Belgique : oui, l'avortement d'un enfant presque à terme est bel et bien pratiqué (25/04/2017)

L’avortement d’un enfant presque à terme est bien possible

En droit belge, il est possible d’avorter un enfant à la veille de sa naissance. C’est le constat douloureux qui alimente la polémique dans les médias suite aux propos de la porte-parole de la Marche pour la Vie, Constance du Bus. La jeune demoiselle n’a en effet pas hésité à déclarer dimanche que la loi sur l’avortement est interprétée largement, et que des avortements tardifs se pratiquent parfois pour des motifs légers, tels une surdité ou des doigts manquants, « jusqu’au jour avant l’accouchement ». Des propos, qui n’ont pas manqué de faire réagir, violemment parfois à l’encontre de la jeune femme. La RTBF s’en est vivement emparé puis a partiellement rectifié son propos[1].     

Un examen de la loi nous apprend que « Au-delà de 12 semaines, l’interruption volontaire de grossesse ne pourra être pratiquée que lorsqu’il est certain que l’enfant à naître sera atteint d’une affection d’une particulière gravité ET reconnue comme incurable au moment du diagnostic »[2]. La loi ne fixant pas de limite maximale au-delà de 12 semaines pour ces cas, l’interruption volontaire de grossesse est donc possible tant que l’enfant n’est pas né.

Reste l’affirmation la plus contestée des déclarations de Mme du Bus, à savoir si de tels motifs pourraient donner lieu à un avortement pour raisons médicales, lesquels seraient réservés uniquement « à des cas très graves ».

La loi prévoit qu’il doit être certain que l’enfant sera atteint d’une affection grave et incurable, ces trois critères étant cumulatifs. Ces critères sont aujourd’hui, contrairement au texte de loi, pris de façon isolée, la Commission d’évaluation de la loi sur l’avortement parlant elle-même « d’affection grave OU incurable ». Et cela change tout !

Une affection peut être grave, mais parfaitement curable, une autre sera incurable, mais pas nécessairement grave, et beaucoup d’autres seront possibles, mais non certaines. De plus, si l’incurabilité est facile à objectiver, le législateur n’a pas jugé bon de spécifier ce qu’il entend par une « affection d’une particulière gravité ». Or, ce qui est « grave » pour l’un ne l’est pas pour l’autre, et certainement pas pour la totalité des médecins. Il n’existe aucune liste des pathologies pouvant justifier un avortement jusqu’au 9ème mois (une telle liste serait légitimement perçue comme stigmatisante par les patients atteints de ces affections). Il appartient donc à chaque patient et médecin d’en décider, ce dernier ayant l’obligation de demander un deuxième avis.

Les rapports de la Commission d’évaluation de la loi sur l’avortement détaillent les raisons invoquées pour justifier un avortement pour raisons médicales au-delà de 12 semaines (et donc théoriquement sans délai maximum). Le rapport 2006[3] mentionne bel et bien la surdité congénitale parmi les motifs invoqués. Un enfant de ma famille proche, atteint de ce type de surdité, a été opéré il y a quelques années dans un hôpital bruxellois. Accompagné par des parents et une équipe formidable, aujourd’hui il entend, est joyeux, bilingue et excelle à l’école, même si certains sports lui sont interdits. Autres motifs relevés en 2012 : l’absence du bras gauche, motif pour lequel l’avortement n’est pourtant pas autorisé en France en raison des grands progrès en matière de prothèses ; l’hémophilie, de mieux en mieux prise en charge ; des infections au cytomégalovirus (dont 90% sont asymptomatiques à la naissance, et 75% asymptomatiques au cours de la vie de l’enfant), etc…

Qu’en est-il des chiffres ?

Le rapport de la « Commission avortement » mentionne qu’en 2011, 95 avortements pour affections graves ou incurables ont été déclarés.

Or les chiffres du réseau EUROCAT[4], réseau européen qui a pour but de surveiller l’occurrence des malformations congénitales dans différentes régions d’Europe - dont trois provinces belges - démontrent que la plupart des avortements tardifs ne sont pas déclarés.  On pourrait même aller jusqu’à estimer à plus de 360 avortements[5] pour cause d’affections graves ou incurables chez l’enfant. La différence est significative.

EUROCAT nous apprend aussi que si la plupart des avortements sont effectués avant 24 semaines, un nombre significatif sont exécutés entre 24 et 25 semaines, et même au-delà de 26 semaines. Comment justifier un avortement à 7 mois de grossesse, là où un prématuré de 6 mois serait protégé de l’infanticide? Sans vouloir entrer dans le débat sur le bien-fondé de l'avortement, ne faudrait-il pas au moins fixer pour cette pratique des repères plus précis et établir un contrôle plus rigoureux?

Par ailleurs, même si la plupart des médecins aident les patients par leur expérience et leurs conseils bienveillants dans certains cheminements douloureux, il me semble urgent de mener une réflexion approfondie sur l’accueil et l’accompagnement du handicap et de la différence en Belgique. Il en va de l'égalité des chances pour tous. Nous pouvons saluer l’audace et le courage d’une nouvelle génération qui aujourd’hui nous le rappelle.

Eléonore Delwaide, juriste

Présidente de l’Institut Européen de Bioéthique

Ancien membre de la Commission d’évaluation de la loi sur l’avortement

[1] https://www.rtbf.be/info/societe/detail_en-belgique-on-av...

[2] Loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption de grossesse

[3] Rapport 2006, p.42 : http://www.ieb-eib.org/fr/pdf/rapport-20080801-com-avorte...

[4] http://www.eurocat-network.eu/pubdata et aussi

http://www.eurocat-network.eu/prevdata/resultsPdf.aspx?ti...

[5] Pour les seules provinces du Hainaut et Namur : 57 avortements pour raison médicale en 2011. Si l’on extrapole ce nombre pour l’entièreté de la Belgique, on arrive à environ 360 avortements pour affection grave et incurable chez l’enfant à naître (en admettant que le comportement des parents face à l’annonce d’un handicap soit le même dans tous les provinces belges).

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