Quand un vicaire général de Paris publie un livre-plaidoyer en faveur des migrants (02/06/2018)

Suite à la parution du livre de Monseigneur de Sinety:​  Il faut que des voix s’élèvent, (Flammarion, 132 p., 12 €) sur l’immigration, Thibaud Collin a publié une tribune dans le dernier numéro de “L’Homme Nouveau” (source):

La crise migratoire sans précédent qui traverse tout le continent européen a inspiré un livre-plaidoyer pour les migrants à Mgr Benoist de Sinety, vicaire général de Paris. Fallait-il que sa voix s’élève ? Livre empli de lieux communs, cet appel à l’ouverture démontre plus un déni de la réalité qu’une réelle charité apostolique.

Quand Mgr de Sinety se fait l’avocat des migrants

”La fraternité est d’abord une rencontre. Grâce aux réfugiés, migrants, exilés, les Français ont une occasion exceptionnelle de redécouvrir la générosité et l’enthousiasme qui fait naître le service de  l’autre. ». Peut-on, après avoir refermé son petit livre (Mgr de Sinety, Il faut que des voix s’élèvent, Flammarion, 132 p., 12 €.), remercier Mgr Benoist de Sinety, vicaire général du diocèse de Paris, d’avoir été l’occasion de prises de conscience sur ce sujet complexe et sensible nommé trop simplement « les migrants»? Il n’y a guère de sujets qui engendrent plus de passions et de polémiques dans notre pays. Il n’y a guère de sujets qui concentrent plus d’enjeux moraux, politiques, religieux, économiques et civilisationnels. Malheureusement, tous ceux qui aimeraient, grâce à cette lecture, mieux appréhender ces enjeux resteront sur leur faim. En 130 pages, Mgr de Sinety fait part de son indignation quant à la manière dont les migrants sont traités dans notre pays. On n’a pas à juger une telle indignation qui comme tout affect est par essence indiscutable. On peut cependant juger ce qu’elle engendre ; en l’occurrence ici un texte d’une indigence intellectuelle inquiétante. En effet, il est manifeste que Mgr de Sinety éprouve une authentique compassion pour toutes ces personnes, certes irréductibles à toutes les catégories administratives et médiatiques. Comme toute personne, elles ont droit au respect de leur dignité. Mais est-ce à dire que la compassion doit devenir l’unique principe du jugement pratique ? Est-ce à dire que la dignité est un absolu relativisant toute différence de traitement ? Mgr de Sinety est prêtre ; on ne peut donc lui reprocher d’avoir une approche morale de la question. Mais le prêtre n’en est pas moins doué de raison pratique. Or lorsqu’un affect envahit la raison et finit par la saturer, on tombe dans le moralisme. Tel est le cas ici. L’exercice du jugement pratique est comme court-circuité. Toutes les médiations de l’ordre humain sont écrasées dans une approche incantatoire qui cherche principalement à culpabiliser le lecteur de ne pas être à la hauteur des défis migratoires actuels. On croit lire du Sartre accusant nombre de ses compatriotes d’être des « salauds ». Il n’est pas impossible qu’à travers cet exercice cathartique l’auteur cherche lui-même à se libérer de ses « lourds remords ». Comme s’il s’agissait de se faire pardonner (par qui ?) une existence trop heureuse.

Un propos abstrait

Mais alors pourquoi ne pas avoir écrit un livre de témoignage, racontant la manière dont il a pris conscience de la nécessité de cette rencontre de «l’autre», puis les étapes de cet accueil, ses déconvenues et ses joies, etc. Mais non, Mgr de Sinety veut prendre de la hauteur et se placer, telle la conscience universelle, en position de surplomb sur toutes les contingences du monde humain. D’où l’extraordinaire abstraction de son propos. À aucun moment, il ne prend en compte pour les discuter les arguments exposés, par exemple, par Laurent Dandrieu (Laurent Dandrieu, Église et immigration :  le grand malaise, Presses de la Renaissance, 308 p., 17,90 €.) ou encore Jean-Yves Le Gallou (Jean-Yves Le Gallou, Immigration: la catastrophe. Que faire ?, Via Romana, 484 p., 23 €.) dans leurs livres sur le même sujet. Probablement, qu’on ne discute pas avec n’importe qui. Il y a des questions de principe avec lesquelles on ne transige pas. Cette attitude me fait penser à celle d’une militante de la cause gay, éminente chercheuse en sciences sociales et responsable d’une association de parents gays et lesbiens, qui en 2013 avait refusé de lire mon livre, de me serrer la main et de discuter avec moi lors d’une émission sur France Culture. En effet, quand on sait que l’on est dans le vrai, pourquoi perdre son temps à discuter avec des gens aveuglés par leurs préjugés ? Certes.

Le livre de Mgr de Sinety manifeste inconsciemment et paradoxalement un mépris de classe. Il a une approche de la question des migrants qui s’enracine dans le traitement médiatique des récentes migrations depuis 2015, en faisant abstraction de sa profondeur historique et de son caractère civilisationnel et religieux. Ainsi l’islam n’est jamais nommé ni même évoqué en 130 pages. La situation de « la France périphérique », « l’insécurité culturelle », réalités courageusement analysées par des sociologues pourtant plutôt classés « à gauche », ne sont l’objet d’aucune discussion. On a l’impression que Mgr de Sinety voit les choses de Paris intra muros et se demande comment faire pour aider les migrants qu’il voit à la télévision mais qu’il croise aussi peut-être au coin de la rue. Ainsi raconte-t-il que des paroissiens de Saint-Germain-des-Prés ont décidé, au terme d’une réunion où il les a interpellés, de baisser le loyer de leur chambre de bonne. Bienheureuses personnes capables d’un tel geste. Il considère que nous sommes des nantis, des enfants gâtés, etc. Mais qui est ce « nous » ? Il nomme certes quelques-unes des difficultés (Lapsus révélateur, Mgr de Sinety parle du « chômage qui frappe quelques centaines de milliers (sic) de personnes » dans notre pays.) que connaît notre pays mais quand on les compare à la misère de l’Afrique, finalement de quoi se plaint-on ?

Ce livre repose sur une confusion entre les préceptes moraux négatifs (« tu ne commettras pas d’adultère») et les préceptes moraux positifs (« honore ton père et ta mère »). Alors que les premiers doivent être toujours respectés quelles que soient les circonstances (aucune circonstance ne rend vertueux un adultère), les seconds sont à réaliser selon l’exercice de la vertu de prudence. Ainsi je ne peux déduire automatiquement du commandement les modalités de la prise en charge de mes parents âgés. Mgr de Sinety aborde la question des migrants comme étant l’objet d’un impératif absolu abstraction faite de toutes circonstances. Peut-être qu’il ne pense pas ainsi, mais comme à aucun moment il ne fait le travail de mise en contexte social, politique et religieux, son exhortation tombe à plat. Elle ne fera que conforter les belles âmes « droitdelhommistes » dans leur aveuglement et confirmera le jugement de tous ceux qui pensent que les clercs qui abordent aujourd’hui de tels sujets sont de doux rêveurs idéalistes. On attend encore le livre qui saura se situer à la hauteur des enjeux de ce problème pratique complexe. Mgr de Sinety en assumant sa position comme relevant de « l’éthique de la conviction » offre un boulevard à ceux qui assument « une éthique de responsabilité ». Dualité éthique mortifère, car ce dont on a besoin c’est bien de jugements prudentiels posés au service du bien commun, national et international.

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