Dans l'ensemble, cependant, les origines de Khan ont joué un rôle autant négatif que positif. Elles lui ont apporté du soutien et de la sympathie chez les électeurs et les médias de gauche ; dans le même temps, l' «identitarisation» relative de cette élection a excédé beaucoup d'électeurs. De fait, le soupçon est toujours présent que la gauche joue trop sur les identités, et cela peut avoir des effets négatifs. Par exemple, une petite minorité, au sein du Labour, montre une certaine tolérance à l'égard de l'antisémitisme. Les récentes déclarations de Ken Livingstone, l'ancien maire de la ville, qui a fait de Hitler un sioniste, l'ont bien montré. Même si Khan a aussitôt condamné Livingstone, l'épisode a été dévastateur pour le Labour et a quelque peu nui à la campagne de Khan, d'autant qu'il y a dix ans, Khan et Livingstone avaient des opinions bien plus proches, notamment sur Israël. La politique identitaire est toujours à double tranchant.
Sadiq Khan a été accusé d'affinité avec les islamistes. Est-ce le cas? Ce soupçon a-t-il pu jouer en sa défaveur?
Il est très difficile de répondre à cette question. Les activités professionnelles de Khan - il était avocat spécialiste des droits de l'homme - l'ont, dit-il, mené à côtoyé des représentants de l'islam radical, voire à dialoguer avec eux lors de débats. Mais comment distinguer ses obligations professionnelles d'une possible tolérance indue?
On observe surtout un changement d'attitude depuis dix ans. En 2004, il a par exemple participé, en tant que candidat à la députation pour le Labour, à une conférence avec cinq extrémistes islamistes, organisée par Friends of Al-Aqsa, un groupe pro-palestinien qui a publié des travaux du révisionniste (selon les termes du Guardian) Paul Eisen. A cet événement, les femmes devaient emprunter une entrée distincte des hommes! La même année, président des affaires juridiques du Muslim Council of Britain, il a participé à la défense de l'intellectuel musulman Dr Yusuf Al-Qaradawi et nié le fait que celui-ci soit un extrémiste. Il est pourtant l'auteur d'un livre, The Lawful and Prohibited in Islam, où il justifie la violence domestique à l'égard des femmes et soutient les opérations martyres contre les Israéliens.
Cependant, pendant la campagne électorale, Khan n'a cessé de condamner l'extrémisme, et demandé la suspension de Livingstone après ses remarques antisémites. Il est aussi haï par certains radicaux car il soutient le mariage gay. Ce changement d'attitude est-il pure tactique ou est-il sincère? Inversement, sa supposée proximité ancienne avec certains radicaux était-elle sincère, où là encore tactique? Dans tous les cas, je ne crois pas que Khan cautionne l'extrémisme. En revanche, il représente une voix assez commune à gauche - surtout dans ce que j'appelle «la gauche du ressentiment» représentée par Corbyn, que Khan a d'ailleurs soutenu en septembre dernier pour son élection à la tête du Labour: celle qui consiste à expliquer les attitudes des extrémistes et des terroristes par la seule et unique faute de l'Occident. Ainsi en 2006, élu député, Khan était l'un des signataires d'une lettre au Guardian qui attribuait la responsabilité des attentats terroristes - comme celui du 7 juillet 2005 à Londres - à la politique étrangère britannique, notamment son soutient à Israël. Cette position et l'ambiguïté passée de Khan ont forcément créé un soupçon en sa défaveur.
Londres est-elle la ville du multiculturalisme heureux?
Oui et non! Tout dépend ce que vous entendez par multiculturalisme. Si vous pensez à la diversité des nationalités représentées à Londres, il y a en effet quelque chose d'admirable dans cette ville et sa capacité à faire vivre ensemble des personnes d'origines différentes.
Mais quand on parle multiculturalisme en Europe aujourd'hui, on le prend dans un sens plus politisé, celui de la complexe relation entre la population d'origine, chrétienne ou athée à coloration chrétienne, et les populations plus ou moins récentes de confession musulmane. En Grande-Bretagne, en apparence, tout se passe bien. Les musulmans modérés sont tout à fait intégrés. Ce qui est assez problématique - comme dans d'autres villes européennes -, c'est l'existence de quartiers entiers où le séparatisme identitaire est visible. C'est le cas dans l'Est de London, notamment dans le borough de Tower Hamlets. 30% de la population y est musulmane, concentrée dans des council houses. En 2014, l'ancien maire, Lutfur Rahman, a été limogé après des soupçons de fraude et de favoritisme communautaire. A Tower Hamlets, beaucoup de femmes sont voilées de pied en cap, suivies de près par leurs maris. La difficulté qui en découle est à la fois anecdotique et majeure: vous ne pourriez pas, si vous en aviez envie, engager la conversation avec elles, car ce voile crée une barrière. Situation rare en France, elle est très fréquente ici. Et pourtant ce quartier abrite l'une des meilleures universités de Londres, Queen Mary University, qui brasse des étudiants du monde entier. Les populations se côtoient donc sans se parler, sans se connaître. Difficile d'y voir un multiculturalisme heureux - ni malheureux d'ailleurs: c'est bien plutôt un multiculturalisme de l'indifférence.
L'insécurité culturelle que traverse la France est-elle aussi une réalité en Grande-Bretagne?
Les Britanniques ne parleraient jamais, comme nous le faisons, d' «insécurité culturelle». A mon sens, l'insécurité culturelle à la française vient autant du sentiment d'une menace extérieure que d'une perte de confiance dans notre propre modèle. Les Britanniques, malgré la présence de cette «gauche du ressentiment», sont moins enclins au dénigrement de soi. Ensuite, leur interprétation des faits diverge de la nôtre. Beaucoup de Britanniques ne voient aucun mal à la séparation que je viens de vous décrire - pour eux, il s'agit simplement de l'expression de la volonté de certains musulmans attachés à leurs traditions. Tant qu'ils respectent la loi, pourquoi leur en vouloir? Pendant longtemps, la mise en garde vis-à-vis d'une supposée trop faible intégration des musulmans est restée l'apanage des conservateurs britanniques les plus traditionalistes.
Le multiculturalisme commence cependant à perdre de son lustre. Deux séries d'affaires retentissantes, depuis 2014, ont bouleversé le pays: d'abord celle du «Trojan Horse» en 2014 et 2015, où furent découvertes des tentatives concertées de mettre en œuvre, dans plusieurs écoles de Birmingham, une philosophie et des pratiques islamistes ou salafistes.
Pire, on a mis a jour dans les dernières années de nombreux cas d'abus sexuels sur mineurs, perpétrés par des «gangs» dont les membres étaient d'origine musulmane. Ce fut le cas à Rotherham entre 1997 and 2013, où 1400 jeunes filles ont été violées. Cinq hommes d'origine Pakistanaise ont été condamnés. On a découvert des horreurs similaires à Rochdale, Derby et Telford. Le cas le plus récent est celui d'Oxford, où un groupe de sept hommes, entre 2006 et 2012, a exploité sexuellement 300 mineures, avec une violence parfois épouvantable.
La multiplicité des cas est frappante. Surtout, tous les membres des gangs étaient à chaque fois d'origine musulmane, et les jeunes filles - âgées parfois de 12 ans - blanches. C'est pourquoi depuis 2014, date où les premiers rapports officiels ont été publiés, on s'interroge sur une éventuelle motivation ethnique des agresseurs. Par ailleurs, dans de nombreux cas, on a constaté que la police et les conseils locaux avaient tardé à prendre au sérieux les plaintes des victimes, quand ils ne leur riaient pas tout simplement au nez. Aujourd'hui, les autorités émettent sérieusement l'hypothèse que cette timidité et ce déni pourraient provenir de la crainte de la police et des conseils locaux de se voir, à l'époque, accusés de racisme. Ces épisodes sont absolument dramatiques, et en même temps, ils sont peut-être le début d'une prise de conscience salutaire que la tolérance multiculturelle s'est muée, dans certains cas, en aveuglement.
Commentaires
Recevant hier au Vatican le Prix européen « Charlemagne », le pape François a déclaré, au terme d’un long discours prônant l’intégration, le dialogue et la capacité de générer : « je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie ».
Écrit par : JPSC | 07/05/2016
Belle victoire pour l'Islam. Ne nous faisons pas d'illusion: après Londres, ce sera Paris, Bruxelles, Berlin et j'en passe. La naïveté, la lâcheté, la bêtise et l'anti-christianisme nous perdront. Jean-Pierre Snyers
Écrit par : Jean-Pierre Snyers | 07/05/2016
Bonsoir Monsieur,
Souvenez-vous, lors des dernières élections communales en Belgique, en vertu des dispositions applicables, le siège de bourgmestre à Bruxelles aurait dû revenir à un musulman. "Ils" (au PS) ont usé de subterfuges pour en nommer un autre à sa place. Ce fut Y. Majeur. Ils ne pourront pas rééditer le même jeu la fois prochaine.
Écrit par : Rico | 07/05/2016
Ce doit être le le même subterfuge qui permet que soient, presque toujours, nommés bourgmestre , des gens de la Loge . Bruxelles, Charleroi, Gand ......
Écrit par : thérèse | 08/05/2016
Ce n'est pas la même chose, non. Le mode de désignation du bourgmestre répond désormais à d'autres critères que le choix automatique de la tête de la liste qui arrive en tête, ou qui guide la coalition de circonstance. C'est en cela qu'il y a "subterfuge". La portée symbolique (et totalement inattendue) de l'arrivée en tête d'un musulman à Bruxelles a conduit à désigner quelqu'un d'autre, soit Y. Mayeur.
L'appartenance à une loge est généralement tenue secrète, au contraire de l'appartenance à l'islam du désormais nouveau Lord maire de Londres... qui est officiellement reçu en la cathédrale anglicane de Southwark, avec une femme voilée juste derrière pour immortaliser l'événement, pour une photo qui fera date et qui n'est pas sans nous rappeler le "V" de la victoire, manifesté par une certaine Mahinur Ozdémir, CDH, lors de sa prestation de serment au parlement bruxellois, elle-même voilée... et accessoirement recadrée pour les besoins techniques d'une photo destinée à la propagande électorale.
Écrit par : Rico | 08/05/2016