L’enseignement chronologique de l’histoire est indispensable (27/02/2018)

De Bosco d'Otreppe sur le site de la Libre :

"L’enseignement chronologique de l’histoire est indispensable" (FRANC-TIREUR) 

Il faudra cependant attendre la fin de l’année 2018, et la rédaction des référentiels qui fixent ce qui sera enseigné dans chaque cours, pour savoir avec précision comment la discipline historique sera envisagée dans nos classes.

Notons du coup que Louis Manaranche, s’il argumente ici sa vision de ce que doit être un cours d’histoire, ne réagit en rien à ce qui est prévu par le Pacte.

"Je crois que l’histoire, avec sa dimension chronologique et progressive, permet d’arrêter sa pensée"

Tout est lié : la manière dont on donne un cours témoigne de la manière dont on le pense et dont on pense ses missions. Pour le cours d’histoire, vous refusez qu’il soit enseigné à travers une approche thématique ("Manger au Moyen Âge", "Être une femme à l’époque des Lumières"…). Vous privilégiez plutôt une approche chronologique. Qu’est-ce que cela veut dire sur la manière dont vous pensez l’enseignement de l’histoire ?

Enseigner l’histoire à travers une approche chronologique impose une certaine humilité, tant cette approche se projette sur un temps assez long. Un tel enseignement considère qu’il faut d’abord passer par la transmission de l’élémentaire, qu’il est indispensable d’offrir aux élèves de saisir les grands jalons de l’histoire, de les ruminer, de les intérioriser, avant de pouvoir passer à l’étude de grandes thématiques. C’est une conception de l’enseignement qui estime que l’assimilation patiente des fondamentaux constitue un socle indispensable au déploiement de la pensée. Aller trop vite vers un enseignement thématique me semble inciter à privilégier une école du zapping, où je donne des informations pêle-mêle que l’élève aura à sa propre charge de remettre en ordre.

L’approche thématique, "qui n’est pas sans intérêt dans la sphère universitaire", dites-vous, est donc risquée quand elle est enseignée trop tôt ?

L’approche thématique de l’histoire peut être intéressante, je ne souhaite pas la jeter aux orties en tant que telle. Mais pour qu’un élève puisse se plonger dans une approche thématique et dans la réflexion qu’elle implique, il faut qu’il ait déjà une grande maturité. Or cette maturité repose sur l’acquisition de savoirs, et sur une histoire comprise dans sa dimension chronologique. Dans les classes, je pense donc que l’approche thématique est intéressante pour susciter l’intérêt, pour faire le lien entre tel aspect de la vie quotidienne, et tel point historique par exemple. Mais une fois passée cette première étape, il est crucial de proposer une réflexion du temps et sur le temps. Aider l’élève à comprendre la dimension chronologique de l’histoire est indispensable.

 

Cette approche est-elle d’autant plus urgente dans notre société du numérique où les jeunes reçoivent beaucoup d’informations, mais de manière désarticulée ?

Oui. Je crois que l’histoire, avec sa dimension chronologique et progressive, permet d’arrêter sa pensée, de la faire se concentrer sur des objets dont on est amené à interroger les causes, les conséquences, et pour lesquels un temps d’apprentissage et d’analyse est indispensable avant d’en avoir une compréhension ajustée. À l’heure ou les informations s’entrechoquent et sont souvent renvoyées à une forme de primat de la subjectivité, une telle approche de l’histoire est importante.

Que voulez-vous dire par "primat de la subjectivité" ?

Je veux dire que nous sommes sans cesse sommés de nous positionner, d’exprimer un avis sur l’information. Du coup, celle-ci, dans sa dimension objective, a clairement perdu en valeur. L’histoire permet de réhabiliter cette analyse du temps qui dépasse ma propre subjectivité.

L’enseignement chronologique de l’histoire, en plus de son apport culturel, offre donc une méthodologie ?

L’histoire, avec d’autres disciplines, forge l’esprit critique en permettant à cet esprit de se fixer sur des événements et d’en comprendre les enchaînements et les liens. L’histoire offre à l’enfant de pouvoir traiter l’information et l’actualité qui lui proviennent avec un même recul. L’histoire est, en principe, une école du recul.

Justement, comment définissez-vous les missions et les finalités d’un cours d’histoire ?

En premier lieu, le cours doit donner à l’élève la connaissance gratuite de l’histoire. Souvent, on a tendance à faire de l’histoire une matière en vue de quelque chose d’autre : en vue de former des citoyens, en vue de se forger une histoire commune, en vue d’ouvrir à l’universel… Tout cela est vrai, mais en premier lieu il s’agit d’offrir une connaissance qui permet à l’élève de se forger un esprit critique dans la mesure où cette histoire est strictement gratuite. Il ne faut donc pas, par exemple, transformer l’histoire en un outil en vue d’une propagande nationaliste ou mondialiste. De telles finalités biaisent son approche. L’histoire doit donc reposer exclusivement sur la scientificité de la méthode historique. La deuxième finalité, c’est que le cours d’histoire, comme on l’a évoqué, puisse aider l’élève à se forger un esprit critique. Enfin, dans un troisième temps, l’histoire devrait permettre d’acquérir un sentiment d’appartenance commune qui est le préambule indispensable à la citoyenneté. Nous sommes en effet des êtres incarnés dans un temps et dans un lieu. Apprendre l’histoire du pays que j’habite, non pas pour le porter au pinacle de ce qui serait une sorte d’accomplissement de l’humanité, mais pour le comprendre, me permettra de m’ancrer là où je vis. Dans cette appartenance, il y a bien sûr aussi la compréhension que je ne suis pas que Français, Belge ou Européen, mais que je suis aussi un Homme et que j’ai donc quelque chose à voir avec l’histoire de l’humanité. En fait, c’est à travers le sentiment d’appartenance que je peux m’ouvrir à l’universel.

Cela implique-t-il que le cours d’histoire s’attache, dans un premier temps, à enseigner l’histoire de son aire culturelle ? Qu’il parte du particulier vers l’universel ?

Oui, sans jamais perdre de vue l’universel. Le risque cependant, en commençant par l’universel, est que l’on ne permette pas d’honorer la dimension incarnée de la personne.

Vous expliquez que l’approche chronologique offre à l’enfant de se rendre compte qu’il est "fils ou fille de". En quoi est-ce important ?

C’est important parce que la dimension filiale est une composante absolument structurante de notre humanité. Dans une société où on exalte la souveraineté radicale de l’individu, il est capital que l’on puisse réexplorer une humanité commune en remettant en valeur cette dimension filiale. On n’est pas une génération spontanée, et le fait de recontempler cette dimension profondément historique de la personne humaine est un antidote à un certain nombre de tentations prométhéennes actuelles qui peuvent apparaître sous des vocables comme le transhumanisme. Avec cette reconnaissance que nous sommes "fils ou filles de", c’est aussi une humilité de l’homme qui est engagée. Cela va jusqu’à nous aider à comprendre l’écologie et le fait que l’on reçoit une terre qu’il nous reviendra de rendre.

Quels sont les risques que court l’histoire aujourd’hui ?

D’une part, c’est qu’elle devienne une spécialité réservée à certains. Je me réjouis donc qu’en France l’histoire gagne en importance dans le programme. D’autre part, c’est qu’elle ne soit plus considérée comme une discipline scolaire à part entière, mais comme une composante parmi d’autres d’un grand enseignement des humanités. Je suis favorable à l’interdisciplinarité mais, tout comme l’approche thématique, elle doit arriver une fois que les fondamentaux sont bien posés. La progressivité que suppose un enseignement de l’histoire n’est pas possible si elle devient une composante d’un grand tout. Or, contrairement à l’approche thématique, l’approche progressive et chronologique de l’histoire permet d’acquérir une certaine hauteur face aux événements.

La bio express de Louis Manaranche

Enseignant. Français, Louis Manaranche est agrégé d’histoire, enseignant et auteur de “Retrouver l’histoire” (éd. du Cerf).

Transmission. Dans son ouvrage, Louis Manaranche regrette que l’enseignement de l’histoire ait été en partie perdu, notamment parce qu’elle a été vue comme un héritage qui pouvait diviser une société. Or, insiste-t-il, si l’histoire est prise comme un tout, elle peut être un vecteur d’unification et d’unité. Il fait le pari que la connaissance culturelle est première, et qu’il serait vain de chercher à exercer son esprit critique en en faisant abstraction. La transmission de savoirs est, pour lui, à revaloriser.

Liberté. En janvier, il publiait, dans la revue française “Limite”, un texte sur le rôle de l’histoire. Celle-ci est “ordonnée, écrivait-il, au rôle un peu paradoxal d’initier au mystère du monde par une démarche d’humble rigueur”. De plus, à travers un enseignement chronologique de l’histoire, poursuivait-il, l’élève “intériorise sa condition de fils et d’habitant d’une terre, et l’histoire lui suggère comment sa liberté peut ou non le faire accéder à celle de père et de membre d’une cité. Il sait s’orienter dans l’histoire, mais aussi orienter sa vie pour que l’histoire continue.

Les débats  autour des cours d’histoire sont passionnants. Ils témoignent particulièrement de la manière dont est pensée l’école, ses missions, la transmission et même ce qui fait la société. Ces dernières semaines, la réforme du Pacte d’excellence a relancé ce débat.

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