Un philosophe, ami de Benoît XVI et ancien Président du Sénat italien, critique sévèrement les positions du pape François sur l'immigration et la politique (11/07/2017)

Marcello Pera est un philosophe italien très apprécié de Benoît XVI qui s'est dit très proche de ses positions lors de la publication d'un ouvrage intitulé "Pourquoi nous devons nous dire chrétiens. Le libéralisme, l'Europe, l'éthique". L'amitié qui les lie n'est un mystère pour personne. Marcello Pera juge très sévèrement les positions exprimées par le pape François...

De Corrado Ocone sur Il Mattino (9/7, p. 9), transmis et traduit par un ami auquel nous exprimons toute notre gratitude. 

Bergoglio veut faire de la politique, ça n’a rien à voir avec l’Evangile !

Marcello Pera : « Ouvrir grand les portes aux migrants risque d’exacerber les tensions » 

Dans un entretien exclusif avec Eugenio Scalfari pour le quotidien « La Repubblica », le pape François est à nouveau intervenu dans le débat politique avec des positions fortes et dérangeantes, des positions que l’on aurait autrefois qualifiées de « gauchistes ».  Cette fois, le pape s’est adressé directement aux grands de ce monde réunis à Hambourg à l'occasion du G20 pour s’opposer par principe à toute politique visant à contrôler et à limiter les migrations de masse en provenance des pays pauvres vers l’Europe. Pour mieux comprendre les idées et surtout l’action politique et médiatique du pape, aux antipodes de celle de son prédécesseur, nous avons posé quelques questions à l’ex-président du Sénat Marcello Pera.  Il se définit comme libéral et catholique et partage, comme on le sait, de nombreuses idées avec le pape émérite Benoît XVI avec lequel il a même rédigé un livre à quatre mains intitulé « Sans racines » (Senza radici.  Europa, relativismo, cristianesimo, Islam. Mondadori. 2004).

Président, quel jugement portez-vous sur les appels incessants du pape François à accueillir les migrants ?  Un accueil indiscriminé, inconditionnel, total ?

« Franchement, je ne comprends pas ce pape, ce qu’il dit dépasse tout entendement rationnel.  Il est évident pour tout le monde qu’un accueil indiscriminé n’est pas possible : il y a un seuil critique qu’on ne peut pas dépasser. Si le pape ne fait pas référence à ce point critique, s’il insiste sur un accueil massif et total, alors je me pose cette question : pourquoi dit-il cela ?  Quel est le véritable but de ses déclarations ?  Pourquoi ne fait-il pas preuve d’un minimum de réalisme ?  Je ne peux donner qu’une seule réponse : le pape le fait parce qu’il déteste l’Occident, il aspire à le détruire et il fait tout pour atteindre ce but.  Tout comme il aspire à détruire la tradition chrétienne, le christianisme tel qu’il s’est réalisé dans l’histoire. S’il ne tient pas compte du seuil critique au-delà duquel nos sociétés ne peuvent plus accueillir personne ni garantir à quiconque la dignité minimale due à tout être humain, nous allons rapidement assister à une véritable invasion qui nous submergera et remettra en cause nos façons de vivre, nos libertés et le christianisme lui-même. l y aura une réaction et une guerre. Comment le pape ne le comprend-il pas ?  Et dans quel camp sera-t-il une fois que cette guerre civile éclatera ? »

Ne considérez-vous pas qu’il y ait un lien avec l’Evangile et l’enseignement du Christ ?  L’éthique du pape ne serait-elle pas celle d’une conviction absolue, abstraite, qui ne tient pas compte des conséquences ?

« Absolument pas.  Tout comme il n’y a aucune motivation rationnelle, il n’y a pas davantage de motivation évangélique susceptible d’expliquer ce que dit le pape. Par ailleurs nous avons affaire à un pape qui, depuis le jour de son installation, fait uniquement de la politique. Il cherche les applaudissements faciles en jouant tantôt au secrétaire général de l’ONU, tantôt au chef de gouvernement et même au syndicaliste quand il intervient dans les dossiers contractuels d’une société comme Mediaset.  Sa vision est dans la droite ligne du justicialisme péroniste sud-américain qui n’a rien à voir avec la tradition occidentale des libertés politiques avec ses racines chrétiennes. Le christianisme du pape est d’une autre nature.  Il s’agit d’un christianisme entièrement politisé ».

Comment se fait-il que cela ne suscite aucune réaction des défenseurs de la laïcité qui n’ont pourtant eu de cesse de faire entendre leur voix au cours des pontificats précédents ?

« En Italie, le conformisme est à son apogée. Ce pape plaît à l’opinion publique avertie qui apprécie sa manière d’être et qui est prête à l’applaudir même quand il dit des banalités ».

Dans un passage de l’interview de Scalfari, Bergoglio, après avoir fait un appel à l’Europe, évoque des « alliances très dangereuses » contre les migrants dans le chef de « puissances qui ont une vision déformée du monde : l’Amérique et la Russie, la Chine et la Corée du Nord ».  N’est-il pas curieux de mettre sur un même pied une ancienne démocratie telle que l’Amérique et des pays fortement autoritaires voire totalitaires ?

« Ça l’est mais cela n’a rien d’étonnant à la lumière de ce que je viens de dire. Le pape ressort toutes les idées préconçues du Sud-Américain envers l’Amérique du Nord, vis-à-vis du marché, des libertés et du capitalisme. Cela aurait été pareil même si Obama était resté en place à la présidence des Etats-Unis mais il ne fait aucun doute que ces idées du pape rejoignent aujourd’hui, dans une combinaison explosive, le sentiment anti-Trump répandu en Europe ».

Monsieur le Président, j’aimerais revenir un instant sur le fait que le pape « fasse de la politique ».  S’agit-il vraiment d’une nouveauté par rapport au passé ?

« Certainement. Bergoglio ne s’intéresse que peu voire pas du tout au christianisme en tant que doctrine, à l’aspect théologique. Et c’est sans aucun doute une nouveauté. Ce pape a pris le christianisme et l’a transformé en un programme politique. En apparence, ses affirmations reposent sur l’Ecriture mais en réalité elles sont fortement sécularistes. Bergoglio ne se préoccupe pas du salut des âmes mais seulement de la sécurité et du bien-être social. C’est un fait préliminaire. Sur le fond de ses déclarations, on ne peut manquer de s’inquiéter que ses affirmations ne finissent par déclencher de façon incontrôlable une crise politique et une crise religieuse.  Du premier point de vue, il suggère à nos Etats de se suicider, il incite l’Europe à ne plus être ce qu’elle est. Du second point de vue, on ne peut pas nier qu’un schisme latent divise le monde catholique et qu’il est entretenu par Bergoglio avec obstination et détermination et, en ce qui concerne ses collaborateurs, même avec méchanceté ».

Quelle est la raison de tout cela ?  N’est-ce pas profondément irrationnel ?

« Non, ça ne l’est pas. Je dirais même que le Concile Vatican II vient finalement d’exploser dans toute sa radicalité révolutionnaire et subversive. Ce sont des idées qui mènent l’Eglise catholique au suicide mais elles étaient déjà soutenues et justifiées à l’époque et à cette occasion. On oublie parfois que le Concile a historiquement précédé la révolution étudiante, la révolution sexuelle, celle des coutumes et des manières de vivre. Il l’a anticipée et d’une certaine façon provoquée. L’aggiornamento du christianisme a alors profondément laïcisé l’Eglise et a initié un changement très profond qui risquait de mener au schisme même s’il fut gouverné et étroitement contrôlé au cours des années qui ont suivi. Paul VI l’avait soutenu mais il en fut finalement lui-même victime. Les deux très grands papes qui lui ont succédé étaient parfaitement conscients des conséquences que cela risquait de provoquer mais ils ont toujours tenté de les contenir et de les garder sous contrôle. Ils ont adopté une vision tragique de la réalité, ils ont résisté en cherchant à mitiger le nouveau à l’aide de la tradition et ils l’ont fait d’une façon remarquable. Ils avaient entrepris une marche en arrière mais aujourd’hui les barrières sont tombées : la société plutôt que le salut, c’est la cité terrestre de Saint Augustin plutôt que la cité céleste qui semble à présent former l’horizon de référence de la hiérarchie ecclésiastique dominante. Les droits de l’homme, tous et sans exclusion, sont devenu la référence idéale et la boussole de l’Eglise et il n’y a presque plus d’espace pour les droits de Dieu et de la tradition. À tout le moins en apparence. Bergoglio se sent totalement libre par rapport à cela ».

Pourquoi dites-vous « en apparence » ?

« Parce que derrière la façade et les applaudissements, tout ce qui brille n’est pas or. Il n’y a pas que les applaudissements place Saint-Pierre. Moi qui vis en province, je me rends compte qu’une partie du clergé, surtout et de manière étonnante les plus jeunes, sont stupéfaits et déconcertés par certaines affirmations du pape. Pour ne pas parler de tant de personnes simples qui sont aujourd’hui victimes des problèmes d’insécurité que les migrants créent dans nos périphéries et qui sont outrés d’entendre parler d’accueil sans condition. Le clergé plus adulte, celui d’âge moyen, est en revanche davantage dans le camp de Bergoglio : qui par conformisme, qui par opportunisme, qui par conviction, ayant eux-mêmes grandi dans ce climat culturel des années soixante qui est à l’origine de certains choix.  C’est justement pour cela que je parle d’un schisme profond et latent. Dont le pape ne semble cependant pas se préoccuper le moins du monde ».

Que pensez-vous, de façon plus générale, de la gestion des flux migratoires et de l’insensibilité de l’Europe envers l’Italie ?

« Notre pays est seul, désespérément seul. C’est dangereux. Cela m’inquiète. Nous sommes seuls parce que les autres pays font passer leur propre intérêt national avant tout. Derrière les belles déclarations publiques, ils ne se préoccupent pas tellement de nous.  Et nous sommes seuls parce que l’Eglise nous invite à ouvrir grand nos portes, presque comme s’ils voulaient profiter de notre faiblesse. Je crains une réaction négative. Je crains que la protestation du peuple ne se renforce et ne débouche sur quelque chose de peu souhaitable. Dans le cas présent, ce n’est plus une question de gauche ou de droite. Par ailleurs, je pense que les contradictions du pape seront rapidement mises en évidence : il n’est déjà plus en phase avec ses fidèles. Une alliance entre catholiques conservateurs et les forces souverainistes, pour le dire comme cela, est très probable ».

Que pensez-vous de « l’incident » concernant Renzi qui a dû supprimer le post Facebook dans lequel il citait un passage de son prochain livre réclamant un « numerus clausus » et invitant à aider les migrants chez eux ?

« Renzi a raison sur ce point. Le slogan est correct. Même s’il faut admettre qu’il faut aussi savoir concilier certaines idées en politique. La grave crise dans laquelle notre pays est plongé est celle d’une classe politique qui n’est tout simplement plus à la hauteur de sa mission. A droite comme à gauche, Renzi est sur la courbe descendante et paye les nombreuses erreurs qu’il a commises : il aura du mal à s’en relever…  Il suffit de penser à notre provincialisme et à la façon dont nous sommes rapidement tombés amoureux d’un leader comme Macron qui appartient davantage au monde de la robotique qu’à celui de la politique. Et qui, par-dessus le marché, sert avant tout les intérêts de la France ».

Comment sortir de la crise ?  Qu’est-ce que vous souhaitez ?

« Je souhaite un pape qui prenne en mains la croix de l’Occident, de ses valeurs.  Qui ne rêve pas d’un Occident paupérisé. Et je souhaite à l’Italie une classe politique et une opinion publique qui remette les thèmes de l’identité, le sens national et la tradition au centre du discours. Je suis de plus en plus pessimiste. Et je prends toujours plus de pilules pour chercher à me tranquilliser ».

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