Le père Xavier Dijon répond à Gabriel Ringlet : "Pourquoi, diable, tenir au respect inconditionnel de la vie ?" (08/09/2015)

Dans un esprit de dialogue, le Père Xavier Dijon s.J. nous autorise à publier ici un texte qu'il a rédigé suite à la publication des propos de Gabriel Ringlet parus dans La Libre au sujet de l'euthanasie; nous lui en sommes très reconnaissants.

Pourquoi, diable, tenir au respect inconditionnel de la vie ?

Le plaidoyer proposé par l’abbé Gabriel Ringlet en faveur d’un accompagnement spirituel du geste euthanasique (LLB 03/09/2015) a tout pour séduire. Voici une personne gravement malade qui éprouve une souffrance insupportable et qui a trouvé chez un médecin assez de compassion pour en être délivré par une dernière piqûre. Or comme cet acte qui met fin à une vie humaine ne peut rester enfermé dans les limites d’une technique médicale, un prêtre, compatissant lui aussi, se présente pour inscrire ce don de la mort dans un courant spirituel humblement symbolisé par la musique, la poésie, le parfum…D’où le soulagement, à la fois, de la personne mourante elle-même, qui se voit déculpabilisée du geste qu’elle a osé demander, et du personnel médical et paramédical qui pose ce geste ou qui y participe. N’est-il pas séduisant d’entendre : « Le rituel (…) sert simplement à donner le plus d’humanité possible à quelque chose de très fort que nous vivons (…) J’appelle cela : grandir dans la transgression ».

Il est vrai que, depuis les origines, l’être humain a su habiller des plus beaux atours la transgression des limites inhérentes à sa propre condition, tandis qu’il persécutait les sages et les prophètes qui les lui rappelaient. Mais, si l’on veut bien voir, recouverte par les artifices, la nudité de l’être confronté à son destin dramatique, ne convient-il tout de même pas de rappeler à la fois le caractère indépassable de la vie et le salut dont témoigne le prêtre ?

Mais comment faire comprendre que la vie humaine n’est pas à la disposition du vivant lui-même ? Peut-être pas autrement qu’en la rapportant à son origine : ‘je ne me suis pas fait moi-même’. Ce fait premier de la vie, qui m’est le plus intime, m’échappe pourtant entièrement. Cette étrange condition fonde en même temps le lien social. Toute vie humaine, du seul fait qu’elle est là, -y compris celle qui tremble sur une barque en péril au milieu de la Méditerranée-, mérite le respect. Nulle personne, pas même le sujet lui-même, ne peut y porter atteinte. Sinon, nous entrons nécessairement dans la violence.

Même entourée par l’esthétique déculpabilisante, la transgression euthanasique reste objectivement une transgression car, répétons-le, l’être humain n’a jamais le droit de mettre fin à la vie d’un autre. Dès lors, si le rituel qui accompagne le geste euthanasique est perçu, avec d’ailleurs les meilleures intentions du monde (que nous n’avons pas à juger ici), comme une manière de ‘grandir dans la transgression’, il est plutôt à craindre que, en réalité, il ne fasse grandir la transgression elle-même.

La demande de rituel, y compris de la part d’esprits laïques, honore assurément l’homme. L’être humain, créature spirituelle, ne peut pas et ne veut pas mourir comme un animal. Mais précisément, n’est-ce pas sur cette demande de rituel qu’il convenait de s’appuyer pour récuser l’euthanasie elle-même ? Plutôt que de dire : une décision est prise et je la bénis par un rite humanisant, ne fallait-il pas renverser la proposition ? Puisqu’il y a demande d’un rite spirituel qui manifeste la condition éminemment humaine du malade, ne fallait-il pas considérer comme contradictoire la décision euthanasique qui, dans l’objectivité des gestes, nie cette condition ?

Mais que faire alors, devant la grande souffrance ? Rien d’autre que s’employer, chacun, à fournir toute l’aide qui permettra au malade de la porter : le médecin, par ses soins consciencieux et attentifs ; la famille et les amis, par leurs marques d’affection. Et le prêtre ? Par le rappel de Celui qui nous a introduits dans la vie spirituelle en acceptant de mourir sur la croix. La Bible possède cette force étonnante de relever le défi de la mort en nous révélant la profondeur proprement divine de la vie qui nous tient ensemble. Et les sacrements (réconciliation, onction des malades, eucharistie…) sont la richesse spirituelle que l’Eglise offre aux croyants par la médiation de ses prêtres.

                                                                                   Xavier Dijon, S.J.

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