Maurras or not Maurras ? (26/04/2018)

Sur le site du bi-mensuel « L’Homme Nouveau », Philippe Maxence revient sur une controverse académique qui aura agité le monde politico-médiatique français ces derniers mois et a finalement remis devant les yeux du public la personnalité de Charles Maurras. De Philippe Maxence sur le site du bi-mensuel « L’Homme Nouveau » :

Maurras.jpg« Né le 20 avril 1868, mort en novembre 1952, le maître de l’Action française avait été inscrit au registre des commémorations nationales. Il était évident que la République française, combattue par Maurras toute sa vie, n’allait pas encenser l’auteur de L’Enquête sur la monarchie ou de Mes idées politiques. Il était peu probable également que le ministre Blanquer ait voulu inscrire au programme des écoles les poèmes maurrassiens ou sa remise en cause du romantisme et de ses conséquences. Encore moins imaginable que sa théorie des « quatre États confédérés » et son « antisémitisme d’État » deviennent, par l’onction d’une célébration, la ligne de conduite de la présidence macronienne.

Le prisme de l’idéologie rendant aveugle, les réseaux sociaux se sont emparés du sujet, poussant le ministre de la Culture à retirer Maurras de la liste des commémorations nationales et entraînant une série de conséquences alors difficilement prévisibles. Le grand vainqueur de cette agitation est bien évidemment Maurras lui-même dont on n’a peut-être jamais autant parlé depuis quelques années.

Désormais, on peut également le lire. Maurras est à nouveau disponible en librairie. Pas encore en livre de poche comme son grand concurrent Karl Marx, mais à travers un volume de la célèbre collection « Bouquins », édité par les éditions Robert Laffont. 

Selon les exigences de cette collection, le volume est constitué de textes choisis (œuvres complètes ou extraits importants) ainsi que d’introductions historiques qui permettent, non seulement de resituer les œuvres dans leur contexte, mais aussi d’en souligner la portée. Sous la direction éditoriale de Christophe Parry, qui a eu le courage de mener un tel projet, la réalisation du volume Maurras a été confiée et réalisé par Martin Motte, directeur d’études à l’École pratique des hautes études-PSL. Intitulé, L’Avenir de l’intelligence et autres textes, le livre bénéficie d’une belle et instructive préface de Jean-Christophe Buisson, directeur-adjoint du Figaro Magazine et présentateur de l’émission « Historiquement show » sur la chaîne Histoire.

 

L’ensemble du volume restitue bien Maurras et sa pensée, dans son époque et sa complexité. Certes, plusieurs aspects n’ont pas été abordés. Ainsi Martin Motte explique pourquoi l’on ne trouve pas dans ce recueil un livre comme La démocratie religieuse, en raison de sa réédition récente aux Nouvelles Éditions Latines. Il n’en reste pas moins que l’essentiel de la démarche maurrassienne apparaît, jusqu’aux minutes de l’ultime procès Maurras à la fin de la Seconde Guerre mondiale ou la publication de poésies érotiques inédites qui, dans le sens de ce qu’avait révélé dans sa biographie de Maurras Stéphane Giocanti, casse l’image d’un homme de marbre, tout entier donné à la seule politique. 

Les textes politiques restent évidemment les plus importants, depuis les déclarations anti-jacobines et en faveur de la décentralisation jusqu’à la lettre proclamant la nécessité de « l’arche nouvelle, catholique, classique, hiérarchique, humaine » envoyée à Pierre Boutang, en passant par La Politique naturelle ou L’Avenir de l’intelligence. Les spécialistes de Maurras discuteront, bien sûr, le choix et, plus encore, ce qui a été laissé de côté. Il n’en reste pas moins que cette œuvre et cette pensée, qui a tant marqué l’histoire et dont la référence ne cesse de réapparaître dans les débats contemporains, pourront être désormais découvertes et lue pour ce qu’elles sont.

Et, pour nous catholiques ? L’influence de Maurras a été énorme sur le catholicisme du début du XXe siècle et, pour ou contre, une grande partie du catholicisme français contemporain s’est bâtie en référence à Maurras. La discussion n’est pas d’abord politique, mais religieuse et philosophique. Au moment de la condamnation de 1926 (par Pie XI) et avant la réhabilitation de 1939 (par Pie XII), elle avait été menée, notamment par Jacques Maritain, le Père Doncœur, le Père Lallement et d’autres. Après la Seconde Guerre mondiale, Marcel Clément, dans L’Enquête sur le nationalisme (NEL), s’attela à cette tâche, dans un esprit de piété et de vérité. Lui-même avait été marqué par Maurras, mais il avait décidé d’appréhender cette pensée, non seulement à travers une enquête, mais à la lumière de saint Thomas d’Aquin et des enseignements alors récents de Pie XII. 

« Si vous êtes catholiques, ne le soyez pas à moitié » aurait déclaré un jour Charles Maurras. C’est certainement cette invite qu’il faut retenir avant tout et d’abord. 

Charles Maurras, L’avenir de l’intelligence et autres textes

Édition établie et présentée par Martin Motte

Préface de Jean-Christophe Buisson

Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1 280 pages, 32 €.

Ref. Maurras or not Maurras ?

La condamnation portée par Pie XI portait sur le « naturalisme positiviste » et le « nationalisme exagéré » de l’Action Française, dont la pensée d’une certaine droite porte la trace aujourd’hui encore .

Maurras était positiviste et ne s’en cachait pas. Pour lui, comme pour Auguste Comte, l’homme en tant qu’animal politique, est déterminé, comme tous les êtres, par les conditions physiques et biologiques où il se trouve et la morale n’a rien à y voir.

Pour lui, l’Eglise ne devrait pas intervenir dans la vie sociale où l’homme est régi par une physique des mœurs et par des lois politiques infrangibles (cf. «Politique d’abord »). Mais, comme principe d’autorité et organisme de discipline, elle était admirable et il fallait la défendre car elle avait su - disait-il -  « tronquer, refondre , transformer les turbulentes Ecritures orientales » pour en faire un système d’ordre capable de traverser les siècles,  dans la ligne de l’esprit de  soumission de l’homme à la société.

La notion chrétienne de « bien commun » était aussi niée par le « nationalisme intégral » qui plaçait la patrie au-dessus de tout et ne pouvait admettre que, dans l’ordre international, il put y avoir, aux yeux d’un chrétien, des intérêts supérieurs à ceux de la patrie même.  

La condamnation romaine divisa profondément le monde catholique des années trente du siècle dernier, tant et si bien que des voies furent préparées à une réconciliation. Maurras, dans son livre sur Pie X, reconnut que « l’insubordination avait été une grave erreur » et, en 1937, il  écrivit à Pie XI une lettre où il rendait hommage à la « maternité de l’Eglise ». Puis, l’année même de l’élection de Pie XII, le comité directeur de l’Action française exprima, dans  une lettre (préparée avec l’aide du futur cardinal Ottaviani) sa « sincère tristesse » et «rejetant toute théorie contraire aux enseignements de l’Eglise ».  Le Saint-Office (actuellement dénommé « Congrégation pour la Doctrine de la Foi ») y répondit en levant la condamnation (5 juillet 1939)  portée contre le mouvement.

JPSC

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