Catholicité, synodalité et… crustacé (03/11/2015)

Une chronique d'Eric De Beukelaer dans "La Libre" de ce jour:

Jadis au synode, les évêques osaient de timides nuances. Aujourd’hui, ils expriment ouvertement des désaccords. Cette nouvelle culture du débat, nuit-elle à "la catholicité" de l’Eglise - c’est-à-dire à son universalité ? Nullement. L’Eglise renoue ce faisant, avec la séculaire tradition de la disputatio - la controverse théologique - qui fleurit en son sein jusqu’à la Révolution française. La catholicité n’est pas monolithique. Il s’agit de l’universalité d’une famille, où coexistent des approches divergentes autour d’un unique credo. D’où la synodalité. Ce 17 octobre dernier, le pape François enseigna qu’ "une Eglise synodale est une Eglise de l’écoute. Peuple fidèle, collège épiscopal, évêque de Rome : l’un à l’écoute des autres et tous à l’écoute de l’Esprit Saint" .

Cela insécurise ? J’aime rappeler que le défi spirituel du baptisé est de devenir un vertébré plutôt qu’un crustacé. Si le homard est doté d’une carapace, c’est parce qu’il est mou à l’intérieur. De même, le chrétien-crustacé se protège du réel, en se forgeant une cuirasse de principes amidonnés. A ses yeux, toute évolution est signe de dégradation et de relativisme. Le chrétien-vertébré - lui - est souple et doux, car il construit sa foi autour d’une colonne vertébrale. Animé de fortes convictions, il les applique avec résilience, en rebondissant sur les imprévus de la vie. En termes philosophiques, le vertébré chrétien concilie la sophia - mot grec qui désigne la sagesse de contemplation - et la phronesis - ou sagesse d’action. La sophia l’invite à vivre selon la radicalité de l’Evangile. La phronesis mobilise son sens pratique, sans jamais renier l’idéal. Face à la complexité du réel, l’ingénieur, le juge, le médecin, le politicien, le parent, l’éducateur social, l’enseignant, etc. ne prend jamais de décision parfaite. Il recherche la moins mauvaise solution, compte tenu des circonstances (exemple : le patron chrétien de PME doit chercher à laborieusement concilier les idéaux de la doctrine sociale de l’Eglise avec la rigueur d’un bilan comptable).

Au cours du synode, les évêques germanophones ont donné à l’Eglise une leçon de synodalité. Réunis en groupe de discussion linguistique, ils avaient de sérieuses divergences sur la question des divorcés-remariés, mais ont rejeté la tentation du crustacé. Plutôt que de chacun se réfugier dans sa coquille, ils se sont mis à l’école de l’authentique catholicité. Excellents théologiens, ils savaient que - au cours de l’histoire de l’Eglise - la rencontre entre sacrements et humanité fut tout sauf un fleuve tranquille. Ainsi - pour préserver la sainteté du baptême - les premiers chrétiens ne baptisaient-ils les moins assidus que sur leur lit de mort (à l’instar de ces Eglises africaines, qui ne marient aujourd’hui sacramentellement que des couples âgés). Quand le baptême des enfants s’est généralisé, est apparue au Haut Moyen-Age, la forme individuelle (c.-à-d. non publique) du sacrement de la pénitence, permettant aux pécheurs, l’accès à l’Eucharistie. Si la confession accueillait le voleur, le violeur et l’assassin, elle ne pouvait cependant rien pour le divorcé-remarié. Durablement en situation irrégulière, ce dernier n’avait accès - ni à l’eucharistie ni même à l’absolution (ce que je "confesse" n’avoir jamais eu le cœur d’appliquer en confessionnal). A l’instar des orthodoxes qui pratiquent l’oikonomia - discipline jamais condamnée par Rome - les évêques germanophones ont donc suggéré au synode une voie de réconciliation pour certains divorcés-remariés, via un cheminement au for interne. Et cette piste fut accueillie en assemblée plénière. Chapeau bas. Ces prélats teutons se sont comportés en "vrais défenseurs de la doctrine qui défendent non les idées mais l’homme, non les formules mais la gratuité de l’amour" (pape François, clôture du Synode - 24 octobre).

Ref. Catholicité, synodalité et...crustacé

Mouais ! Sous leur carapace de crustacés, les évêques africains seraient donc des invertébrés, tandis que leurs confrères germaniques devraient leur souplesse légendaire à une puissante colonne vertébrale prévue de sorte qu’ils crussent assez. Pardon pour le vilain jeu de mot. Sur le fond de la question, je vous renvoie ici : concubinage et remariage

JPSC

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