Dix mille pèlerins sur la route de Chartres pour la Pentecôte : pourquoi ça marche ? (18/05/2018)

Chartres 10.jpegL’abbé Guilhem Le Coq est un ancien aumônier du pèlerinage de Chartres. Pour l’hebdomadaire « Famille chrétienne », il revient ici sur l’actualité des intuitions des promoteurs de cette grande « migration » annuelle :

« L'abbé Guilhem Le Coq

Prêtre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, il fut de 2007 à 2011 l’aumônier général du pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté. Il a été nommé par Mgr Michel Pansard responsable de la communauté traditionnelle dans le diocèse de Chartres, ville où il officie à l’église Saint-Aignan.

Il célèbre également une messe selon le rite extraordinaire chaque mercredi soir à l’église Saint-François-Xavier à Paris (7e).

Quels sont les ingrédients du succès de ce pèlerinage ?

Il y a d’abord les éléments du terrain : la marche, qui exige un effort physique soutenu, plaît beaucoup. La temporalité est aussi très importante. Marcher longtemps permet une véritable interruption de la vie habituelle devant ce mystère de conversion intérieure à laquelle nous sommes tous appelés. On sent qu’il faut plus d’une journée pour se libérer de notre vie quotidienne, puis une deuxième journée pour entrer dans le mystère, et enfin une troisième journée pour se convertir. C’était l’intuition de Charles Péguy qui suivait à peu près ce rythme-là.

Ensuite, l’accompagnement spirituel est très fort. De nombreux prêtres sont pré­sents pour donner les sacrements, offrir une formation doctrinale autour d’un thème qui change chaque année, et répondre aux questions des pèlerins.

La force de ce pèlerinage, c’est aussi un clergé qui a quasiment l’âge des pèlerins. Cela frappe beaucoup, dans un monde où le clergé est peu visible, parce que peu nombreux et parce qu’il ne veut plus porter un habit distinctif. Là, ils sont des centaines en habits, en soutane, et leur moyenne d’âge est de 30 ans.

Autre ingrédient de ce succès, qui cons­titue le cœur de ce pèlerinage, c’est la messe traditionnelle. L’intuition et la volonté des fondateurs étaient d’appuyer ce pèlerinage sur la tradition de l’Église. Si ça a marché il y a trente ans et que ça marche encore aujourd’hui, c’est que cette messe traditionnelle est toujours vécue comme un trésor, trésor vécu pour beaucoup depuis toujours, et trésor découvert récemment pour d’autres.

 

Il ne semble pas y avoir « un type » de catholiques qui participe à ce pèlerinage. En fait, ce choix de liturgie ne constitue pas du tout une barrière.

Non, il y a tout le monde ! Ce n’est pas une barrière, car la liturgie traditionnelle offre une cohérence, une harmonie, une intelligence : autant d’éléments qui conviennent à tout le monde, pourvu qu’on prenne le temps d’expliquer la messe et le sens de chacun de ses détails liturgiques. En faisant cela, ceux qui venaient uniquement dans une démarche conviviale, pour être avec des copains, ou sportive, car 100 kilomètres, ce n’est pas rien, repartent avec une plus grande richesse que celle qu’ils étaient venus chercher. La tradition est faite pour tout le monde. Notre pèlerinage ne fait qu’utiliser les moyens universels dont l’Église est dépositaire. C’est ce qui explique l’augmentation du nombre de pèlerins. Après La Manif pour tous, les chrétiens découvrent que nous vivons « le pélé pour tous ».

Les nouveaux pèlerins semblent agréablement surpris par l’accueil qui leur est réservé.

C’est en effet un aspect à souligner. Si ceux qui découvrent ce pèlerinage reviennent les années suivantes, c’est aussi grâce à la puissance d’accueil des « tradis de la première heure », c’est-à-dire la grande foule qui forme le terreau habituel de la colonne des marcheurs ou de la logistique. Cette force d’accueil vient très probablement du fait que les tradis eux-mêmes ont souvent été mal jugés et mal accueillis dans certaines paroisses et qu’ils ne souhaitent pas faire vivre cela à d’autres.

Il y a une démarche d’ac­cueil et de disponibilité par rapport aux nouveaux qui est très émouvante, dont j’ai d’ailleurs moi-même fait l’expérience à l’âge de 17 ans, lorsque j’ai participé à ce pèlerinage pour la première fois. Les nou­veaux pèlerins découvrent la réalité des tradis : « On pensait que vous mangiez des enfants et en fait, non, vous êtes normaux ! » Ils découvrent un pèlerinage familial, paisible et joyeux.

La moyenne d’âge des pèlerins est de 21 ans. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a d’abord l’effet de groupe. Les jeunes aiment aller là où il y a des jeunes, et, aujourd’hui, le pèlerinage de Chartres est celui qui attire le plus de jeunes en France. Mais il y a plus.

Si des jeunes, qui, pour certains, n’appartiennent pas à cette sensibilité tradition­nelle, reviennent, c’est parce qu’ils ont rencontré une dynamique et une force qui ne sont pas seulement dans l’ambiance mais aussi dans le discours. Ils reçoivent une nourriture spirituelle qui alimente leur cœur, leur âme et leur intelligence. Ils ont 20 ans, ils savent qu’ils ne sont pas assez formés et qu’ils ont un urgent besoin de découvrir le dépôt de leur foi. Dans ce monde post­chrétien, ils sont confrontés, dans les écoles et les facultés, à un monde athée, parfois hostile à la religion. Quand ils ont le courage de se déclarer chrétiens, des questions leur sont posées auxquelles ils ont du mal à répondre faute d’avoir reçu une solide formation. Le pèlerinage peut leur fournir des réponses et des outils pour mieux affronter cela. Après ces trois jours de marche, connaissant mieux leur foi, ils peuvent mieux « rendre compte de l’espérance qui est en eux ».

Ce pèlerinage est-il mieux accepté et reconnu au sein de l’Église en France ?

Il y a eu très longtemps une forme de résis­­tance d’un certain clergé et de quelques évêques par rapport à ce pèlerinage. Une sorte de déni. Mais, récemment, la Conférence des évêques de France à Lourdes a évoqué le phénomène de la Tradition qui attire beaucoup de jeunes. C’est une réalité que chacun est obligé de prendre en compte.

Aujourd’hui, la majorité du clergé est bienveillante à l’égard de ce pèlerinage. Des prêtres et des évêques demeurent toutefois peu convaincus du bien qu’il peut apporter à l’Église de France tout entière. Pourtant, lors de la bénédiction apostolique qu’il a adressée à l’occasion du 25e anniversaire de la Fra­ternité Saint-Pierre, le pape François a bien dit que la Tradition « doit prendre une part active à la mission de l’Église dans le monde d’aujourd’hui ».

Notre-Dame de Chrétienté [l’association organisatrice du pèlerinage Paris-Chartres, Ndlr] a, pour sa part, toujours souhaité la présence d’évêques français et de prélats romains à ce pèlerinage. En 2010, le cardinal Vingt-Trois, alors archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, s’y était rendu, c’était un signe très fort ! La venue cette année du cardinal Sarah en est un autre.

Est-il vrai qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes « zappent » entre le « monde tradi » et le « monde charismatique » ou autre, cherchant d’abord la catholi­cité avant de chercher une chapelle ?

Il y a les deux. Je pense que la plupart viennent chercher une nouvelle dimension spirituelle, une formation solide, et que, après l’avoir trouvée, ils restent. Mais il y a aussi ceux qui ont simplement besoin de sentir qu’ils ne sont pas seuls, qui fréquentent d’autres lieux de pèlerinage, comme Lourdes, et qui puisent dans ces différents lieux la force nécessaire pour continuer à avancer dans leur foi.

Que répondez-vous à ceux qui voient dans cette manifestation une expression politiquement marquée d’un « com­munautarisme catholique de droite », fier de ses traditions et bannières ?

Que je sache, sur tous les monuments publics, il y a encore une bannière qu’on appelle le drapeau français. On n’a pas perdu cette idée que le drapeau est l’expression d’une entité. D’ailleurs, quand il y a un mort, on met le drapeau en berne. Les catholiques sont, comme n’importe qui, voire peut-être plus, fiers de leur Histoire, de leur patrimoine, c’est leur force. Ils n’ont pas honte de leurs racines. Le principe même de la foi, c’est une vérité déposée. On parle du dépôt de la foi, c’est donc un patrimoine à conserver, dont on doit vivre et que l’on doit transmettre. Nous ne faisons que respecter ce que nous dit saint Paul.

En quoi ce rassemblement est-il un signe de vitalité pour l’Église en France ?

Le pèlerinage de Pentecôte est le plus grand pèlerinage de France, voire d’Europe. Il y a là des milliers de jeunes Français. Ils sont catholiques, joyeux, ils sont l’ave­nir de la chrétienté, comment ne pas s’en réjouir ? C’est une œuvre qui porte beau­coup de fruits, et, en particulier, beaucoup de vocations qui seront toujours au ser­­­­vice de l’Église. Être au service des âmes et au service de l’Église, tel a été le souhait des fondateurs, et telle est l’espérance de ceux qui continuent d’organiser cette grande aventure spirituelle qui mène des milliers de jeunes de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Chartres.

Une logistique bien rodée

Chaque année, le pèlerinage de Chartres fait l’objet d’une organisation bien rodée. Plus de sept cents pèlerins bénévoles viennent aider à la partie matérielle de ces trois jours de marche. Ces « soutiens » sont répartis en différents pôles. Un pôle logistique monte les bivouacs des samedi et dimanche soirs pour les milliers de pèlerins en installant les tentes, distribue l’eau et le pain, et gère l’acheminement des sacs durant la journée. Un service d’ordre sécurise la colonne de marcheurs au fil de l’itinéraire. Une autre équipe est dédiée aux cérémonies pour aider à leur mise en place pratique, installer le matériel et guider les prêtres. Enfin, une équipe médicale est opérationnelle 24 h / 24 durant le pèlerinage.

Élisabeth Caillemer et Clémence Barral »

Ref. Abbé Le Coq : « Chartres, c’est le pélé pour tous »

JPSC

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