Il n'est guère aisé de croire en l'homme... (25/10/2017)

Du père Charles Delhez s.J., cette chronique parue sur le site de La Libre :

Comment continuer à croire en l'homme? (CHRONIQUE)

La foi m’a été offerte avec le lait maternel. Petit à petit, j’ai compris que cette foi m’aiderait à croire en l’homme…

Humain : voilà un adjectif qui justifie souvent nos fautes. Errare humanum est… Dans son livre "Cœur ouvert", Elie Wiesel, rescapé d’Auschwitz, Nobel de la paix décédé l’an dernier, fait remarquer que, pour les tueurs et les tortionnaires de l’Holocauste, il était normal, donc humain, de se montrer inhumain. Par contre, dans son film "Les justes" (1994), Marek Halter interroge 36 personnes - le nombre pouvant, selon la tradition juive, sauver l’histoire - qui ont pris des risques pour cacher des Juifs durant la guerre. Quelles étaient leurs motivations ? Ils répondent souvent : c’est humain ! C’est normal. Je l’ai fait par humanité. Ces héros anonymes ont sauvé leur époque et donc l’humanité.

"Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan", disait Baudelaire, l’auteur des "Fleurs du mal". A nous de choisir. L’être humain est faillible, et même parfois en dessous de tout. Mais il y a au plus profond de lui une force étonnante qui, quand les eaux profondes du mal nous submergent, est capable de nous hisser vers plus d’humanité. Comment faire pour que les sous-hommes que nous sommes le soient un peu moins et peut-être un jour deviennent des hommes ? Telle était la question de Sartre au terme de sa vie.

En tout être humain, il faut donc libérer l’humain. "Les hommes ne naissent pas hommes, ils le deviennent", disait déjà Erasme en 1529. Etty Hillesum, cette Juive au parcours étonnant, dans son journal privé (1941-1943) devenu maintenant une référence, dit que notre tâche est de sauver en nous cette part de l’humanité qui y sommeille. Telle est notre responsabilité aux yeux de l’histoire. L’humain est un combat de tous les jours qui se remporte en chacun de nous.

Croire en Dieu, c’est croire en l’homme, entend-on parfois dire. Je partage entièrement cette réflexion, mais j’ai envie de la prendre aussi dans l’autre sens. En effet, il n’est guère aisé de croire en l’homme. Il peut pervertir le meilleur. Ce qui défraye la chronique en Belgique depuis des mois - les services publics et l’assistance sociale, lieux d’appétits financiers honteux - l’illustre à l’envi. Quand, le matin, ces nouvelles me réveillent, je peine à continuer à croire en l’homme. Camus dans "La Chute", son livre le plus pessimiste, souligne la duplicité humaine. "Après de longues études sur moi-même", confie Clamence à son interlocuteur, "j’ai compris que la modestie m’aidait à briller, l’humilité à vaincre et la vertu à opprimer. Je faisais la guerre par des moyens pacifiques et j’obtenais enfin, par les moyens du désintéressement, tout ce que je convoitais." Comme en écho, Alex Vizorek, l’humoriste interviewé récemment par Francis Van de Woestyne, avouait : "J’aimerais croire en l’Homme mais il parvient toujours à nous décevoir" ("La Libre", 2-3 septembre 2017).

De culture chrétienne, j’ai d’abord cru en Dieu. La foi m’a été offerte avec le lait maternel. Et, petit à petit, j’ai compris que cette foi m’aiderait à croire en l’homme… Impossible de considérer l’un sans l’autre. Disons-le en une parabole inspirée de "Soufi, mon amour" (Elif Shafak). Il y était une fois un homme qui louchait et voyait double. Un jour, son patron lui demanda d’apporter le pot de miel de la réserve. "Maître, il y a deux pots de miel, expliqua-t-il, lequel voulez-vous ?" Comme il connaissait bien son assistant, le maître répondit : "Pourquoi ne casses-tu pas un des pots et ne m’apportes-tu pas l’autre ?" Hélas ! Notre homme ne comprit pas la sagesse de ces paroles. Il fit ce qu’on lui avait demandé. Il cassa un des pots et fut surpris de voir l’autre se briser aussi.

Croire en Dieu me permet de croire en l’humain, celui que nous sommes appelés à devenir par-delà tout qu’il y a encore en nous de "trop humain" (Nietzsche). Paradoxal ? Certes. Telle est la tension de toute existence, ce qui la rend finalement passionnante.

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