’on inscrirait peut-être un jour, dans une  note érudite, le nom d’un lointain épigone belge, dont « le Soir » a encore recueilli dévotement les oracles, ce 18 juillet.  Ses propos sont aujourd’hui (71 ans) dédiés à la mémoire et au souvenir.  A leur lecture, je me ravise : il ne suffit pas d’avoir le goût de la transgression,  de forcer le trait et de jouer les provocateurs pour atteindre le niveau de ces maîtres d’hier qui inspirèrent la figure de l’abbé Donissan à Bernanos ou celle de l’abbé Bourret à Joseph Malègue.  Nous sommes finalement ici dans un registre léger, dont la postérité me semble bien moins assurée, comme le suggère d'ailleurs malicieusement le titre ambigu de l’article du « Soir »: "je n'ai jamais tenu la femme à distance". Quelques extraits de cette entrevue, commentés par nos soins, le montrent mieux qu'une longue plaidoirie:

Malèves Sainte-Marie ce n’est pas la Colline inspirée , ni la Roche de Solutré  mais, tout de même, l’abbé y tient sa petite cour.  « Le soleil matinal est délicieux et le cadre idyllique », note le journaliste : «  Gabriel Ringlet nous reçoit chez lui, dans la bâtisse de style fermette dont il a fait son havre de paix, à quelques enjambées du prieuré de Malèves-Saintes-Marie, véritable Q.G. de la communauté qu’il anime depuis trente ans. Un lieu qui lui a redonné le lien à la terre, vital pour ce prêtre, théologien, écrivain, ancien directeur de l’école de journalisme de Louvain-la-Neuve et vice-recteur émérite de la même université. » .

Voilà pour le décor et voici pour les références : « Opposé dès son entrée au séminaire au célibat des prêtres, fervent défenseur de l’euthanasie, de la procréation médicalement assistée, très critique sur la façon dont les instances catholiques belges ont géré la crise de la pédophilie, Gabriel Ringlet n’a jamais cessé de dire ses quatre vérités à une Eglise qu’il n’a pourtant jamais songé à quitter. Et c’est sans doute ce qui donne à sa critique de l’institution une telle légitimité ». 

Où commence son histoire ? « Tout commence à Pair-clavier, dans le Condroz. Mon papa, François, est maçon, il a une toute petite entreprise de maçonnerie avec son frère. A l’époque, on fait encore le métier à pied : on part à 4 heures du matin pour être sur le chantier. Quand je traverse le Condroz aujourd’hui, je peux encore dire quelles sont les maisons construites par mon papa. Mon père est donc maçon, puis clerc de notaire, puis chantre grégorien, dans les petites églises où il m’emmenait petit garçon. Cela ne paraît plus possible aujourd’hui ! Mon père a uniquement fait l’école primaire, mais il écrivait admirablement, sans une faute d’orthographe, et s’exprimait comme un intellectuel. Ma mère, Germaine, était mathématicienne : elle avait fait ses études à l’université à Liège. Si je refuse tellement le clivage entre le monde intellectuel et le monde manuel, c’est que je ne l’ai jamais vécu à la maison. J’ai toujours trouvé un dialogue extraordinaire entre mes parents venant de deux horizons différents ».

Et il précise : "Ma liberté intérieure vient de là, du fait que je n’ai jamais dû « être contre ». Je n’ai pas à me venger contre la religion, contre l’Eglise, car j’en ai eu dès l’enfance un visage très joyeux et très ouvert. Je suis donc libre de dire que ce qui ne va pas. Je ne règle pas de comptes. » Il est vrai que ni les siens ni l’Eglise ne l’ont guère contredit, ce qui lui a permis d’être contrariant sans subir de contrariétés. 

Son rapport à Dieu dans tout cela ?

Passons sur l’histoire  des gamins qui célèbrent la messe  par jeu avec la panoplie complète des accessoires du culte,  pour retenir la grave maladie pulmonaire  qui le cloue au lit pendant six mois : une épreuve que le jeune garçon traverse en découvrant surtout l’imaginaire des grands reportages  radiophoniques  et la littérature : « Ma maman a toujours hésité entre les maths et la littérature. Tous les grands poètes, les grands récits, elle me les apporte ». Adolescent, il se retrouvera au collège des Pères Croisiers à Hannut : « ce qui sera tout à fait déterminant pour moi » explique-t-il : « Je crois que j’étais très animateur au collège. En tout cas, je prenais beaucoup d’initiatives, dont la plus spectaculaire est de réunir les élèves de l’athénée, des sœurs et du collège. J’ai 17 ans et je me dis ‘qu’est-ce que c’est que ce clivage entre enseignement officiel et catholique, filles et garçon ?’ A cette époque, j’ai vécu quelque chose de très fort, qui a peut-être boosté ma vocation: le dimanche, à la messe, le doyen de Hannut prêche contre moi en disant: ‘ce qui est organisé au collège maintenant, je vous signale que les parents n’en ont aucune garantie, ni avant, ni pendant, ni après’. Je n’ai jamais oublié cette phrase » 

« Et la vocation naît à cette époque ? » interroge le journaliste. Voici la réponse que n’a peut être jamais entendue le directeur de séminaire qui a du l’interroger sur sa vocation religieuse: 

«Jusqu’au bout, vous avez des tas de doutes. J’étais un passionné de littérature, un passionné de journalisme, et j’adorais vulgariser l’évangile. Car au patro, ce n’est pas le vicaire qui parlait religion aux enfants, c’était le président du patro, c’est-à-dire moi. J’ai donc cherché quel était le métier qui me permettrait de faire les trois: suivre l’actualité, entretenir ma passion de la littérature, et commenter l’évangile. J’ai finalement choisi le clergé séculier, pour tous les points de chute qui resteraient possibles. Contrairement peut-être à aujourd’hui, ce chemin-là, le chemin du sacerdoce, était plutôt valorisé intellectuellement. On n’entrait pas au séminaire honteux, en rasant les murs. Aujourd’hui, il faut un fameux courage pour un jeune d’entrer au séminaire. Pour un jeune qui serait un jeune d’ouverture en tout cas (…) » . 

A propos de ses « doutes », il précise : « Pour moi, l’hésitation venait plutôt du fait que j’étais aussi très attiré par la vie contemplative, notamment parce que j’avais cette tante carmélite que j’adorais ». Cette "vocation" manquée était de la même eau: « Déjà quand j’avais quatre ans, j’allais la voir au Carmel à Liège. Sœur Marie-Joseph de l’enfant Jésus, ou tante Antonie. Nous sommes dans le carmel des années 50: aux fenêtres, il y a des rideaux, des volets, des barreaux et des picots en fer forgé! Et il y a une tourière, c’est-à-dire une surveillante. Quand vous venez au parloir pour rencontrer la religieuse de votre famille, cette surveillante écoute la conversation et va tout rapporter à la mère supérieure. Bref, l’horreur absolue! Mais ma tante et ma maman ont inventé un espéranto entre elles, pour larguer complètement la tourière! Elles m’ont appris à me moquer du système, à le défier. » 

Et comme si cela ne suffisait pas à édifier un supérieur sur son aptitude au sacerdoce, le « prieur » de Malèves-Sainte-Marie ajoute un peu plus loin : 

«On m’apprend la transgression depuis petit, et à plusieurs reprises. Une autre anecdote: mon papa a construit une partie de l’abbaye de Rochefort, car nous avions un cousin trappiste qui avait donc fait en sorte de confier le chantier à la petite entreprise de mon père. Les hommes partaient travailler et ne revenaient à la maison qu’après un mois. Le week-end, nous allions avec ma maman voir mon père et passer le dimanche là-bas. Moi on me traitait comme un roi dans toute l’abbaye, mais les femmes ne pouvaient pas franchir la clôture, sous peine d’excommunication! Ma maman, elle, franchissait la clôture. Quand un moine lui criait: «Germaine! Germaine!» (il mime en levant les bras en l’air), elle répondait: «Je voulais sentir ce qu’était la décharge de l’excommunication (...) »!

Last but not least,comme dans toute bonne enquête romanesque, cherchons la femme. Le journaliste en vient au fait : « Vous entrez au séminaire… Cela signifie que le séducteur qui sommeillait en vous a fait une croix sur les femmes? »  Réponse du vice-recteur honoraire : « Ah ça, c’était mon tout grand problème et, en réalité, ma seule véritable angoisse. J’étais convaincu que professionnellement – j’ose employer ce mot – c’était quelque chose qui allait m’épanouir. Mais pourquoi le célibat? Cela m’était insupportable! ». Mais alors pourquoi persiste-t-il dans son choix ? Voici  : «  (…) le premier directeur de conscience que j’ai eu, je lui ai dit: ‘j’ai choisi ce chemin car il m’intéresse, mais je trouve insupportable que vous exigiez le célibat. Et, d’ailleurs, je suis encore très lié aux filles que j’ai connues en rhéto, et en particulier je continue à sortir avec l’une d’entre elles’. Quand je lui dis cela, j’entre au séminaire! Mais lui me répond: «tu dois continuer, tu as le temps, tu verras bien de quel côté va pencher la balance».

Reste qu’il fallait en fin de compte choisir, ce qu’il fit, à sa manière : « Quand on fait un choix, explique-t-il au journaliste du Soir, on tente de l’assumer au mieux. Même si c’est de la corde raide. Dès le séminaire, j’ai d’ailleurs écrit l’un ou l’autre article pour protester contre l’obligation du célibat des prêtres ».  Il a donc suivi une  voie critique et ambiguë que ses supérieurs auraient sans doute du le dissuader de suivre, s’il a eu la franchise de leur avouer son état d’esprit aussi clairement qu’au reporter, aujourd’hui :  « Puisque la vocation pèse tellement, je vais le faire. Mais non seulement jamais je ne tiendrai la femme à distance, elle aura une place toute naturelle dans ma vie et accepter le célibat, ce n’est pas renoncer à la vie affective, ce n’est pas renoncer à des amitiés qui vous portent très loin.»

Laissons notre "prieur" tirer lui-même la morale de ses Confessions journalistiques, qui ne sont pas tout à fait  celles de saint Augustin :  « Je crois que je ne peux pas être plus clair que ce que j’ai écrit dans 'Ceci est ton corps'. Les lecteurs, de tous les milieux d’ailleurs, ont très bien compris ce que je disais. Pour ce livre, j’ai quand même répondu à des courriers de lecteurs pendant six mois, cinq heures par jour! Il y a des évêques qui ont osé me dire en privé, ce qu’ils ne diraient jamais en public. J’ai aussi reçu beaucoup de témoignages du monde contemplatif. Des tas de prêtres qui m’ont dit «merci, tu oses poser des questions que personne n’ose aborder». A savoir: comment un prêtre peut-il accompagner une femme d’aussi près. Je n’ai jamais voulu renier le fait que je trouve la présence féminine très bénéfique dans une vie. J’ai respecté un engagement, mais sans jamais devenir «curé» au sens péjoratif du terme. Car j’ai en détestation l’image du clergé habituel. »

JPSC

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