Ordinariats pour les Anglicans: une réception mitigée (29/11/2016)

AUMass-elevation.jpgCes uniates d’un nouveau genre sont perçus par les milieux « conciliaires » comme une variante des communautés traditionalistes (photo ci-contre: célébration dans un ordinariat) existant au sein de l’Eglise latine et traités comme tels, souvent avec la même réserve. Un article rédigé  par Paul de Petiville pour l’ « Homme Nouveau » :

« La constitution Anglicanorum Coetibus a désormais près de sept ans. En promulguant cette constitution, l’objectif de Benoît XVI était de répondre au souhait de certains anglicans de rejoindre l’Église catholique en les intégrant dans des Ordinariats qui seraient créés pour l’occasion. Un certain nombre d’Ordinariats ont donc été créés dans l’ensemble du monde anglophone pour accueillir toutes les communautés qui souhaitaient réintégrer l’Église. En Angleterre, c’est l’Ordinariat Notre Dame de Walsingham qui a été créé en 2011. Cet Ordinariat regroupe à la fois des prêtres et des fidèles de la Traditional Anglican Communion mais également de simples pasteurs anglicans qui sont scandalisés par l’évolution de l’Église d’Angleterre. Ce phénomène d’uniatisme à l’anglaise n’a pas été sans créer de nombreux remous. Du côté anglican, on met les prêtres et les fidèles à la porte des églises. Mais du côté catholique, l’accueil n’est pas été toujours à la hauteur des enjeux. Deux églises ont été données à l’Ordinariat à Londres. Un certain nombre de prêtres étant mariés et ayant une famille, ceux-ci ont accepté de se voir intégrés dans l’église catholique locale mais en abandonnant leurs traditions et leur troupeau. D’autres ont dû acheter des églises en faisant appel à la générosité des fidèles. Enfin certains ont trouvé accueil au sein d’une paroisse existante et peuvent célébrer la messe selon l’usage anglican traditionnel. Ces possibilités de messes sont malheureusement offertes au compte-gouttes. À Birmingham, c’est le premier dimanche du mois qu’est célébrée une telle messe, à Édimbourg le troisième dimanche du mois, à Manchester le quatrième dimanche, etc. Dans certains cas, il n’y a pas de messes le dimanche mais une seule messe le samedi soir. Comme on le voit, l’accueil en milieu catholique ressemble un peu à la manière dont le motu proprio a été appliqué par les évêques en 1988. À partir de 2014, l’Ordinariat a lancé une série de journées portes ouvertes (« exploration days ») visant à faire connaître celui-ci auprès des anglicans. L’ensemble des paroisses ont été mobilisées à chaque fois, les formats variant d’un endroit à l’autre : concert de chant sacré, conférence, visite, service liturgique etc.

Nous sommes allés interroger le Père John Maunder qui dessert la paroisse Sainte Agathe à Porsmouth.

Votre paroisse est la première à avoir existé après la mise en place de l’Ordinariat. Pouvez-vous nous expliquer ?

Père John Maunder : Les débuts ont été un peu compliqués. Cette église était à l’origine une église anglicane qui a été fermée en 1954, en raison du réaménagement du quartier en partie bombardé pendant la Seconde Guerre mondiale. L’église a été classée par le gouvernement comme monument historique, ce qui nous a permis de débuter en 1968 une longue campagne de sauvetage. Pendant ce temps l’Église d’Angleterre continuait son processus de « modernisation » qui la distingue aujourd’hui de moins en moins d’une simple Église protestante. Dans les débuts, l’église d’Angleterre déclarait n’être séparée de l’Église catholique que pour des raisons politiques et non pour des motifs touchant la foi. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Quand la première femme fut ordonnée diacre, j’ai quitté l’Église d’Angleterre pour rejoindre la TAC (Traditional Anglican Communion). À l’époque nous étions présents à Winchester, qui est à une cinquantaine de kilomètres d’ici. Puis l’église de Portsmouth après de nombreux travaux devint disponible et nous nous y installâmes en 1998. Quand Benoît XVI proposa aux anglicans de rentrer dans l’Église catholique tout en gardant leurs propres traditions, nous avons décidé d’accepter. À l’époque, je ne pensais pas que je finirai prêtre catholique. Nous avons donc postulé afin d’être ordonnés en tant que prêtres catholiques et, à ma grande surprise mais aussi à ma grande joie, ma demande fut reçue. Pour nous il y eut peu de changements. Nous avons l’habitude d’utiliser le missel anglais qui est la traduction du missel romain en anglais. Nous avons donc conservé notre rituel suivant en cela la proposition de Benoît XVI de garder nos propres traditions. Jamais Rome ne nous a demandé de célébrer en habit polyester face au peuple. Certains parmi nous ont décidé à la dernière minute de ne pas répondre à l’appel du pape mais la majorité l’a fait. Nous sommes maintenant rejoints par des fidèles catholiques qui préfèrent notre rituel au rite ordinaire latin que l’on trouve dans la plupart des églises du diocèse de Portsmouth. Nous commençons à célébrer des messes en rite romain extraordinaire – aucune messe de ce type n’est permise dans le diocèse -- et la première a eu lieu le 12 août. Pour certaines fêtes solennelles comme la sainte Agathe, la patronne de notre paroisse, la moitié de la messe est en latin. Le reste du temps, la liturgie de l’Ordinariat est en anglais. 

 

Comment votre histoire personnelle vous a-t-elle conduit à intégrer l’Église catholique romaine ?

C’est une longue histoire. Le mouvement anglo-catholique commença réellement en 1833 quand le Père John Keble donna son célèbre sermon d’Oxford sur l’apostasie nationale. Le souhait des anglo-catholiques, au moins en théorie, a toujours été de rejoindre un jour l’Église catholique romaine. L’histoire de notre église Sainte Agathe est à cet égard intéressante. Elle a été construite au XIXe siècle grâce aux efforts du Père Robert Dolling qui était un vrai missionnaire. Il avait en effet décidé de s’installer dans un des quartiers les plus pauvres pour mener un travail d’évangélisation dans ce qui était à l’époque un bidonville. Le Père Dolling a été un grand visionnaire. Il faisait partie de ces prêtres qui attendaient le jour où l’Église d’Angleterre reviendrait dans le giron de l’Église catholique. Il a beaucoup souffert car sa liturgie était des plus catholiques et il n’a pas été compris par son évêque. Avant la Seconde Guerre mondiale, les quatre prêtres anglicans qui célébraient ici ne pouvaient être distingués d’autres prêtres catholiques et certains furent même emprisonnés pour cela. Dans les années vingt, certains prêtres furent mis en prison parce qu’ils portaient des ornements. Le Père Coles, qui a été l’un de ses successeurs, vivait dans un presbytère situé dans le quartier. Quand l’église a été bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale, il a dû déménager dans un hôtel qui lui aussi a été bombardé. Il a souffert de privations mais il n’a pas souffert en vain. Jamais il n’aurait imaginé la possibilité d’un tel accord avec Rome. La Providence a ses propres voies qui ne sont pas les nôtres. Ces prêtres ont donc prié pour quelque chose qui est finalement arrivé. Je me permets de faire le parallèle avec notre église Sainte Agathe : cette église aurait dû disparaître d’abord par destruction puis par transformation en autoroute, mais étonnamment elle est toujours là. 

Quand la proposition pour l’Ordinariat fut faite, ce fut à la fois une surprise et une stupeur pour l’archevêque de Cantorbéry. Même chose pour une majorité de la population anglaise pour qui patriotisme rime avec anglicanisme. C’était facile de dire que nous allions rejoindre l’Église catholique. Mais quand cela est arrivé, la plupart s’en sont allés et ont fait marche arrière. Cela ressemble beaucoup à cette histoire de l’Évangile où les invités à la noce s’excusent, l’un car il doit tester son bœuf, l’autre parce qu’il doit s’occuper de son champ, etc. En Angleterre, vous pouvez encore trouver des églises anglicanes où tout paraît catholique, mais ce n’est qu’une impression car elles ne le sont plus et ne le seront plus jamais. En 1992, une réintégration était encore possible mais maintenant ce n’est plus possible à vue humaine. Ils ne veulent pas enseigner la foi comme le fait l’Église catholique et ils ont désormais des femmes prêtres. Nous avions une Église anglo-catholique en Angleterre qui était prête à revenir vers Rome : nous devions répondre à cet appel car cela a toujours été le souhait des anglo-catholiques. Pour ceux d’entre eux qui rejoignirent, c’était logique. Pourquoi ne l’auraient-ils pas fait quand une telle grâce leur était faite. Le plus gros problème pour moi fut de comprendre ceux qui ne souhaitaient pas se rallier. Mais ce que les gens disent est bien souvent différent de ce qu’ils pensent et beaucoup trouvèrent des excuses pour ne pas accepter l’offre.

Après plusieurs années de recul, êtes-vous satisfaits de votre choix ?

Nous sommes la seule église à avoir notre propre bâtiment. À Chichester, il existe également une communauté de l’Ordinariat mais elle utilise les bâtiments de l’église catholique locale. Beaucoup de catholiques – prêtres y compris -- ne comprennent pas leur propre histoire, leur propre patrimoine. La plupart des prêtres disent la messe Paul VI et ne comprennent pas que l’on ait conservé des choses qu’ils ont eux-mêmes abandonnées. Je note que les générations se suivent mais ne se ressemblent pas : les personnes âgées ne comprennent pas que les jeunes puissent s’intéresser aux différentes formes de messes extraordinaires et ils les bloquent dans leur désir. L’évêque de Brighton n’autorise pas la messe de 1962 dans son diocèse. Et pourtant quand je rencontre des jeunes, je suis étonné de voir combien ils sont réceptifs à cette forme de liturgie. À ce propos, il faudrait arrêter de l’appeler la messe ancienne car c’est la messe qui a l’avenir pour elle. Quand on compare nos célébrations avec certaines célébrations nouvelles, on comprend qu’ils viennent spontanément chercher autre chose. Le sens du mystère, le sens des symboles, le sens de l’adoration et de la présence divine au lieu du prêtre qui sourit en saluant comme au café. 

Vous pourriez dire que les années soixante ont été une période de changement mais ce changement s’est fait du haut en bas. Il n’y a pas eu de lente maturation. À l’époque les séminaires et les églises étaient pleins et les gens se convertissaient à la foi. Si vous regardez les chiffres depuis Vatican II, tous – mariages, baptêmes, catéchisation, ordinations – sont en chute libre. Il ne faut donc pas être un grand mathématicien pour se dire que quelque chose n’a pas bien fonctionné. Si Vatican II n’a pas accouché de grandes nouveautés, c’est l’esprit et la mise en pratique qui ont posé problème. Car certains ont profité de cet évènement où tout devenait possible pour imposer leurs propres objectifs. Je vois malheureusement beaucoup de clercs qui ne sont pas formés. Le problème est apparu dans les séminaires à la suite de Vatican II. Je crains que les prêtres ne soient pas suffisamment armés pour affronter les défis qui sont devant nous, notamment l’islam. Il faut des points forts et intangibles. On ne peut être dans le mou en permanence.

Avez-vous perdu des fidèles quand vous avez rejoint l’Ordinariat ? Et parmi les nouveaux venus, qu’est-ce qui les attire ? 

Nous en avons perdu quelques-uns. Un homme m’a dit qu’il ne suivrait pas parce qu’il ne voulait pas devenir catholique romain. Je l’ai reçu et nous avons parlé ensemble. « D’accord, lui dis-je, mais vous savez qu’à la fin de la messe ce matin, nous avons dit les prières pour la conversion de l’Angleterre. » Il s’agit de cette belle prière England our lady’s dowry qui nous vient du Moyen Âge. Nous disons cette prière à chaque messe après avoir dit l’Angélus. Je dis donc à mon homme : « Vous avez prié pour cela. Et maintenant que cela arrive vous abandonnez. » Il me répondit qu’il n’avait jamais cru à ces prières. C’est étonnant car dire une prière requiert d’y adhérer. C’est difficile de dire une prière sans y croire. Il n’y avait donc aucune logique dans cette réponse. Il assistait à une liturgie qui avait tout d’une liturgie catholique mais il ne voulait pas devenir catholique romain. Pourquoi alors avoir tout copié de l’Église catholique si ce n’est pas pour la réintégrer un jour ? Pourquoi ne pas avoir pris le même chemin que l’Église d’Angleterre ?

Oui, nous en avons perdu quelques-uns mais nous en gagnons et allons en gagner beaucoup plus. Cette église n’est pas une paroisse et personne ne vit dans les alentours. Les gens viennent de toute la région. Certains viennent à la messe en semaine parce qu’ils travaillent ici. D’autres viennent à la messe le dimanche. Nous avons des gens qui avaient l’habitude d’assister à la messe Saint-Pie V et qui aujourd’hui viennent chez nous. Il y a un vrai mouvement de fond et il est difficile de l’occulter. Nous attirons et nous allons continuer à attirer. 

Quelles sont les relations avec les catholiques de Portsmouth ? Comment avez-vous été accueillis ? 

Mgr Egan est un évêque plutôt traditionnel. Il a été très gentil : j’ai pu le rencontrer et tout s’est bien passé. Quand il a pris son poste en 2012, cela n’a pas été simple car l’évêque précédent était plutôt libéral. Avec lui en poste, les choses se sont donc améliorées. J’ai visité plusieurs églises à Portsmouth, notamment l’église des franciscains. J’ai dit la messe pour eux et ils m’ont montré comment célébrer le nouveau rite. Ils ont été très gentils. Je suis retourné dire la messe en septembre dans l’église de Bournemouth. C’est une communauté portugaise qui célèbre dans le rite ordinaire et qui compte 70-80 personnes. La première fois que j’ai célébré, quand j’ai démarré avec l’eau bénite (l’équivalent de l’Asperges me), comme je le fais ici, les plus jeunes étaient très ouverts. Ils étaient très intéressés par ce rituel et n’avaient jamais vu cela. Une douzaine parmi les plus âgés se sont levés pendant la consécration. Ceux-là étaient perdus alors que les plus jeunes ont comme un sens inné du sacré. Il y a quelques années, je suis intervenu dans une église pour une conférence. Beaucoup ne pouvaient comprendre que l’on dise la messe ad orientem. L’un des prêtres m’a dit à l’époque qu’il ne pouvait pas prier en étant face à un mur. Comme vous le voyez, je n’ai pas beaucoup de contacts avec eux mais cela fonctionne. Et l’accueil a été particulièrement chaleureux, notamment dans la partie la plus jeune du clergé. 

Est-ce que vous avez organisé des « exploration days » dans la paroisse ?

Oui, nous l’avons déjà fait et nous recommencerons. Ce que nous faisons, c’est que nous organisons deux ou trois messes publiques pour lesquelles nous faisons de la publicité dans la ville. Cela prend beaucoup de temps à organiser. Il y a un sermon. Nous faisons venir un chœur et nous ajoutons des violoncelles. C’est une manière de donner l’exemple. À Portsmouth aucune messe ne se célèbre à l’autel central. À Londres, vous pouvez profiter du fait que votre église est belle— je pense par exemple à l’église des oratoriens – pour que les gens puissent expérimenter ce qu’est le sacré. Beaucoup de gens viennent nous voir et font l’expérience du sacré. C’est ce genre de choses qui attire les gens.

Le cardinal Sarah est venu à Londres en juillet dernier faire un appel solennel à célébrer ad orientem. Qu’en pensez-vous ?

Benoît XVI et le cardinal Sarah ne sont plus heureusement des voix qui crient dans le désert. Le cardinal exprime l’opinion de beaucoup et à cet égard on ne peut que l’encourager. D’autre part, il vient d’un pays extrêmement pauvre et il est Noir. Il est donc difficile de le critiquer. Si le Pape actuel démissionnait, le cardinal Sarah pourrait être le bon candidat.

Ref. Ordinariat pour les Anglicans: une réception mitigée

JPSC

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