Il y a 70 ans, quand le général Mihaïlovic était assassiné par les communistes yougoslaves (14/07/2016)

De Miloslav Samardjic* sur le site de France Catholique

70e anniversaire de l’assassinat du Général Mihaïlovic par les communistes yougoslaves

Par Miloslav SAMARDJIC *

Beaucoup a été écrit sur le général Draja Mihaïlovic, mais ce n’est que maintenant que des documents, disponibles depuis une dizaine d’années, sont enfin analysés et lui rendent vraiment justice sur son rôle dans la 2de Guerre mondiale. Quant à son procès, à l’issue duquel il fut assassiné, il y a 70 ans, le 17 juillet 1946, la plaidoirie complète n’en a été publiée qu’en 2015.

L’avocat de la Défense, le Dr Dragic Joksimovic savait que son client était déjà condamné à mort. Il savait aussi que le même sort lui serait réservé s’il décidait de remplir sa mission, mais cela ne l’a pas découragé. Le 8 juillet 1946, dans la grande salle de l’immeuble qui était, avant guerre, celui de la Garde royale, le président du Tribunal militaire de la Yougoslavie socialiste, fondée moins de neuf mois plus tôt, le colonel Mihailo Djordjevic, a appelé, à 19 h 15 précises, le Dr Joksimovic, à faire sa plaidoirie pour ce procès qui durait depuis presque un mois.

Le général Draja Mihaïlovic, 53 ans, était le commandant de l’Armée Royale yougoslave, plus connue dans la population comme les «  Tchetniks  », pendant la Seconde Guerre mondiale. C’était un officier spécialisé dans la guérilla et dans le renseignement, qu’il avait étudiés en France avant la guerre. Il avait multiplié les actes de résistance contre l’occupation allemande et ses alliés. Le général de Gaulle l’avait décoré de la Croix de Guerre en 1943, mais c’est au milieu de cette année-là que les Alliés occidentaux, et notamment Churchill, l’avaient trahi au profit des communistes yougoslaves, par un réalisme politique qui se révélera une faiblesse inutile. Mihaïlovic, privé de tout secours, malade, incroyablement calomnié, poursuivit la lutte pour la liberté jusqu’en mars 1946 où il fut capturé par ruse, emprisonné puis horriblement torturé durant deux mois.

Le Dr Joksimovic, 53 ans lui aussi, visiblement exténué et de santé fragile, s’est levé et a demandé à la cour que lui soient accordées deux faveurs. La première était de laisser la parole à un confrère défendant un autre accusé parce que, debout depuis quatre heures du matin et habitant loin, il tenait maintenant à peine sur ses jambes. Le juge Djordjevic lui a répondu  : «  C’est maintenant votre tour, voulez vous parler oui ou non  ?  ».

 

Sa seconde requête concernait le projecteur qui était dirigé sur lui. La soirée était étouffante et même si les conditions avaient été plus tempérées, cette lumière le dérangeait et c’était la première fois dans sa longue carrière d’avocat qu’il était confronté à ce genre de chose. à cela, le juge Djordjevic répondit  : «  Allumez plus fort le projecteur  !  »

Derrière le Dr Joksimovic, le public, auquel on avait distribué des cartons d’invitation comme pour un spectacle, remplissait la salle, avait été méticuleusement choisi et entraîné. Il demandait à intervalles réguliers non seulement la tête de l’accusé mais aussi celle de l’avocat. Juste en face de ce dernier se trouvait le procureur, le colonel Milos Minic. Le Dr Joksimovic savait que Minic était au­paravant le chef de la police secrète communiste pour la ville de Belgrade et que, sous son règne, des milliers de civils avaient disparu du jour au lendemain sans laisser de trace. D’ailleurs, le pro­cureur n’hésitait pas à menacer accusés et avocats. à sa droite, le président du tribunal, le colonel Djordjevic, empêchait directement l’avocat de la défense d’apporter les preuves que ce dernier considérait comme les plus importantes.

En somme, les conditions pour exposer la défense étaient épouvantables et dans ces circonstances beaucoup auraient jeté l’éponge. Mais le Dr Joksimovic a démarré son exposé. Il était constamment interrompu par le public, par le procureur et par le juge, mais il a parlé pendant quatre heures, jusqu’à près de minuit. Ce sont précisément ces conditions qui lui ont donné une force surhumaine, à tel point qu’il a sans doute, ce soir-là, exposé la meilleure défense que l’histoire de la justice serbe ait jamais connu. Mais jusqu’à ce jour, seuls les communistes savaient qu’elle était la meilleure, c’est pourquoi ils ne l’ont jamais publiée. Ils avaient plusieurs fois reproduit le procès verbal du procès au général Mihaïlovic rédigé par le greffier, mentionnant chaque fois que les précédentes versions étaient censurées et que celle-ci ne l’était pas. Mais, la censure était toujours là. La version non censurée de la défense par le Dr Joksimovic n’a été dévoilée à l’opinion publique serbe qu’en 2015 dans un livre que j’ai humblement mis en forme et publié.

Le Dr Dragic Joksimovic était docteur en Droit de la Sorbonne et juriste d’une grande expérience, alors que le procureur et le président du tribunal avaient obtenu leur titre élevé de juristes ainsi que leur haut grade d’officiers du jour au lendemain, alors même qu’ils n’avaient été auparavant qu’avocats stagiaires et n’avaient pas effectué leur service militaire avant la guerre.

L’assurance du Dr Joksimovic venait du fait qu’il était conscient que, par le Droit romain, il héritait des acquis millénaires d’une Civilisation, alors que, de l’autre côté, se trouvait la misère intellectuelle et morale d’une tyrannie barbare comme tant d’autres et qui passerait malgré sa violence.

La force du Dr Joksimovic résidait aussi dans la conviction qu’il était du côté de l’honnêteté, contrairement à ses adversaires, lesquels, depuis plus d’un an et demi vivaient par exemple dans des appartements et des maisons dont ils avaient fait exécuter les propriétaires pour s’emparer de leurs biens. En d’autres termes, il savait bien que les prétendus juges du moment auraient dû se trouver sur le banc des accusés, mais il était convaincu qu’un jour Justice serait rendue. Sa force venait aussi de la quiétude de celui qui se sait condamné d’avance, car le Dr Joksimovic ne pouvait que savoir que le verdict avait déjà été décidé, pour son client, comme pour lui-même. Il y puisait la certitude que le sacrifice pour un but noble n’est pas vain – certitude qui se transmet de génération en génération dans le peuple serbe, et que même le général Mihaïlovic, très croyant, avait évoqué dans son message pour la Pâques orthodoxe 1945 : «  Nous pouvons périr dans cette lutte, mais sa victoire est certaine, la victoire et les bienfaits pour les survivants et les générations à venir  ».

Le procès verbal authentique donne le ton de ce qu’a été ce procès. Nous pouvons y voir comment le président du tribunal interrompt le Dr Joksimovic  : «  N’abusez pas de la démocratie dans ce procès  », ce à quoi le public répond  : «  Mettez Joksimovic sur le banc des accusés  !  ».

À l’accusation de collaboration avec les Allemands faite au général Mihaïlovic, son avocat voulait dire qu’au camp de Bagnitsa à Belgrade, les prisonniers les plus nombreux étaient justement les «  sympathisants de Draja Mihaïlovic  ». Les Allemands ont d’ailleurs très vite renommé ce camp «  camp de détention DM  ».

Le dialogue s’est déroulé comme suit  :

L’avocat de la défense Joksimovic  : Le camp de Bagnitsa. Dans ma requête du 28 juin j’ai proposé…

Le président du tribunal  : Je ne vous autorise pas à parler d’une requête qui a été rejetée. Je vous demande de passer à la plaidoirie.

L’avocat de la défense Joksimovic  : Je vous prie de bien vouloir m’y autoriser… Le président du tribunal  : Même si je dois interdire la parole à la défense je ne peux vous y autoriser. 

Le Dr Joksimovic n’a pas non plus été autorisé à citer une brochure tout juste publiée, signée par Tito, dans laquelle on pouvait lire que celui-ci avait employé dans ses correspondances pendant la guerre, exactement les mêmes expressions que l’on retenait maintenant comme pièces à charge contre le Général.

Le général Mihaïlovic a été condamné à mort le 15 juillet 1946 et exécuté deux jours plus tard dans un endroit tenu secret et ce avant même que le délai pour faire appel ait expiré. Pour le symbole, il a été tué le jour anniversaire de l’assassinat du dernier Tsar russe, Nicolas Romanov en 1918. Le Dr Joksimovic, pour sa brillante défense, a été récompensé d’après les règles des faiseurs de justice de ce temps  : peu de temps après le procès Mihaïlovic, il a été arrêté pour «  intelligence avec l’ennemi  » et condamné à trois ans de bagne ce qui, compte tenu de sa santé fragile, équivalait à la peine capitale.

Emprisonné dans une cellule prévue pour 12 prisonniers dans laquelle on avait entassé 124 «  cadavres vivants  ». Il est mort 290 jours avant l’échéance de sa peine, et ce n’est qu’à l’issue de celle-ci que sa famille a été autorisée à récupérer sa dépouille pour l’enterrer dans son village natal.

La Haute Cour de Justice de Belgrade a réhabilité le général Mihaïlovic en mai 2015, considérant que sa condamnation était nulle et non avenue. Il est réputé non jugé. Sa dépouille n’a toujours pas été retrouvée à ce jour.


Photo : Draja Mihaïlovic à son procès.


* Miloslav Samardjic est historien et journaliste. Spécialiste de la Guerre Mondiale en Yougoslavie, il a publié en français Le Royaume de Yougoslavie dans la 2de Guerre mondiale, disponible uniquement sur https://www.pogledi.fr/fr/le-royaum...

Lire également : http://www.lefigaro.fr/vox/histoire/2016/07/17/31005-2016...

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