Comment peut-on être catholique ? Cinq ouvrages apportent leurs réponses... (15/03/2018)

De "Koz" (Erwan le Morhedec) sur son blog : 

Comment peut-on être catholique ?

Il y a ceux qui constatent, amers, la chute du nombre de fidèles et ceux qui la célèbrent, ravis, ceux qui annoncent la mort de l’Eglise et tout en même temps dénoncent ses velléités de s’imposer. Ceux qui ne comprennent pas que cela existe encore. Ceux qui ne voient que des cathos fachos, ceux qui ne voient que des cathos gauchos, ceux qui les dénoncent anti-migrants, ceux qui les fustigent pro-migrants, ceux qui font un pari bénédictin, ceux qui font un pari chrétien, ceux qui claquent des bannières et ceux qui passent par derrière.

Comment peut-on être catholique1 ? Comment peut-on être encore catholique aujourd’hui ? Question de principe et questions d’application. Question d’actualité quand cette rentrée littéraire nous offre, sans même être exhaustif, cinq ouvrages pour souffler un vent frais sur l’Église de nos jours.

* * * 

Denis Moreau en fait une question de principe, la question en titre, dans un ouvrage de riante philosophie. Il prend sur lui la charge de la justification. Comment peut-on seulement être catholique ? Et comment un philosophe, qui connaît des mots compliqués et se targue de faire usage de sa raison, peut-il ainsi déraisonner, croire en Dieu et jusqu’en la résurrection des corps ? Comment, pourquoi ? Parce qu’il y a entre autres « quelques bonnes raisons de croire »Alors Denis Moreau se coltine ce qu’il est convenu d’appeler les « preuves de l’existence de Dieu » – mais pour rappeler que « preuve » peut tout aussi bien signifier indice et que ces « preuves » doivent être entendues comme des preambula fidei, ou une « invitation argumentée à la foi ».

Denis Moreau est catholique non pas en dépit de la philosophie, mais parce qu’il est philosophe.

Un trait est frappant : de toutes les grandes religions, le christianisme – et spécialement sa branche catholique, dans la mesure où la Réforme s’est en partie affichée comme une réaction critique contre un abus de philosophie – est celle qui, de façon massive et continue, a choisi de se présenter et de se réfléchir dans des catégories reprises à la philosophie telle qu’elle s’était développée en Grèce antique.2

Que l’on ne s’effarouche pas trop vite en voyant un ouvrage de philosophie. Moi-même, j’ai flippé ma race en y lisant « Spinoza« . Mais Denis Moreau a sué sang et eau pour produire un ouvrage accessible, et même souvent drôle, dans lequel il répond aux objections si fréquentes que sont l’existence du mal, l’angoisse de la mort qui nous motiverait, les fautes de l’Église, l’inefficacité de la prière.

Un exemple ? Est-ce justement la peur de la mort qui nous conduit à croire ? Peut-être. Et après ? Il y a de bonnes raisons de croire, nous dit-il, que la peur de la mort « amène les êtres humains à mal se conduire », en ce qu’elle serait « à la racine de la cupidité, de la gloutonnerie, de l’orgueil »3.

Serait-ce alors parce que la foi vient nous apporter une consolation illusoire que nous nous empressons de l’adopter ? Évidemment, Denis Moreau ne se borne pas à la réponse qui suit mais, sur la logique même de l’argument, il objecte que « l’idée que quelque chose doit être répudié parce que cela correspond à notre désir ne va pas de soi » – ainsi du verre d’eau que l’on tendrait à un homme assoiffé : oui, l’idée d’une victoire sur la mort correspond certainement à un désir de l’Homme, mais cela ne suffit pas en soi à ôter tout crédit à la foi.

C’est ainsi qu’à bien des égards, Denis Moreau nous amène à faire ce pas de côté pour envisager la question sous un angle renouvelé, et ne plus prendre l’objection pour acquise ou angoissante.

Être catholique, ce n’est pas abdiquer la raison.

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La mort, toujours, elle, prend sa place dans l’échange magnifique entre François Bégaudeau et Sean Rose, l’agnostique qui croit peut-être et le chrétien qui doute encore. Étonnante conversation entre deux hommes sur le bord du même fil, chacun de son côté. François Bégaudeau4 y est net, y est tranchant, radical. Son exigence réveille le croyant. Mais revenons à la mort. Même question : cette coupable angoisse serait le moteur du croyant ? Il s’interroge notamment sur la raison pour laquelle une fratrie peut prendre des chemins si différents.

On distingue souvent, parmi les enfants, entre les éveillés et les moins éveillés, les extravertis et les inhibés, les champions scolaires annoncés et les foutus d’avance, etc. une polarité tout aussi décisive est plus rarement mentionnée : certains enfants sont angoissés par la mort, d’autres pas. J’ai fait partie des premiers. Un mauvais numéro qu’on tire – ou un bon, de par la fertilité de cet affect. Je ne parle pas du questionnement réglementaire qui vient à tout enfant à l’occasion d’un décès ou à l’évocation d’un défunt, mais de l’air qui se raréfie à chaque flash d’hyperconscience de la finitude. Je parle de vertiges suffocants. De ma prescience concrète du trou.

L’air qui se raréfie, la prescience du trou, mais la fertilité de cet affect : je n’avais pas vu ainsi cette honteuse affliction. Plusieurs fois, François Bégaudeau rafraîchit le croyant, à grands seaux d’eau glacée. On fustige le fondamentalisme ? Il vante la littéralité, contre le recours trop pratique à la lecture métaphorique. Le riche est-il riche en esprit, et le pauvre de même ? Non, c’est bien du riche de biens que le Christ parle. Et s’il est plus difficile à un riche d’entrer au Royaume de Dieu qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille, c’est que le riche ne sait plus que sa vie n’est pas entre ses mains.

Qu’est-ce qui lie les aspects les plus divers de la vie d’un riche ? C’est le congé donné au réel (…) La richesse offre un quotidien sous cloche, et donc une existence moins incarnée (…) Le pauvre ne saurait oublier qu’il est un composite de matière. Elle se rappelle à lui tous les jours. La pierre, parce que l’ascenseur est en panne depuis six mois et qu’aucun ami influent ne fera pression sur le syndic; le sang, parce que ce sont les prolos qui deviennent flics, pompiers, infirmiers, et qu’on place en première ligne sur les fronts de guerre; l’urine, parce que les effluves du métro l’évoquent deux fois par jour; la terre, parce que sur un chantier une rafale de vent affole la poussière qui pique les yeux, etc. (…) Par intuition atavique, le pauvre se sait en sursis, sait que les tuiles tombent sur qui n’a pas de toit, se sait entre les mains du destin, et c’est pour cela qu’il l’implore, qu’il s’en remet à lui, qu’il prie. Ainsi le pauvre est souvent religieux/superstitieux/pieux. Tandis que l’ascendant sur la matière que la richesse vous assure finit par s’extrapoler en maîtrise du destin, et par vous déprendre du sentiment, enfantin et donc juste, que des puissances sur lesquelles vous n’avez pas prise vous agissent.

Bégaudeau ne croit pas, et l’on ne sait pas bien pourquoi, tant ses propos sur la foi, sur le Christ, sont empreints d’un respect, d’une exigence et d’une justesse que l’on aimerait partagée par plus de chrétiens.Sait-il vraiment pourquoi il ne croit pas, tant certains mots sonnent comme une fugitive reconnaissance5  ? Reconnaissons-lui de se connaître mieux lui-même. Mais, lorsqu’il dit qu’il n’est pas un croyant car s’il veut bien prier, il veut prier seul et pas dans une église, pas publiquement, se souvient-il que le Christ, justement, appelle à cette discrétion (« Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre ; ferme sur toi la porte et prie ton Père qui est dans le secret » (Mt 6, 6) ? Il ne croit pas et l’on se demande tout de même si malgré tout, lui qui célèbre le pauvre, ne laisse pas l’orgueil entre la foi et lui, s’il ne se contemple pas dans sa radicalité. La foi n’existerait que pure et parfaite.

Pour une fois, manque de chance, le good cop a le mauvais rôle. Sean Rose, chrétien anglican, se fait quelque peu malmener dans cet échange. C’est que la radicalité de Bégaudeau n’échappe pas, parfois, à l’injustice et peut-être à la facilité. Rose est du côté de celui qui a osé le saut de la confiance, il fait partie (tout anglican qu’il est) d’une « Église de pécheurs », ceux qui se savent petits, ceux qui se savent indignes, jamais « à la hauteur », qui savent leur foi faible, qui tombent et se relèvent. C’est aussi parfois comme cela, en tout petits, parce que l’on a consenti, un jour imprécis, à passer de l’autre côté du fil, que l’on est chrétien, ou catholique.

Être catholique, c’est se faire petit avec les petits.

*

Comment peut-on être catholique ? Et Julien Leclercq, dans un ouvrage déjà évoqué ici, en atteste : on peut être jeune, de banlieue, et se convertir. Lui, qui avait un jour littéralement craché sur la croix du Christ, il s’est converti. Et il livre un témoignage d’une poignante sincérité. Car il est bien de cette « Église de pécheurs ». Converti, baptisé, il retombe. Ses excès d’hier n’ont pas disparu. Tel baigneur indélicat qui manque de lui plonger dessus, il est à deux doigts de l’aplatir. La fidélité, chez lui, a connu ses accrocs. Tout cela, il consent à l’écrire. Parce qu’un chrétien n’a jamais été un parfait, mais est ce fils qui revient et que son père, toujours, est prêt à accueillir.

Radical, Julien ? Intégral, plutôt. Venu d’entre Les Mureaux et Mantes-la-Jolie, il aurait pu avoir une conversion identitaire. Une réaction compréhensible à une cohabitation difficile. Combien sont-ils à vous affirmer que, lorsque l’on connaît cela, on vire forcément identitaire ? Julien est sans complaisance avec l’islam, sans illusion non plus, mais il s’offre à sa foi.

Nous sommes assis sur une poudrière. Citoyen catholique, je ne serais en paix ni avec ma conscience ni avec le Christ en rejetant celui qui ne partage pas ma foi.

Alors quand la colère le prend, quand l’émotion s’impose, quand des paroles du pape suscitent son incompréhension, il se pose, il se reprend, et il cherche à comprendre, désireux d’être chrétien pleinement.

Être catholique, c’est tomber mais se relever, avec le secours du Père.

*

Intégral encore, François Huguenin, dans ce livre plus amplement recensé dans ce précédent billet. Lui aussi refuse de transiger, trier la doctrine de l’Église, écarter, absolutiser ce qui conforte, relativiser ce qui bouscule. Comment peut-on être catholique ? Chez lui, il s’agit de savoir comment l’être dans un monde qui n’est pas chrétien.

Denis Moreau évoquait déjà la parabole du bon grain et de l’ivraie (pour mémoire, c’est ici, Mt 13, 24), pour souligner que « durant sa croissance, il est malaisé de la différencier des jeunes tiges de blé et, lorsqu’elle a grandi, il est difficile de l’arracher sans arracher le blé avec elle », et qu’ainsi va l’Église. François Huguenin lui, rappelle que « tant que le temps de la moisson n’est pas arrivé, ce n’est pas le moment de séparer l’ivraie du blé. Nous sommes souvent trop pressés, trop sûrs d’y arriver, trop désireux de bâtir un monde qui nous rassure et nous conforte » et il pointe fermement une « hypertrophie du domaine symbolique de la loi » pour dénoncer tout ensemble la volonté de tout faire passer par la loi et le risque de surévaluer le champ idéologique. Il cite à cet égard saint Thomas d’Aquin, qui exprimait déjà clairement pourquoi tout ce que l’on peut réprouver ne doit pas être interdit pour autant : « La loi humaine est portée pour la multitude des hommes, et la plupart d’entre eux ne sont pas parfaits en vertu. C’est pourquoi la loi humaine n’interdit pas tous les vices dont les hommes vertueux s’abstiennent ».

François Huguenin met ainsi en garde contre une tentation des chrétiens de ces derniers temps :

Il est important de ne pas absolutiser une sorte de non possumus qui condamnerait les chrétiens à n’être plus acteurs de leur monde, à s’enfermer dans la critique stérile, à se couper de leurs frères en humanité.

Ainsi sur la question de l’action citoyenne des chrétiens, François Huguenin appelle à ne pas désespérer :

Il s’agit de dépasser l’horizon parfois très étroit de la loi : il faut envisager de la combattre quand c’est le moment, de peser sur son élaboration quand c’est possible, et surtout de savoir que la loi positive n’est pas tout, qu’elle est parfois impossible à récuser, mais que tant que la liberté est possible, la parole et l’action le sont aussi.

Le chrétien ne peut pas, et n’a pas à imposer sa loi. Il participe aux débats de la cité mais n’est pas supérieur aux autres. Et François Huguenin reprend une interprétation éclairante d’une célèbre parole du Christ : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde », pour souligner que ni l’un ni l’autre ne valent pour eux-mêmes, mais pour ce qu’ils révèlent.

Le chrétien est donc au monde pour l’aider à se révéler à lui-même comme création d’un Dieu d’amour où la dignité de chaque personne humaine est inaltérable.

Être catholique, c’est agir dans la société, en amitié aussi.

*

Patrice de Plunkett rejoint les précédents auteurs dans le refus de voir les chrétiens s’enfermer dans une sociologie uniforme, bourgeoise, retirée du monde et toute occupée à le fustiger.

Comme j’ai pu le faire l’an dernier, il met en garde, avec la vigueur qu’on lui connaît, contre une dérive identitaire – faisant un lien, pas toujours évident, entre les puissances de l’argent et l’identitarisme. Pour toucher toutes les composantes de la société française, lorsqu’elle touche les catholiques, cette dérive identitaire s’avère certainement plus paradoxale, et contradictoire à ses fondements propres.

L’identitarisme n’est pas « l’identité ». C’est une idéologie qui s’empare d’un sentiment : celui de la perte d’identité. Que ce sentiment de perte soit fondé ou non (et quelles que soient ses causes), l’identitarisme s’en saisit et lui injecte un contenu étranger et sourdement hostile au christianisme, même et surtout quand il prétend défendre celui-ci.

S’il est sans concession envers le risque de repli sur eux-mêmes qui taraude une part non négligeable de catholiques, il les appelle aussi à ne pas négliger les « signes d’intérêt inédits envers la foi chrétienne que donnent nos contemporains »6 alors qu’ils ont pu lui « tourner le dos parce qu’ils prennent le catholicisme pour une morale fermée »7. De fait, il y a bien des occasions pour se sentir malmené, mais aussi tant de signaux faibles de cet intérêt discret, de ce questionnement que nos contemporains n’ont pas abandonné. Il faut savoir à quoi nous voulons accorder notre attention première.

Évangéliser n’est pas s’exhiber en parti, ni répandre des idées, ni entreprendre de « changer les gens » : c’est – s’il se peut – vivre une façon d’être qui puisse désigner le Christ à travers nous.

Être catholique, ce n’est pas faire la morale, c’est rendre témoignage

* * *

« Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité. » (Ephésiens 4, 23-24). Voilà peut-être une phrase ou, à tout le moins son idée, qui rapproche ces cinq ouvrages.

Nous vivons des temps nouveaux. L’incrédulité, parfois le sarcasme, devant la possibilité même d’être catholique semble plus largement présente qu’auparavant. Et pourtant, dans le même temps, tandis que bien des catholiques se dévêtent des oripeaux de l’Homme ancien, de ses illusions de pouvoir et de ses confusions, de non-chrétiens montrent – j’en suis persuadé et peux en témoigner – des signes d’intérêt pour le christianisme, un christianisme qui n’est pas d’abord une morale mais la miséricorde. Sans que nous l’ayons souhaité, nous voilà convoqués à la « transformation spirituelle de notre pensée ». Les temps sont nouveaux, ils sont troublés, le fameux noir nuage8 est dense mais, pour qui sait regarder, sa frange d’or est annonciatrice.

  1. Et la question pourrait sans grande peine être appliquée à l’ensemble des chrétiens, avec quelques menues modifications. Que nos amis protestants ou orthodoxes ne nous en tiennent pas rigueur []
  2. Je poursuis ici pour ne point trop encombrer le billet. Plus loin il souligne que les heures de philosophie représentent « 60% (!) des « crédits » que doivent obtenir les séminaristes. Lors des années suivantes, ce sera encore trente heures annuelles de philosophie (philosophie de la religion, philosophie morale et politique, études d’auteurs). Quelle autre organisation au monde donne un tel poids à la philosophie dans la formation de ses cadres ? » []
  3. Que l’on veuille bien me pardonner si les idées paraissent abruptes et imaginer que je ne fais ici que condenser le propos de Denis Moreau qui, lui-même, présente certains arguments sans entrer dans le détail []
  4. qui partage avec Denis Moreau une inclination pour les Wampas []
  5. « Ma sœur, en somme, ne croit pas. Mais de nous deux, la chrétienne c’est elle. La chrétienne objective«  : de nous deux, écrit-il… Celle qui ne croit pas, et celui qui croit ?; « Je ne sais pas si je crois, je ne sais pas si je suis un mec bien, je ne sais si Dieu m’aime encore ni quelle qualité-quantité d’amour je puis lui retourner, mais je sais que je suis charitable quand j’écris. Je ne suis peut-être pas chrétien, mais je suis un écrivain chrétien. Ou plutôt je suis chrétien en tant qu’écrivain » []
  6. le livre de François Bégaudeau et Sean Rose n’en est-il pas un excellent exemple ? Il fait même écrire sur France Inter (!) : « Avoir la foi, y revenir, l’abandonner ou s’en passer : autant d’interrogations auxquelles nous avons cru, à tort, échapper. En réalité, pour beaucoup d’entre nous, la question de Dieu n’est pas réglée » []
  7. Et Denis Moreau écrit lui-même : « Il faut savoir distinguer l’essentiel de l’accessoire, ce que ne font pas toujours ni les catholiques eux-mêmes ni leurs adversaires. Que les uns et les autres sachent que mon catholicisme ne se réduit pas à des histoires de capotes«  []
  8. Eh oui, vous savez : « même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or » []
 
 

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