Quand justice et miséricorde se rencontrent… (22/09/2015)

Lu sur le blog « cahiers libres » :

Une tension immémoriale

2_rembrandt_610x343.jpgLe 8 décembre prochain débutera pour l’Église l’année de la Miséricorde. Sans attendre cette date, il m’a paru important de souligner l’importance de celle-ci pour la vie des croyants. De plus, ayant besoin d’un angle d’approche très précis pour ce court article, j’ai choisi d’aborder le sujet de la miséricorde dans son rapport avec la justice.

Thème éternel que ce face à face entre justice et miséricorde ! Très logiquement la justice a été associée à la vérité, et la miséricorde à l’amour. La justice de Dieu nous met face à la réalité de notre péché, de nos contradictions. Quant à la miséricorde, elle déplace le curseur en direction de la bonté : avec elle, Dieu passe outre nos égarements. La justice de Dieu porte la lumière sur nos errements ; la miséricorde, quant à elle, met l’onguent de la tendresse sur nos plaies en y apposant le sceau du pardon. Dieu, à défaut d’être complaisant envers elles, prend pitié de nos faiblesses, parfois même les « comprend ».

De plus, la justice n’est pas seulement l’affaire de Dieu. Nous devons la consolider à notre tour avec nos actes. En religion, cela s’appelle expiation, réparation. Mais point n’est besoin de croire pour cela. En toute justice, nous devons réparer les dégâts que nous avons causés. Par miséricorde, Dieu continue de payer le plus gros de l’addition à notre place – ce qu’il a réalisé principalement en envoyant son Fils dans le monde (dans quelles conditions !).

Cependant, cette distribution des rôle entre justice et miséricorde, vérité et amour, n’est-elle pas trop évidente pour être tout à fait probante ? Les choses ne sont-elles pas un peu plus complexes ? Et si la justice était aussi une question d’amour, et la miséricorde, une question de vérité ?

La justice est aussi une affaire d’amour…

En voulant que nous fassions la vérité sur nous-mêmes, que nous remboursions par exemple ce que nous avons volé, Dieu n’agit pas comme un maître dur et implacable. Au contraire, Il nous estime, nous traite en adultes responsables, capables de rattraper par nous-mêmes les erreurs ou les fautes que nous avons commises. S’Il passait systématiquement l’éponge sur elles, ne nous considérerait-Il pas comme des mineurs perpétuels, incapables de s’orienter dans la vie, et de répondre de leurs actes ?

Un Dieu « papa-gâteau » ne sera jamais un éducateur crédible à la liberté, ni un Père capable d’éprouver de la fierté pour ses enfants. Voilà pourquoi la justice divine est synonyme d’amour, de tendresse. L’amour de Dieu se reconnaît à l’autonomie qu’il laisse à ses créatures, à la liberté qu’il leur accorde, à la vérité qu’il exige de leur part, et enfin à l’exigence de répondre de leurs actes, d’en assumer les conséquences, de stopper les effets néfastes de celles-ci (en nous demandant de recoller les pots cassés par exemple).

…comme la miséricorde, une affaire de vérité

Quant à la miséricorde, elle peut être associée à la vérité en ce sens qu’en pardonnant, Dieu agit en fonction de la vérité de son Être qui est Amour. Car la miséricorde de Dieu n’est pas un attribut divin parmi d’autres, mais le principal. Le monde a été créé par miséricorde : le Tout-Puissant a désiré honorer les tout-petits que nous sommes en les appelant à l’être. Et la Rédemption, acquise dans la mort du Fils bien-aimé, porte davantage encore la marque de cet attribut divin essentiel.

Autrement dit, on ne peut comprendre la vérité du monde sans faire appel à elle. Dieu s’est toujours penché sur la misère de ses créatures. Que l’on songe par exemple à sa sollicitude envers Adam et Eve après leur chute. Dieu leur fournit des vêtements, alors qu’ils viennent de Le trahir ! N’est-ce pas là un signe prodigieux de miséricorde de Sa part ?

Si la miséricorde est la vérité de Dieu, il n’y pas de raison qu’elle ne représente pas également la vérité de l’homme. Celui-ci fait sa vérité, parvient à devenir lui-même lorsqu’il la pratique envers son prochain. Pourquoi ? C’est qu’en pardonnant à mon frère, non seulement je ne me considère pas comme supérieur à lui – ce qui relève de cette vérité que tous les hommes ont tous même et inaliénable dignité – , mais de surcroît j’imite la bonté de Dieu qui désire que personne ne reste enfermé dans son passé, ne soit prisonnier de ses méfaits.

Pardonner les offenses, c’est aussi attester cette vérité : nous sommes tous des ouvriers de la onzième heure, des ouvriers qui ne méritent pas le salaire que Dieu nous paye. Ce qu’Il nous donne n’est pas un dû. Dieu n’est pas notre débiteur. Au contraire, c’est nous qui avons une ligne de crédit chez Lui. Si nous avons moins péché que notre voisin, cela tient souvent à ce qu’Il nous a davantage fait grâce qu’à lui. Pour cette raison, nous aurions mauvaise grâce à ne pas pardonner à ce voisin qui a eu droit à un prêt moins important que nous !

Attention ! Ne ressemblons pas au débiteur impitoyable de la parabole ! En faisant la vérité sur notre vie, nous nous apercevrons vite que Dieu nous a fait plus souvent grâce que nous ne le pensons ! Aussi, en l’imitant, non seulement nous confesserons la vérité de la miséricorde divine à notre endroit, mais de plus nous serons logiques avec notre foi théologale relative à ce que Dieu est en Lui-même.

Pourquoi refuser de pardonner une peccadille à autrui, alors que Dieu a passé l’éponge sur mon égoïsme viscéral ? La miséricorde est bien une affaire de vérité. Je ne peux croire au pardon de Dieu et le refuser à mon pauvre voisin (à qui j’en veux souvent parce qu’il a percé à jour mes défauts ! une affaire de vérité toujours !). Ici aussi, il est nécessaire d’accorder ses actes à sa foi.

Lorsque le Christ nous demande d’être miséricordieux comme l’est notre Père céleste, c’est autant une recommandation morale (amour) qu’une révélation (vérité) qu’il nous dispense. La miséricorde nous ajuste à la vérité intime qui est celle de Dieu pour nous, à ses entrailles maternelles (rahamim). En effet, pour parler de miséricorde, l’Ancien Testament utilise le terme rahamin, dérivé du mot rehem qui désigne le sein maternel, ou les entrailles en lesquelles la culture biblique voyait le siège des sentiments.

Dieu se rend justice à Lui-même en étant miséricordieux

De plus la sainteté de Dieu est si haute que l’homme ne peut pas se comprendre sans la miséricorde de Dieu. Confesser celle-ci, c’est regarder cette vérité : nous sommes faibles, et Dieu est tout aimant. Ainsi Dieu fait justice à la vérité, la sienne comme la nôtre, en nous faisant miséricorde ! Sinon, il n’y aurait plus de monde : la justice implacable nous anéantirait tous.

Dans le livre du prophète Osée, Dieu déclare, après avoir considéré l’infidélité du peuple, et promis néanmoins qu’Il ne le punira pas en proportion de ses fautes :

« Car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis le Saint, et je ne viendrai pas avec fureur » (Os 11,9)

Que retenir de cette déclaration ? Dieu ne veut-Il pas nous faire comprendre par là que sa sainteté, sa transcendance par rapport à nous autres, ne s’exprime pas dans la colère mais plutôt dans la miséricorde ? Comment mieux dire que celle-ci n’est pas antinomique avec sa vérité ? Cette dernière n’est pas l’apanage de la justice ! La miséricorde de Dieu le révèle à la fois comme le Tout-Autre et le Tout-Proche ! Paradoxe de cette distance alliée à cette proximité inouïe ! Paradoxe qui fait écho à celui de l’alliance de la justice et de l’amour.

Ainsi, la justice de Dieu n’est pas contradictoire avec son amour qui nous veut responsables et libres, comme sa miséricorde n’est pas antinomique avec sa vérité. En se penchant sur nos misères, qu’elles soient physiques, morales ou spirituelles, en nous aimant plus que de raison, Dieu au final se rend justice à Lui-même, rend justice à son Être qui est Amour !

Jean-Michel Castaing »

 Ref. Quand justice et miséricorde se rencontrent…

JPSC

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