Liège, la religion s’enseigne avec les « valeurs démocratiques » (06/04/2018)

Professeur de religion dans un collège-lycée catholique de Liège, en Belgique, Sébastien Belleflamme multiplie les initiatives depuis deux ans pour faire réfléchir ses élèves sur le phénomène djihadiste. En croisant les disciplines, il veut les aider à sortir d’une « lecture fondamentaliste » des textes sacrés et à forger leur « esprit critique ». Interview publiée par Anne-Bénédicte Hoffner dans le journal « La Croix » :

La Croix : Vous enseignez la religion dans un établissement catholique à Liège, en Belgique. Pourquoi et comment avez-vous décidé de traiter l’actualité, et notamment cette question de la violence commise au nom de Dieu ?

Sébastien Belleflamme : Mon cours de religion s’adresse à tous les élèves de l’établissement, qu’ils soient catholiques, protestants – évangéliques surtout –, musulmans ou indifférents. Nous nous appuyons surtout sur les ressources de la foi chrétienne mais pas seulement : c’est un cours ouvert sur la pluralité des convictions.

Le déclic s’est fait il y a deux ans, en pleine vague d’attentats en France et en Belgique, quand certains de mes élèves musulmans m’ont dit qu’ils n’osaient plus parler de leur foi et gardaient les yeux baissés en marchant dans la rue. Je me suis dit qu’il fallait agir. En terminale, j’ai proposé à certains de travailler sur les motivations des jeunes djihadistes : j’ai assisté avec eux à des colloques, des pièces de théâtre (comme Djihad d’Ismaël Saïdi). Devant leur enthousiasme, nous avons fait intervenir au lycée Laura Passoni, une « revenante » de Syrie, ainsi qu’Hicham Abdel Gawad, un doctorant en sciences des religions à Louvain (1). Cette rencontre a nourri beaucoup d’échanges entre les élèves, certains se montrant très durs vis-à-vis d’elle.

Comment parvenez-vous à faire s’exprimer et s’écouter des jeunes avec des sensibilités très différentes au sujet de la radicalisation islamiste ?

S.B. : Avec mes élèves de troisième cette fois, nous avons lu la pièce Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? de l’islamologue Rachid Benzine, qui met en scène le dialogue entre un père universitaire et sa fille partie rejoindre un djihadiste à Falloujah en Irak dont elle aura une fille. Je leur ai proposé d’écrire chacun leur propre lettre à l’un des protagonistes de la pièce.

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Je suis seulement en train de les lire, mais j’observe déjà qu’elles témoignent de sentiments extrêmement variés : certaines filles disent leur colère à Nour et l’interpellent sur la question de la dignité des femmes. D’autres élèves lui demandent comment elle a pu faire autant de peine à son père. D’autres encore expriment plutôt de la compassion, notamment pour son geste final. Il y a vraiment de tout : de la condamnation au respect en passant par l’incompréhension…

Les élèves d’origine syrienne ou maghrébine livrent parfois leur souffrance devant une stigmatisation qu’ils ne comprennent pas, leurs questions aussi devant cette violence commise au nom de Dieu.

Comment ce travail est-il perçu par la direction de votre établissement, par les parents ? Quels résultats percevez-vous chez vos élèves ?

S.B. Au départ, notre travail a suscité quelques questionnements, légitimes, sur sa visée pédagogique mais aujourd’hui, les retours sont globalement très positifs. Nous croisons les disciplines – philosophie, histoire notamment – pour mieux analyser le discours djihadiste : moi j’apporte l’éclairage théologique, d’autres collègues complètent sous d’autres angles. Nous aidons ainsi les élèves à comprendre que « Dieu » est un mot-valise qui, s’il est mal exploité, peut conduire des hommes à commettre les pires horreurs. Je les initie aussi à l’exégèse pour sortir d’une lecture fondamentaliste des textes.

Finalement, toutes ces initiatives servent le même objectif : enseigner la religion en défendant les valeurs démocratiques de notre pays. L’éducation est le seul moyen d’aider nos élèves à se forger un esprit critique. La religion vise bien sûr le rapport à Dieu, mais il faut un minimum de culture pour cela.

Ref. Liège, la religion s’enseigne avec « les valeurs démocratiques »

Pour mémoire, le réseau de l’enseignement catholique accueille, bon an mal an,  la moitié de la population scolaire en Belgique. L’enseignement de la religion ou de la morale laïque est obligatoire dans tous les réseaux mais dans les écoles créées par les pouvoirs publics les élèves peuvent opter entre l’un des six cultes reconnus et  la morale laïque. Dans les écoles catholiques seule la religion du même nom est enseignée, ce qui n'empêche pas ces écoles d’accueillir bon nombre de musulmans. D’où l’intérêt de l’initiative prise à Liège par un professeur de ce réseau.

JPSC

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