Bénéton ou la nécessité de se libérer des idées folles de notre temps (27/03/2017)

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L’occident déréglé of Bénéton

Peut-on trouver titre mieux choisi pour décrire l’état de déréliction dans lequel se trouve l’Occident ? Publié au Cerf, Le dérèglement moral de l’Occident de Philippe Bénéton, professeur émérite de la faculté de droit et sciences politique de Rennes, renvoie à Jean Sévillia qui voit dans l’absence de morale le chaînon manquant à nos sociétés pour qu’elles vivent en harmonie et aient un réel avenir. D’emblée, notre professeur nous immerge dans le propos de son ouvrage : « l’idée d’émancipation n’est pas née en 1965 ou 1968 mais a cheminé, chez les modernes, pendant des siècles depuis Machiavel et Bacon », et « la dynamique de l’autonomie individuelle est allée beaucoup plus loin que ne pouvaient le penser Locke ou Montesquieu ». La tempête de 1968 et l’émancipation radicale qui l’a accompagnée ont selon lui tout balayé : « la modernité libérale avait mis fin au pouvoir politique de l’Eglise et rogné son autorité intellectuelle, la modernité tardive a mis fin à l’emprise des mœurs traditionnelles, façonnées par le christianisme. L’une des conséquences est que le peuple a disparu. Ne restent que des individus ».

Chantal Delsol dans la Haine du monde et Alain de Benoist dans Au-delà des droits de l’homme commentés pour Mauvaise Nouvelle ont finement analysé ces phénomènes d’auto-engendrement de l’individu promus par les idéologies libérales libertaires, ainsi que cette tendance lourde à l’abstraction (la démocratie, les droits de l’homme, l’humanité multiculturelle, pacifiée et sortie de l’histoire, la non-discrimination, la tolérance, le marché bienfaiteur) qui se substitue peu à peu à l’incarnation (le monde réel, l’homme singulier, la mort, le tragique de l’existence, les passions humaines heureuses ou tristes). Nous avons eu l’occasion d’expliquer par ailleurs ce lien étroit qui unit le libéralisme et l’arasement culturel qui prépare son terrain de jeu. Bénéton le dit ainsi : « Notre modernité est une puissante machine qui écrase les différences que la civilisation occidentale tenait pour significatives. Par-là, elle travaille à produire un monde homogène ». Il va sans dire que les fruits (assumés et revendiqués) de cette idéologie mondialisée du libéralisme triomphant sont prégnants dans nos quotidiens : inculture, indifférence et indifférenciation. Ces fruits sont l’exact opposé de ceux patiemment mûris par notre civilisation judéo-chrétienne au cours des siècles écoulés : goût pour la culture, l’intelligence et l’esprit, primauté de la communauté ou du corps social sur les individus et les minorités, claire distinction des génies respectifs de l’homme et de la femme.

 

Pour Philippe Bénéton, il est nécessaire de se libérer des « idées folles de notre temps » car « nous savons tous, au fond, que la vérité est préférable au mensonge, le courage à la lâcheté, l’honnêteté à la malhonnêteté, l’amour à la cruauté, que ce n’est pas une question de valeurs, que les choses sont ainsi ». Le bon sens terrien préférable aux constructions d’idées. Citant Bernanos pour qui « le monde moderne est une vaste conspiration contre toute vie intérieure », l’auteur égrène les nombreuses séductions et divertissements qu’offre le monde mais qui sont, in fine, incapables de combler l’être de l’homme. Il est navrant de constater que la vie reflue en Occident car on ne fait plus d’enfants. C’est pour lui la preuve d’une absence de confiance et de sérénité chez l’homme émancipé et artificiellement débarrassé des questions existentielles. Chesterton le disait : « Quand se perd la foi en Dieu, le danger n’est pas qu’on ne croie plus à rien mais plutôt qu’on croie à n’importe quoi ». L’homme post moderne dépourvu de tout garde-fou moral ne peut ordonner sa vie dans le sens du bien pour lui-même et envers les autres. Pris de vertige, son hubris le conduit à l’aveuglement sur sa condition : « prétendument souverain, il vit comme on lui dit de penser et de vivre : avec une fraction de lui-même, en dessous de lui-même ». Reprenant la parabole évangélique du bon grain et de l’ivraie pour définir le monde moderne, Bénéton affirme que « le bon grain c’est la traduction juridique de l’idée (ancrée dans la révolution chrétienne) de la valeur et de la dignité de tout homme en tant qu’homme, irremplaçable et membre à part entière de la même humanité » (ce qui nous semble de moins en moins évident dans un contexte de transhumanisme qui gagne toujours plus de terrain), et que « l’ivraie c’est ce subjectivisme qui se traduit par la prétention utopique d’affranchir les hommes de leur condition (nous acquiesçons), idée déjà présente chez les hommes des Lumières (nous ré-acquiesçons) ». D’évidence, l’Occident est dans une mauvaise passe car son rêve d’une humanité pacifiée « marchant vers l’unité sous le drapeau des droits de l’homme » bute sur une autre histoire, celle de l’islam et de la civilisation arabo-musulmane voulant à tout prix le conquérir.

« L’horizon est-il fermé ? » s’interroge notre professeur de droit dans son épilogue. Poser la question, c’est y répondre. A l’alternative décrite par Tocqueville dans la Démocratie en Amérique où le monde moderne se décivilise et s’enfonce misérablement, Bénéton voit l’autre possibilité de « travailler à endiguer cette dérive et au-delà, à hausser ce monde en renouant avec le grand héritage, celui d’Athènes et de Jérusalem ». Il croit à l’action publique, seule à même d’enrayer les logiques mortifères du tout-économie, du tout-technique et du tout-numérique (la fameuse silicolonisation du monde), et aux vrais hommes d’Etat. Sa solution est d’adopter une politique réaliste vouée à rechercher des points d’équilibre : « voir double, c’est-à-dire tenir les deux bouts de la chaîne, considérer à la fois ce qui est dû à l’égalité substantielle et ce qui est dû aux inégalités de mérite et de talent, ce qui est dû à la liberté et ce qui relève des usages intolérables de la liberté, ce que procurent la technique et le marché et ce qu’ils détruisent, ce qui est du domaine des libertés individuelles et ce qui relève des obligations du citoyen, du professeur, des parents (ce que l’on appelait autrefois le devoir d’état) ». Il sait sa solution imparfaite car la racine du mal, contrairement aux prétentions des idéologues, ne peut être extirpée en changeant les conditions politiques et sociales. Ce mal est inhérent à l’homme, il est dans le cœur de l’homme. Au final, son analyse ne manque pas de finesse et de pertinence.

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