L’âme de la Pologne dans l’Union européenne (01/09/2017)

Pologne Christ Roi bis.jpgD’Yves Daoudal, dans le mensuel  « La Nef » n°295 de septembre 2017, sous le titre : « La Pologne, une oasis catholique en Europe » (en accès libre sur le net) :  

« L’animosité croissante des institutions européennes à l’égard de la Pologne, au-delà des motifs ou des prétextes, est essentiellement due au fossé qui se creuse sur les « valeurs » : celles de la décadence ultime, que promeut l’UE, et celles de la religion catholique vécue. Brève rétrospective d’événements polonais qui donnent toute la mesure du phénomène.

Le 28 mai dernier, un jeune prêtre en soutane et surplis, Tymoteusz Szydlo, marchait sur les chemins de Przecieszyn, dans la campagne polonaise. De chaque côté du jeune prêtre, des petites filles vêtues de blanc et couronnées de fleurs portaient une tresse de feuillage. Derrière le prêtre, ses parents. Puis le reste des villageois, avec le maire. Le reste, parce que la procession commençait loin devant. Par le crucifix, bien sûr, qu’escortaient dix enfants de chœur. Suivi par les pompiers en grande tenue, les mineurs en vêtements d’apparat avec leurs casoars à plumet, la guilde des apiculteurs, veste blanche, chapeau blanc, le cercle des ménagères rurales, toutes en vêtement traditionnel, chaque groupe ayant sa bannière… Cette procession était celle par laquelle tout le village de Przecieszyn accompagnait le nouveau prêtre depuis son domicile familial jusqu’à l’église où il allait célébrer sa première messe. Ce spectacle, insolite pour nous, est en fait banal en Pologne. Car toutes les premières messes sont précédées par une telle procession, et, en ce dernier dimanche de mai, dans le petit diocèse de Bielsko-Ziwiec, il y en avait pas moins de treize. La seule particularité de la procession de Przecieszyn est que la mère du jeune prêtre, Beata Szydlo, est Premier ministre de Pologne. Une autre particularité, concernant ce prêtre, est que le dimanche suivant il allait célébrer sa première messe selon la « forme extraordinaire » dans l’église de Cracovie desservie par la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre.

On ne comprend rien à la Pologne si l’on ne prend pas la mesure du « fait religieux ». Et si l’on ne prend pas la mesure du patriotisme irrigué par la foi. La Pologne avait été un grand pays d’Europe, et elle avait disparu de la carte politique pendant plus d’un siècle. C’est le clergé qui était le mieux à même de maintenir la flamme polonaise. Et quand la Pologne ressuscita, notamment par les efforts du grand pianiste Paderewski (cela aussi, c’est polonais…) elle fut bientôt soumise au joug soviétique, et c’est encore le clergé qui maintint la flamme.

Cela culmina avec la célébration du millénaire du baptême de la Pologne, en 1966. Le pouvoir communiste avait lui aussi organisé des célébrations, et tout tenté pour réduire celles de l’Église. Peine perdue. Au milieu des innombrables manifestations, il apparut de façon spectaculaire que la personne qui représentait véritablement la nation polonaise était le primat de Pologne, le cardinal Wyszynski. D’ailleurs on ne le désigna plus, à partir de ce moment-là, que sous le titre de « Primat du Millénaire ».

LES FESTIVITÉS DU 1050E ANNIVERSAIRE DU BAPTÊME

L’an 2016, c’était le 1050e anniversaire du baptême de la Pologne : l’occasion de parfaire, en quelque sorte, la célébration de 1966, en montrant, cette fois, l’union catholique de la nation polonaise, comme une sorte de revanche de l’histoire, en hommage au primat du millénaire.

Cela fut facilité par le fait qu’en octobre 2015 les élections législatives avaient porté au pouvoir le PiS, le parti Droit et Justice qui, au fil du temps, est devenu le grand parti de droite, absorbant la plupart des mouvements patriotes catholiques (il ne reste que Droite de la République, de Marek Jurek, mais qui est électoralement associé au PiS). Élections qui, d’autre part, voyaient la disparition complète des députés de gauche… La seule grande formation d’opposition est la Plate-forme civique (PO), parti libéral qui, chez nous, serait qualifié de droite. Parti dont le chef était Donald Tusk,  aujourd’hui président du Conseil européen...

Du 14 au 16 avril 2016, la présidence, le gouvernement et l’Église ont ainsi organisé conjointement trois jours de célébrations. Au programme, une assemblée plénière de l’épiscopat polonais, une grand-messe solennelle dans la cathédrale de Gniezno, lieu du baptême du roi Mieszko, premier évêché de Pologne et toujours siège primatial, et à Poznan, la ville la plus proche, une session extraordinaire du Parlement polonais, avec le gouvernement, un légat apostolique, le nonce apostolique, le primat et les évêques, de nombreux prêtres, des représentants de Parlements étrangers, des ambassadeurs…

Le président de la République, Andrzej Duda, prononça un discours qui, chez nous, serait tout simplement impensable. En voici les premiers mots : « Le baptême de Mieszko Ier est l'événement le plus important de toute l'histoire de l'État polonais et de la nation polonaise. Je ne dis pas : ce fut, je dis : c’est, car la décision prise par notre premier souverain historique a prédéterminé tout l'avenir de notre pays. Notre héritage chrétien continue de façonner les destinées de la Pologne et de chacun d'entre nous, nous le peuple polonais, jusqu'à ce jour. C’est ce que saint Jean-Paul II avait en tête quand il a observé : “Sans le Christ, on ne peut pas comprendre l'histoire de la Pologne.” »
Il rappelait ensuite longuement les célébrations du millénaire et le rôle joué par le cardinal Wyszynski, puis il détaillait « les trois piliers de la civilisation chrétienne » : la philosophie grecque, le droit romain, le noyau de la pensée chrétienne : le Décalogue et l’Évangile, qui sont « devenus les piliers de l’identité et de la culture polonaises ».

Ayant évoqué les épreuves que la Pologne a connues au cours des siècles, et les dernières d’entre elles, le nazisme puis le communisme, ainsi que les défis de notre temps, il concluait, après une citation de Jean-Paul II : « Voilà pourquoi, pour rendre hommage à nos prédécesseurs prévoyants d'il y a 1050 ans, je voudrais dire catégoriquement aujourd'hui que, conformément aux instructions de notre grand compatriote, la Pologne est et restera fidèle à son héritage chrétien. Car c’est dans cet héritage que nous avons une base solide et éprouvée pour l'avenir. »

LE TEMPLE DE LA DIVINE PROVIDENCE
Cette même année du 1050e anniversaire, le 11 novembre, 98e anniversaire de la nouvelle indépendance polonaise, a été inauguré, par les autorités civiles et religieuses au grand complet, le Temple de la Divine Providence, à Varsovie, par une grand-messe solennelle…
Ce « Temple » a été inauguré 225 ans après sa conception. C’est un vœu qui a mis deux siècles à se concrétiser, mais qui l’a été, après tant de vicissitudes de l’histoire…

Dans la foulée de la Constitution du 3 mai 1791, le Parlement polonais en avait voté la construction, et la première pierre avait été posée l’année suivante, par le roi Stanislas Auguste Poniatowski et le prince Michel Georges Poniatowski, archevêque de Gniezno et primat de Pologne (et frère du roi). Mais deux semaines plus tard, les Russes envahissaient la Pologne, qui allait être dépecée et rayée de la carte. La République de Pologne d’après 1918 tenta de relancer le projet, mais il ne put être réalisé avant la Seconde Guerre mondiale. Sous le régime communiste on ne pouvait y songer. Mais après la chute de l’empire soviétique, le projet a été de nouveau relancé, par le cardinal Glemp. En 1998, 80e anniversaire de l’indépendance retrouvée, le Parlement votait la construction de la basilique, célébrant « la reconnaissance du pays pour la liberté retrouvée en 1989, pour le 20e anniversaire du pontificat de Jean-Paul II, et pour 2000 ans de christianisme ». Mais il fallut encore bien des années pour que le bâtiment soit construit.

A l’intérieur , il y à une grande nef et quatre chapelles: celle du baptême de la Pologne, celle de la Sainte Vierge (de Czestochowa), celle « de la souffrance et de la réconciliation » (Katyn et Auschwitz), celle de la Liberté (cardinal Wyszynski, Jean-Paul II, Solidarnosc). Il y a aussi un institut et musée Wyszynski-Jean-Paul II, un Institut de la Vie avec des organismes caritatifs, un Institut de la Renaissance (pour la jeunesse), et au sous-sol le « Panthéon des grands Polonais » (mais les grands Polonais sont déjà dans la crypte du Wawel, à Cracovie…). Le Temple, carré, a quatre façades, et l’on arrive aux quatre parvis par quatre « routes » qui symbolisent le combat, la culture, la souffrance et la prière ; les parvis sont ceux de la Patrie, du Peuple de Dieu (avec un chemin de croix et le chemin de croix de l’histoire de la Pologne), de la vie, et de la gloire.

JÉSUS-CHRIST ROI DE POLOGNE
Le 1050e anniversaire du baptême de la Pologne eut comme point d’orgue le 19 novembre l’« acte de réception de Jésus-Christ comme Roi et Seigneur », au sanctuaire de la Divine Miséricorde, près de Cracovie, par les évêques, le président de la République et des membres du gouvernement et du Parlement, en présence de dizaines de milliers de personnes, au cours d’une grand-messe.
L’initiative était portée de longue date par des comités pour l’intronisation du Christ comme Roi de Pologne, qui étaient là avec leurs bannières et leurs capes rouges frappées de l’aigle royal sur l’épaule, avec l’image du Christ Roi dans le dos. L’idée au départ vient de Rozalia Celakowna (1), en cours de béatification, qui, peu avant la Seconde Guerre mondiale, demandait au nom de Dieu la consécration du pays au Sacré-Cœur et l’intronisation de Jésus comme Roi de Pologne. Il y eut une motion au Parlement en 2006, mais l’épiscopat avait fait la sourde oreille. Finalement le projet a mûri, pour le 1050e anniversaire du baptême. Dans une lettre pastorale, les évêques ont expliqué qu’« il n’est pas nécessaire d’introniser le Christ au sens de le placer sur un trône et de lui donner le pouvoir ou de le proclamer. En effet, Il est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs pour toujours ». Cependant, aujourd’hui « nous assistons à une tendance croissante de laisser Dieu en marge de la vie, ou même de s’éloigner de Dieu », ce qui Le prive du culte qui Lui est dû. Par conséquent « il est urgent d’introniser le Christ dans le cœur des fidèles, en ranimant la foi vivante et la vie de foi ».

Dans son homélie, le cardinal Dziwisz, archevêque de Cracovie (et ancien secrétaire de Jean-Paul II), a déclaré : « Nous invitons Jésus dans nos cœurs, nos familles, nos communautés, notre environnement, et dans tout ce qui constitue la Pologne. » Ajoutant que personne ne devrait avoir peur de proclamer cela. Et Mgr Czaja, le président des comités pour l’intronisation, a ajouté : « Il est nécessaire de respecter clairement la loi de Dieu, afin que la loi de l'homme ne prime pas sur elle. »
Les évêques proclamèrent l’Acte de réception de Jésus-Christ comme Roi et Seigneur, acte qui dès le lendemain, dimanche, fut également proclamé dans toutes les paroisses du pays.

LA GUÉRILLA DE BRUXELLES
Dans le même temps, le gouvernement polonais était soumis à un flot constant de critiques des institutions européennes et des médias de la pensée unique. Il ne se passait pas de mois que reviennent les menaces de sanctions contre ce pays qui ne respecte pas les « valeurs » européennes et qui porte atteinte à la « démocratie ». Le péché le plus grave était d’avoir fait voter une loi permettant de revenir sur le verrouillage du Tribunal constitutionnel effectué par le gouvernement précédent dans les derniers jours de sa mandature.

Le gouvernement polonais ne se laissa pas intimider et continua ses réformes, sachant que les menaces de Bruxelles ne peuvent pas être mises à exécution, puisqu’il faut un vote à l’unanimité des autres  États membres, unanimité impossible par le seul fait que le gouvernement hongrois ne votera jamais contre la Pologne.


À la mi-juin la campagne a repris de plus belle. La Commission européenne a annoncé l’ouverture d’une « procédure d’infraction » contre la Pologne, et contre la Hongrie et la Tchéquie, qui refusent de recevoir des « migrants » selon le plan établi par Bruxelles. Et début août elle a ouvert une autre « procédure d’infraction » sur une loi de réforme de la justice. Tandis que la Cour de Justice de l’Union européenne ordonnait d’arrêter l’abattage d’arbres malades dans la forêt de Bialowieza…
Ces attaques ne font en fait que renforcer l’unité du « groupe de Visegrad », groupe informel de quatre pays, les trois visés ci-dessus et la Slovaquie. Groupe qui avait été formé pour aider à l’intégration européenne de ces États, et qui devient une sorte de laboratoire pour une autre Union européenne, respectueuse de la vie, de la famille, de la religion, des souverainetés. »


(1) Rozalia Celakowna (1901-1944) est une infirmière qui avait eu des visions et des révélations (surtout du Sacré-Cœur) et dont le procès de béatification est en cours. 

Ref. La Pologne, une oasis catholique en Europe

La Pologne a raison de défendre son identité mais plus une identité est sûre d’elle-même plus elle pose un regard ouvert sur ce qu’il y a aussi d’universel et de singulier dans celle des autres : pour le meilleur comme pour le pire car nous partageons tous,  dans ce monde transitoire, la même source de vie et la même blessure dramatique des origines. 

JPSC

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