Un film pour assister à la Résurrection du Christ, presque comme si l'on y était (07/05/2016)

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Lu sur EEChO.fr :

La résurrection du Christ
… presque comme si l’on y était 

Le 4 mai 2016, veille du jeudi de l’Ascension, sort en France le film La résurrection du Christ (titre original « Risen », qui aurait sans doute été mieux rendu par « Ressuscité » ou « Relevé des morts »). C’est un long métrage américain à grand spectacle, ouvertement chrétien, dans la lignée deLa passion du Christ, de Mel Gibson (2014), ou de Cristeros, de Dean Wright (2012, sorti sur les écrans français en 2014), qui bénéficie comme ceux là d’un budget important, bien qu’il ne s’agisse pas d’une superproduction, d’une distribution plus que correcte et du souffle et savoir-faire propres au cinéma américain. On se souvient de son réalisateur, Kevin Reynolds, pour avoir tourné notamment Robin des Bois, prince des voleurs (un des succès mondiaux de 1991), le titanesque Waterworld(1995), ou, pour les plus cinéphiles, La bête de guerre(1988). Il ne faillit pas ici à sa réputation de raconteur d’histoire pour les petits et les grands, et délivre un péplum qui, sur le plan formel de la cinématographie et du jeu de son acteur principal, Joseph Fiennes, tient vraiment la route.

La simplicité et l’efficacité de l’histoire qu’il raconte y sont pour beaucoup. Il s’agit d’y suivre l’enquête que mène Clavius, un tribun romain (officier de grade supérieur au centurion) sur l’étonnante affaire qui saisit tout Jérusalem alors qu’un importun (Jésus !) est sur le point d’être crucifié. Dans un contexte d’agitation messianique qui fait craindre au procurateur romain Ponce Pilate un soulèvement politique d’ampleur, celui-ci mandate son fidèle Clavius pour contrôler la bonne tenue du supplice et la mise en sûreté du corps, sous bonne garde et sous scellés. Mais voici que le corps disparaît du tombeau, au grand dam des autorités juives locales. Elles craignent en effet que les disciples du crucifié ne s’emparent de cette nouvelle effarante pour poursuivre la prédication de leur maître, et menacer leur pouvoir. Elles font pression sur Pilate, qui envoie Clavius en mission : il faut absolument retrouver le corps avant que ne se répande la rumeur d’un relèvement des morts de Jésus, leurs carrières et les bonnes grâces de César en dépendent.

 

Pierre-tombale-300x300.jpgNous sommes alors entraînés dans l’enquête de Clavius menée tambour battant, d’interrogatoires musclés en recherches infructueuses du corps dans les cimetières de la ville, de la traque des disciples rendus intrépides par les apparitions du Ressuscité en découverte d’indices troublants (le linceul et son image mystérieuse …), du désarroi des gardes du tombeau, confinant à la folie devant le refus du mystère de la résurrection, à la confrontation avec la rouerie des autorités juives qui mènent leur propre jeu face à Pilate. Nous voyons Clavius cheminer et partageons ses déconvenues à mesure que s’effondrent une à une toutes les explications logiques à la disparition du corps. Jusqu’à ce que produise l’impensable pour ce détective antique mais très rationnel : la rencontre physique avec Jésus, vivant, le même qu’il avait vu expirer sur la croix. Tout bascule alors pour lui : sa loyauté envers Rome et Pilate, ses ambitions, ses croyances, sa représentation du monde. S’ouvre alors la seconde partie du film, qui voit un Clavius déchu de sa superbe, accompagnant les disciples jusqu’en Galilée à la rencontre du Ressuscité, témoin d’apparitions et miracles plus ou moins apocryphes (entre guérisons et pêche miraculeuse). Jusqu’à son propre envoi en mission.

Que dire, que penser de ce film ? Tout d’abord, qu’il répond au fantasme de tout chrétien : être là, s’imaginer en passager clandestin de l’Histoire pour vivre ce temps ô combien crucial, rencontrer le Ressuscité dans son corps glorieux. Et en être transformé, comme Clavius (« O happy day » …). De fait, l’histoire, bien imaginaire, de Clavius nous renvoie tous à notre propre histoire, celle de notre rencontre avec Jésus, et à la transformation de nos vies. A l’image de celle de Clavius, des pèlerins d’Emmaüs, ou de tous les disciples, avons nous changé de chemin, avons emprunté celui de la foi, y poursuivons nous la route ?

On notera également quelques réflexions intéressantes dans la mise en scène des attentes spirituelles en ce début de premier siècle : la question du salut s’y pose ardemment. On la distingue chez les « zélotes » révoltés contre l’occupation romaine (contre lesquels Clavius aura maille à partir au début du film – historiquement, le mouvement zélote n’embrasera la Terre Sainte que bien plus tard), dans l’attente chez le peuple hébreu de la venue du Messie, redoutée par des autorités juives qui craignent la perte de leurs prébendes, dans les espérances politiques d’une libération et d’une réunification d’Israël par ce Messie, ce que les Romains ne sauraient tolérer. Ces réflexions se font plus subtiles dans les échanges et confidences auxquelles se livrent Pilate et Clavius. Certes, le politique a beau prier Minerve pour la sagesse, et le légionnaire prier Mars pour le succès de ses armes. Mais quelle est leur espérance dans ce monde en proie aux tourments du mal ? Ils le côtoient l’un comme l’autre, le gouvernant ballotté dans sa quête de pouvoir entre les desiderata de César et des autorités juives, comme le soldat repu de sa ration de tueries quotidiennes. Ils voient le mal à l’oeuvre autour d’eux, mais réalisent-ils qu’il est aussi en eux-mêmes ? Tandis que le corps de Jésus repose en son tombeau et que se joue le salut du monde, chacun, dans cette attente inconsciente du salut, a sa petite recette personnelle pour s’accommoder du mal : Clavius fait carrière, dans l’espoir que les honneurs et la richesse lui permettront de se retirer en paix à la campagne, loin de la mort et des horreurs de la vie militaire ; Pilate, parfait cynique, s’en remet aux plaisirs du Monde pour ne plus y penser. De très justes illustrations du riche insensé de la parabole, qui « amasse des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu » (Lc 12, 15-21). La rencontre avec le Ressuscité et ses disciples va tout changer pour Clavius : il renoncera à tous ses plans, ses calculs, ses espérances anciennes pour le suivre, au péril même de sa vie.

Bien sûr, nous ne pourrons pas nous empêcher d’émettre quelques critiques tatillonnes quant à certains aspects historiques et de vraisemblabilité du film – n’est ce pas la raison d’être d’EEChO ?
– Le personnage de Clavius est tout à fait imaginaire, bien entendu, créé pour les besoins de l’exercice cinématographique. Tant pis donc si son caractère de latin totalement étranger au contexte hébreu le fait apparaître comme l’équivalent antique du GI américain d’aujourd’hui, envoyé comme lui en conquérant de peuples qu’il ignore superbement.
– Le film situe la passion et la résurrection en 33, soit 3 années après les faits historiques : d’après les calculs des historiens modernes appliqués aux Évangiles, la crucifixion a eu lieu une veille de sabbat, donc un vendredi, également jour de la « préparation » de la Pâque juive, donc le 14 du mois de Nissan dans le calendrier hébraïque ; ces deux éléments coïncident le 7 avril de l’an 30 de notre ère.
– La découverte par Lucius, un sbire de Clavius, d’un linceul chiffonné dans le tombeau vide ne correspond pas à la description de l’Évangile selon Saint Jean du linceul affaissé et aplati, déclic de sa foi (« Il vit et il crut » – Jn 20,8). Ce même linceul qui indique d’ailleurs que Jésus a été crucifié en utilisant un seul clou pour les deux pieds, contrairement à ce que montre le film.
– Si l’acteur qui incarne Jésus, Cliff Curtis, néo-zélandais d’origine maori, manque singulièrement de couleur locale (il correspond bien peu à l’image de l’homme du linceul … et bien trop à l’imagerie convenue du « Moyen-Oriental » déployée dans de nombreux films américains), il manque aussi de charisme et campe hélas un Jésus bien falot.
– Marie-Madeleine est mise en avant, une fois encore décrite à tort comme une ancienne prostituée (qui plus est une « célébrité » parmi la soldatesque romaine …), là où les traditions nous enseignent qu’elle était en fait Marie de Béthanie, la sœur de Lazare et Marthe. Et l’on ne verra quasiment jamais les autres femmes, en particulier Marie mère de Jésus, aperçue fugitivement dans la foule au pied de la croix.
– Des libertés sont prises allègrement avec le respect des coutumes et de la Loi par les Juifs : charniers à ciel ouvert à un jet de pierre des murailles de Jérusalem, religieux – Caïphe en tête – qui se promènent sans honte en plein sabbat, conversant avec Pilate dans ses appartements au mépris de toutes les règles de pureté, intégration de Clavius, l’impur, dans la compagnie et à la table des disciples, toutes incongruités qui, avec d’autres, ne rendent pas compte du caractère si particulier du peuple juif et de sa religiosité. Elles pourraient laisser penser que ces événements auraient pu se produire n’importe où et n’importe comment, occultant ainsi l’histoire et le rôle du peuple juif dans celle du Salut.
– Des impasses sont faites sur l’organisation juive de la société, le Temple, le règne des tétrarques, les autorités juives de Jérusalem et leurs soldats, donnant l’impression que la Judée était entièrement administrée par l’armée romaine. Le pouvoir romain reposait pourtant sur la collaboration active de ces autorités juives (noyautées par les usurpateurs hasmonéens et leurs descendants), et la garnison de Jérusalem ne comptait que relativement peu d’hommes. Lesquels étaient syriens, et non latins, parlant donc l’araméen nécessaire à leur mission – évidemment, chez Kevin Reynolds, tout le monde parle américain, c’est plus simple, et cela permet à Jésus de se faire plus facilement comprendre du très latin Clavius …

Quant à la conformité avec les Évangiles, les 40 jours après Pâques n’en paraissent que 4 ou 5, jusqu’à une Ascension « express » que le metteur en scène place en Galilée, au bord du lac de Tibériade, et non sur le Mont des Oliviers – ce qui laisse à peine le temps à Jésus d’envoyer en mission les Onze, ainsi que ce brave Clavius. Cette période de 40 jours (le chiffre symbolique du discernement de Dieu, du façonnage des cœurs par Dieu) n’est pas un hasard : Jésus n’a pas chômé durant tout ce temps, apparaissant aux disciples et les enseignant pour la mission comme le montrent les études exégétiques. Les Onze tels que figurés dans le film y semblent bien peu préparés. « Je n’ai pas réponse à tout » y rétorque Pierre à Clavius lorsque ce dernier le questionne sur la nature divine de Jésus, laissant ouverte la porte à toutes les interprétations déviantes. D’autant plus que les Apôtres s’y séparent dès l’Ascension, allant sans doute directement évangéliser le monde (quid de Clavius ?) en passant la Pentecôte et tout ce qui suivra par pertes et profits.

Clavius-300x300.pngDès lors, et c’est sans doute la critique la plus fondamentale à émettre à l’égard de ce film, on se demandera ce que la figure de Jésus représente pour Clavius. Il l’ignore totalement durant sa vie publique, le voit pour la première fois mourant sur la croix, puis le côtoie vivant, relevé des morts, jusqu’à contempler sa gloire lors de son ascension. Mais qu’est ce pour lui sinon un prodige, une manifestation aveugle, et donc stérile, de puissance ? Jésus était-il pour lui le Messie, le Verbe et le vrai Sauveur ? Les Évangiles et la tradition de l’Église nous enseignent que Jésus a réservé ses apparitions à ses disciples, élevés dans l’attente messianique, conformément à la religion des fils d’Israël, et enseignés par lui pour porter la Bonne Nouvelle du Salut dans les communautés de la diaspora juive du monde entier, jusqu’aux confins de la terre. Lesquelles ont à leur tour évangélisé les païens (dont les latins, n’en déplaise à Clavius qui aurait du attendre son tour !). Jésus n’est pas apparu au monde entier pour s’imposer à tous par sa puissance divine, comme il semble le faire auprès de Clavius dans le film (ce dernier s’y interroge d’ailleurs exactement sur ce point). C’est bien par sa Parole, par l’adhésion libre et personnelle à sa personne, et par le baptême que sont offerts le Salut et la vie éternelle. Non par l’arbitraire de la puissance divine, comme d’autres religions le stipulent.

On comprend donc que soient publiées certaines critiques négatives (« prechi-precha », « reconstitution historique parfaitement erronée ») : le film s’adresse de fait aux convaincus, et risquera de rester aussi peu crédible pour les non-chrétiens (voire même intelligible) que les histoires américaines de super-héros. De ce point de vue, le film de Mel Gibson (La Passion du Christ) ou le roman d’Eric-Emmanuel Schmitt (L’évangile selon Pilate, à la trame très proche du film) étaient de bien meilleurs outils de découverte de la foi chrétienne et de catéchèse, laissant la part belle à la Parole ou au questionnement intérieur (« Et vous, qui dites vous que je suis ? » – Mc, 8,29).  Dans le cadre contraint que propose La résurrection du Christ, on peine en effet à imaginer que Clavius eusse pu être enseigné par les disciples eux-mêmes durant le temps de la marche entre Jérusalem et la Galilée, confesser la foi, être baptisé, pour partir en mission par la suite. Mais on voudra bien y croire, car même si le film a tout de l’oeuvre apocryphe, son souffle nous entraîne et ne pourra que ravir le spectateur averti. Il assistera ainsi  à la Résurrection, presque comme si il y était, et suivra avec enthousiasme Clavius dans sa quête de vérité qui le mènera au Christ. Quant à celui qui découvrirait la figure de Jésus en voyant le film, réjouissons nous déjà que la résurrection lui soit présentée comme un événement historique, réel et bien matériel, et espérons qu’il pourra poser ses questions à un chrétien bien formé.

La résurrection du Christ (Risen), 2016, 1h47 De Kevin Reynolds, avec Joseph Fiennes (Clavius), Peter Firth (Pilate), Cliff Curtis (Jésus), Tom Felton (Lucius)

L’équipe EEChO

PS : nos amis du Salon Beige proposent de coordonner les demandes pour organiser des projections du film ;informations et marche à suivre à consulter sur leur site

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