Ecoles catholiques : quelle éducation affective et sexuelle délivrer ? (12/03/2017)

Cet article de Pauline Quillon, sur le site de l'hebdomadaire Famille Chrétienne, illustre la situation des établissements catholiques en France; on fera le rapprochement avec ce qui s'est passé au Collège du Christ-Roi d'Ottignies où des enseignants ont été désavoués par leur direction pour avoir notamment fait appel au groupe "Croissance"...

Éducation affective et sexuelle : l’école catholique prise à partie

Après un nouvel incident touchant un livret distribué au lycée Sainte-Croix de Neuilly, les chefs d’établissement s’interrogent sur leur mission, entre le devoir de prudence et celui d’enseigner les positions de l’Église.

Peut-on encore délivrer de l’anthropologie chrétienne dans les lycées catholiques sous contrat sans s’attirer des ennuis ? Depuis quelques années, ces derniers se trouvent en butte à des polémiques récurrentes, qui prennent parfois à partie le tribunal médiatique. Dernier en date, Notre-Dame de Sainte-Croix de Neuilly a dû faire face, fin février, à une accusation d’homophobie à l’endroit d’un livret intitulé Pour réussir ta vie sentimentale et sexuelle (voir encadré ci-dessous). L’année dernière, en septembre 2016, c’était un manuel de bioéthique de la Fondation Lejeune qui avait suscité la polémique dans différents établissements. En avril 2014, l’affaire Gerson avait aussi défrayé la chronique : le lycée parisien du 16e arrondissement avait dû faire face à un procès pour « dérives intégristes » après des propos tenus sur l’avortement lors d’une intervention d’Alliance Vita.

Dans le cas de Sainte-Croix, l’accusation d’homophobie était-elle justifiée ? Marc Bouchacourt, directeur du lycée des maristes à Lyon, juge que le livret mis en cause ne méritait pas un tel désaveu. Mais il estime que les termes et analyses proposés sont contestables, faute d’être scandaleux. Le livret avance en effet des explications causales de l’attirance homosexuelle pour le moins rapides et peu fondées. « Depuis quelques années, l’Église est sortie de l’explication de l’homosexualité par l’histoire familiale. Réduire une personne à une explication, c’est maladroit et réducteur », analyse-t-il. Et le fait que l’auteur, le Père Jean-Benoît Casterman, ait signé des articles sur des sites classés à l’extrême droite, tel Riposte laïque, a contribué à jeter l’opprobre sur le texte.

Quoi qu’il en soit du bien-fondé ou non du retrait du livret incriminé, l’affaire pose la question de la liberté d’expression dans l’Enseignement catholique. Les chefs d’établissement se trouvent dans des situations inextricables et sont attaqués de toute part.

 

Un état d’esprit inquisitorial

À Sainte-Croix, à la suite de la distribution de la brochure, plusieurs élèves se sont plaints à leurs parents. Ces derniers ont appelé l’Apel, qui a alerté le chef d’établissement, arrivé en septembre. En même temps, de nombreux professeurs prenaient parti contre cette distribution. Les réseaux sociaux et la presse ont aussi offert une caisse de résonance à ce qui aurait pu rester un simple incident. «Il arrive que le chef d’établissement soit acculé à se justifier », déplore Marc Bouchacourt.

Cet état d’esprit inquisitorial n’est pas forcément l’apanage d’athées militants. Les chefs d’établissement disent composer entre les contestations qui viennent de tous bords. Ils s’avouent souvent seuls face à ces exigences et certains déplorent même un manque de soutien de leur hiérarchie.

« Ça ne m’étonne pas que ce se soit produit ! », lâche pour sa part Pierre-Henri Beugras, directeur du lycée-collège d’Île-de-France (Essonne). « Nous vivons dans une situation qui s’est dégradée depuis ces dernières années. » La preuve : ce livret existe depuis dix ans, et il n’a pas posé de problèmes jusqu’ici, remarque-t-il. Un avis divergent sur ces sujets de discrimination et de sexualité est de moins en moins accepté et « la pensée officielle infiltre les programmes de SVT et d’enseignement civique ». La plus grande prudence est donc de mise. Il reçoit systématiquement les personnes chargées d’une formation particulière sur ces sujets, vérifie quels documents sont transcrits, donne pour consigne de ne jamais livrer de document aux élèves sans expliquer pourquoi il leur est distribué.

Marc Bouchacourt de son côté choisit avec soin ses bénévoles et n’hésite pas à refuser l’aide de ceux qu’il perçoit comme trop idéologues. Et néanmoins, « quoi qu’il soit dit sur ces sujets, même avec la plus grande prudence ou la plus grande charité, une polémique naîtra, déplore Pierre-Henri Beugras. Le risque, c’est qu’on ne dise plus rien pour l’éviter ».

Directrice du collège Saint-Honoré d’Eylau, à Paris dans le 16e, Marie-Béatrice Pérardel voit dans cette atmosphère le risque de renoncer à la mission de délivrer une vision chrétienne de la personne. « En tant que chef d’établissement, nous exerçons une mission d’Église. Nous ne pouvons dire le contraire de ce que dit le Catéchisme. Nous devons expliquer la pensée de l’Église avec tact et charité, mais sans la travestir. Nous serons comptables de ce respect de la vérité », dit-elle.

Pierre-Henri Beugras voit même dans ces curées médiatiques les prémisses d’un danger plus large. « Dans tous les domaines de l’enseignement, une pression de plus en plus forte oriente la parole professorale. C’est notre liberté d’expression et de pensée qui est attaquée, et avec elle, à terme, celle de l’Église elle-même. L’institution, et les catholiques en général, n’ont pas encore perçu ce problème. L’état d’esprit qui autorisait une dispute saine et l’expression constructive de son désaccord a reculé partout, y compris chez les catholiques. »

Entre résister à la police de la pensée et agir avec prudence en préservant la paix d’un établissement, le chemin peut se révéler étroit. 

L'affaire Sainte-Croix

Jeudi 23 février, à Notre-Dame de Sainte-Croix, lycée catholique de Neuilly-sur-Seine. L’adjointe de pastorale distribue aux classes de première, en cours de catéchisme, un livret sur l’amour qui n’est pas du goût de tout le monde. Sur les 80 pages du manuel Pour réussir ta vie sentimentale et sexuelle, écrit par le Père Jean-Benoît Casterman aux Éditions des Béatitudes, une phrase surtout a choqué. Elle stipule que l’homosexualité « résulte surtout d’une évolution psychique marquée par l’influence excessive ou insuffisante du père ou de la mère dans l’enfance ; ou suite à des perversions d’adultes ». Une phrase précisant que l’avortement est « irréparable » a aussi été mise en cause. Le directeur de l’établissement, Pierrick Madinier, alerté par des enseignants de l’école, a exprimé aussitôt « de sincères regrets » dans un courrier adressé le jour même aux parents au sujet du livret, car « son propos a légitimement pu paraître inapproprié, voire offensant ou blessant ».

Dès le 24 février, le site Buzzfeed, relayé par les magazines Marianne et Têtu, ont réagi sur « l’affaire » en dénonçant « des propos homophobes et rétrogrades ». Contacté par Famille Chrétienne, Pierrick Madinier a tenu à préciser sa pensée : « Une erreur pastorale a été commise. Nous souhaitons faire entendre à tous l’enseignement du Magistère, mais il doit s’incarner dans une parole qui puisse s’ouvrir au dialogue. » Il a insisté sur le fait « qu’on ne peut annoncer le Christ explicitement si on n’est pas attentif à respecter chacun dans sa liberté de conscience ». L’Apel et la plupart du corps enseignant auraient soutenu sa position, même si les parents ne sont pas tous de cet avis.

Olivia de Fournas

 

Pauline Quillon

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