Stéphane Mercier dénonce "apostasie et démission intellectuelle à l’Université louvaniste" (25/10/2017)

De Stéphane Mercier sur le site "L'Ultramontain" :

SILENCE - Apostasie et démission intellectuelle à l’Université louvaniste

Chers amis,

Vous êtes nombreux à m’avoir témoigné votre soutien dans « l’affaire » me concernant à l’Université catholique de Louvain au printemps 2017. L’institution a révélé, comme l’observait un homme d’esprit, que son nom était triplement usurpé : la censure déloyale n’est pas digne d’une Université ; l’hostilité à un enseignement en parfaite conformité avec celui de l’Église est intolérable au sein d’une institution qui se présente comme catholique ; et, pour ceux qui ignorent cette petite fantaisie dont la Belgique, patrie du surréalisme, a le secret, l’Université Catholique de Louvain n’est pas à Louvain, mais dans une ville nouvelle sortie de terre il y a bientôt un demi-siècle, Louvain-la-Neuve. La ville historique de Louvain abrite une autre Université, néerlandophone celle-là, la Katholieke Universiteit Leuven. Quant à savoir si elle est davantage catholique, c’est une autre question…

Le cours que j’avais donné à mes étudiants en leur exposant un exemple d’argumentation susceptible de les faire réfléchir à propos de la gravité de l’avortement a été mal reçu par une infime proportion d’entre eux. Je ne connais pas les chiffres, mais il semble qu’une dizaine, sur un total de six cents, n’aient pas du tout apprécié cette invitation à réfléchir sur base d’arguments vigoureux. C’était au début du mois de février 2017. Puis, durant cinq semaines, j’ai continué à donner mon cours tout à fait normalement. Un groupuscule insignifiant s’est toutefois ému de mon enseignement et a alerté la presse. Celle-ci, flairant le scandale, a tout de suite sorti le grand jeu. Nous étions alors le 21 mars. La réaction officielle de l’Université n’a pas tardé : le jour même, j’étais convoqué de façon peu amène au rectorat, tandis qu’une Philénis bien en cour clamait haut et fort que mes propos étaient « contraires aux valeurs portées par l’UCL » et que l’UCL défendait le « droit [sic] à l’avortement ». Un communiqué officiel dans le même sens fut publié dans la foulée, puis retiré discrètement quelques jours plus tard, non sans avoir été relayé par les médias.

 

J’ai été entendu deux fois par une collaboratrice du recteur. Aussitôt j’étais suspendu, et l’on requérait contre moi la sanction maximale, à savoir le licenciement. J’étais en droit de saisir une commission disciplinaire pour contester la sanction : la commission m’a donc entendu avec mes avocats au mois de mai, et a été contrainte d’admettre que le licenciement requis n’était pas une option, puisqu’il n’était pas prévu par le règlement interne de l’Université pour un chargé de cours invité. La commission a cependant estimé que j’avais « instrumentalisé » mon cours au service d’un « militantisme radical » face à un « auditoire particulièrement démuni », ce qui donnait à mes actes « un caractère de particulière gravité ». De l’avis de cette commission, une sanction exemplaire s’imposait. Pour rappel, dans le cadre d’un cours de philosophie, j’ai présenté à de jeunes adultes des arguments rationnels établissant la malice intrinsèque de l’avortement, en leur demandant non pas d’être d’accord avec moi, mais de peser par eux-mêmes les arguments proposés à leur intelligence. Au temps pour le « militantisme radical » et l’auditoire « démuni » !

Le conseil d’administration de l’Université, en principe chargé de la décision finale, s’en est remis au recteur, que j’ai finalement pu rencontrer au mois de juillet en présence de mes avocats toujours, et d’une juriste de l’Université Libre de Bruxelles. Celle-ci, tout en étant profondément en désaccord avec moi sur le fond, estimait—c’est tout à son honneur—que la moindre des choses était de pouvoir argumenter librement au sein d’un cours de philosophie. Une sanction de l’UCL, ajoutait-elle, équivaudrait à induire, au sein de l’Université louvaniste, un climat analogue à celui qui prévaut dans les Université turques.

Las ! le bon sens n’a pas prévalu. Durant le mois d’août, le recteur (ou dois-je dire le Grand Turc ?) a rendu son verdict, me condamnant et m’infligeant un blâme. La sanction minimale. Générosité de sa part, au vu, comme il me l’a écrit, de mes précédents états de service ? J’en doute. Mais voyez plutôt le glissement : au début, on me disait que le contenu de mon cours était en porte-à-faux avec les mystérieuses « valeurs » de l’UCL (sur lesquelles les autorités n’ont jamais jugé nécessaire de faire la lumière) et on réclamait mon licenciement, la sanction la plus lourde. En fin de compte, on opte pour la sanction la plus légère, un « simple » blâme, et en ayant soin de préciser que l’on ne me reproche pas la position que j’ai défendue mais la manière dont je l’ai défendue. Bel exemple de repli stratégique s’il en est ! Le reproche portant sur la manière est, notons-le, un simple paravent, car on me reproche évidemment le fond de mes propos, mais sans aller jusqu’à le dire franchement.

Pourquoi évidemment ? D’abord parce que la réaction initiale de l’UCL a bien été de vouloir me sanctionner sur base du fond, et non de la forme ; ensuite, parce que ce reproche sur la forme est ridicule. Mes arguments n’étaient ni caricaturaux ni exclusivement unilatéraux, comme on l’a prétendu : j’ai donné des raisons très claires, auxquelles personne n’a répondu ; quant aux objections en sens contraire, je les ai examinées, et je n’y suis pour rien si elles sont à ce point ineptes qu’elles s’effondrent aussitôt qu’on commence à les examiner. Du reste, quand bien même l’argumentation eût négligé le point de vue opposé, c’eût été de ma part une méthode légitime, ainsi que je l’ai exposé aux étudiants : non pas la seule méthode, mais une méthode parmi d’autres pour argumenter, et celle, en l’occurrence, que j’aurais choisi de présenter dans le cadre d’une séance de cours, réservant d’autres méthodes à d’autres séances consacrées à d’autres sujets. Enfin, m’eût-on reproché une argumentation unilatérale si, au lieu de m’en prendre à l’avortement, j’avais proposé une attaque en règle contre d’autres actes intrinsèquement mauvais comme le génocide ou l’esclavage ? M’aurait-on dit alors qu’il fallait être plus nuancé dans mon rejet de l’esclavage ? Poser la question, c’est y répondre.

Que penser alors du blâme ? En un sens, c’est une victoire : en comparaison de la sanction préconisée initialement pour me condamner sur le fond, cette sanction au rabais au prétexte d’une forme d’expression inappropriée, c’est vraiment, pour parler comme Horace, « la montagne qui accouche d’une souris ridicule » : Parturient montes, nascetur ridiculus mus (Art poétique, 139). Dans le même temps, cela témoigne de l’obstination d’une institution universitaire à museler un discours allant à l’encontre d’un des dogmes les plus aberrants du politiquement correct, et ce, alors même que le règlement interne de l’Université dit explicitement toute l’importance de n’être pas à la remorque de « la norme du moment ».

Paroles et paroles et paroles,

Paroles, et encore des paroles que tu sèmes au vent,

comme dit la chanson. Faut-il être surpris ? Non. Doit-on s’en émouvoir ? Peut-être. Peut-on demeurer silencieux ? Sûrement pas. Le blâme, même s’il n’est que la sanction minimale, est injuste ; et, bien sûr, le contrat me liant à l’Université n’a pas été renouvelé. Pour le coup, en toute légalité, mais pour des motifs inavoués qui sont aussi évidents qu’ils sont peu glorieux. Parler franchement, en prenant au sérieux l’exigence de rechercher la vérité et de l’exposer, a des conséquences, qui sont inconfortables ; mais cela ne doit pas nous décourager. La liberté de parler selon la vérité vaut bien quelques sacrifices. Si ceux-ci, du reste, sont portés par la perspective plus large d’être au service de la Vérité salvifique, nous avons tout lieu de croire qu’ils sont méritoires en plus d’être nécessaires.

Tout le monde, heureusement, ne ressemble pas aux idéologues malveillants, promoteurs d’une culture de mort déshumanisante, aux pleutres, partisans de la « philosophie de l’autruche », et aux cyniques, qui m’ont avoué franchement que cette question de la dignité des plus fragiles d’entre nos frères ne les intéressait pas et qu’ils avaient d’autres préoccupations (l’image médiatique de l’institution). Pour tous ceux qui ne leur ressemblent pas et qui souhaitent réfléchir franchement à une question importante en considérant de véritables arguments, clairs et directs, je me permets de recommander le petit livre que j’ai publié au début du mois de septembre sur les motifs qui doivent nous pousser à rejeter absolument l’avortement : La philosophie pour la vie (distribué par Salvator, disponible en librairie et en ligne, par exemple sur librairiedamase.com ou sur Amazon.fr). Je salue l’éditeur courageux, Quentin Moreau : en souhaitant cette publication, il a montré sa confiance dans l’intelligence des lecteurs, et son désir de servir le bien commun.

Pour terminer, voici la lettre que j’avais adressée en privé, au plus fort de « l’affaire », au recteur de l’Université ainsi qu’au président du conseil d’administration ; j’ai seulement supprimé les noms des personnes, pour qu’on ne m’accuse pas de les diffamer, d’autant qu’elles se sont elles-mêmes chargées de cette triste besogne par leurs propos et par leurs actes. Les destinataires de cette lettre n’ont jamais daigné me répondre, ni même accuser réception, mais les événements que j’ai brièvement rapportés sont suffisamment éloquents. Après tout, ce n’est pas la première fois qu’une autorité est interpelée, qu’elle fait la sourde oreille et ne répond pas, et laisse toutefois clairement entendre son état d’esprit par d’autres voies—mais c’est là une autre histoire…

Je me recommande aux prières des croyants, pour qu’ils prient la très Sainte Vierge Marie de nous avoir, mon épouse et moi-même, en sa sainte garde.

En la fête de l’Archange saint Michel,

Stéphane Mercier 

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Lettre du 26 avril 2017 au Président du Conseil d’Administration et au Recteur de l’Université Catholique de Louvain
Lettre au Président du Conseil d'Admini
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