Ce n'est vraiment pas le moment d'oublier la Syrie (27/02/2018)

D'Anne-Bénédicte Hoffner sur le site du quotidien La Croix :

En Syrie, les Églises alertent sur l’intensification des violences

« C’est vraiment un moment infernal », lance le nonce apostolique en Syrie dans les colonnes de l’Osservatore romano, rappelant que la défaite de l’État islamique n’a pas réglé tous les problèmes du pays.

De son côté, l’archevêque maronite de Damas s’alarme d’un « effondrement » de son Église en raison de l’exil d’un nombre croissant des Syriens.

« Ici à Damas, les coups tombent surtout dans certaines zones, comme la vieille ville ou dans d’autres quartiers avec une forte présence chrétienne », alerte le cardinal Mario Zenari, nonce en Syrie, interrogé par L’Osservatore romano dans son édition du 22 février. « Mais à environ quinze kilomètres à l’est, dans ce que l’on appelle la Ghouta orientale, on parle d’un déluge de feu. Bombardements constants, artillerie, combats… C’est vraiment un moment infernal ».

Le régime syrien semble avoir décidé d’en finir avec l’une des dernières poches rebelles dans le pays (avec celle d’Idlib au Nord) : la Ghouta orientale, où vivent environ 400 000 habitants, ainsi que de nombreux groupes armés islamistes – proches des Frères musulmans ou d’Al-Qaida. De nouveaux bombardements meurtriers ont eu lieu lundi 26 février, malgré la trêve demandée par l’ONU et appuyée par des pressions internationales.

Les frappes aériennes, qui ont fait plus de 550 morts depuis le 18 février dans cette enclave assiégée, semblent toutefois avoir baissé d’intensité, même si des accusations d’attaques chimiques ont été évoquées avec 14 cas de suffocation.

Bombardements dans les quartiers chrétiens

De leur côté, les rebelles ont repris eux aussi leurs bombardements en direction de la capitale depuis janvier, faisant plusieurs morts et de nombreux blessés, en particulier dans les quartiers chrétiens de Bab Touma et Kassaa, les plus proches géographiquement de la Ghouta.

 

« Les chrétiens vivent des moments particulièrement difficiles », précise le cardinal Zenari. « Mais en Syrie la souffrance est transversale. Il y a des centaines de milliers de victimes. Tous pleurent leurs morts ou ont vu leurs lieux de culte détruits, ont subi des atrocités. Ce ne sont pas uniquement les chrétiens qui sont frappés. Mais il est également vrai que devant tant de zones frappées de façon particulière, les chrétiens se sentent pris pour cible. Il y a un fort sentiment de peur, de frustration ».

Si l’on se projette dans l’avenir, « il est évident que les groupes minoritaires sont les plus menacés. Et parmi ceux-ci, les chrétiens le sont de manière particulière », souligne le nonce apostolique. « En effet, certains s’organisent pour se défendre ; les chrétiens en revanche ont choisi de ne pas porter les armes ».

Intensification redoutée

Depuis plusieurs semaines déjà, la vie était ralentie dans les Églises chrétiennes : les bombes tombaient souvent en début d’après-midi, vers l’heure de la sortie des écoles. Plusieurs élèves ayant été tués ou blessés, certaines écoles catholiques ont fermé leurs portes.

Et cette intensification prévisible des combats dans la Ghouta était redoutée dans le centre de la capitale. Les habitants s’interrogeaient sur les quartiers considérés comme plus sûrs où ils pourraient temporairement trouver refuge...

Des « obus aveugles tuent des innocents chaque jour », écrit de son côté dans son message de Carême Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas, qui a lui-même échappé de peu à un missile en janvier.

Dans ce contexte angoissant, toujours plus de Syriens tentent d’émigrer vers l’étranger, « même si cela devient de plus en plus difficile », constate un prêtre sur place. Alors que 12 millions de Syriens vivraient déjà en exil, l’exode se poursuit « à un rythme plus rapide surtout parmi les jeunes et les hommes (NDLR : pour échapper au service militaire) d'où une pénurie aiguë de la main-d’œuvre », écrit l’archevêque maronite de Damas.

 80 % du monde hospitalier ont quitté le pays dont 90 % de médecins », déplore-t-il. « 60 % des blessés meurent par manque de soins. (...) La situation se dégrade chaque jour et les partants défilent devant nos yeux sans que nous puissions les retenir ni leur dire au revoir. Un déchirement intérieur bien angoissant nous habite ».

Pire, la perspective d’une « solution de paix reste lointaine, et même bloquée ». Et « l’action caritative au lieu de se développer ne cesse de reculer par manque de structures et d’agents sociaux bien formés ».

« La construction ecclésiale s’effondre doucement »

À Damas, le nombre des familles assistées en 2017 par l’Église maronite se limite à 828 familles contre 1 407 en 2016. « Combien seront-elles en 2018 ? Un sentiment de culpabilité nous traverse », glisse leur archevêque. « La construction ecclésiale s’effondre doucement. En 2017 : 10 mariages au lieu de 30. 7 baptêmes au lieu de 40. Sommes-nous en train de tourner la page ? »

Dans ce contexte dramatique pour l’ensemble de la population syrienne et pour leur survie, les responsables des Églises chrétiennes tirent à nouveau la sonnette d’alarme. Dans le quotidien du Vatican, le nonce apostolique « lance à nouveau un puissant appel aux médias ».

« On pense souvent qu’avec l’échec significatif de Daech (chassé désormais de 90 % du territoire), on revient vers une situation normale en Syrie. Mais Daech n’était qu’une partie, bien que grave, de la question syrienne. (...) Le problème central demeure. Tous ceux qui sont présents en Syrie avec leurs drapeaux, leurs hommes et leurs armes n’ont pas d’accord entre eux. C’est une sorte de tous contre tous, deux contre trois, quatre contre cinq... Il ne faut pas oublier la Syrie ! »

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