La liturgie n'est pas un show (20/06/2018)

De Samuel Pruvot sur le site de Famille Chrétienne :

Mgr Batut : « La liturgie n’est pas un show »

MAGAZINE - Plusieurs monastères, cet été, initient les jeunes à la liturgie. Qui est une magnifique école de prière, alliant tradition et nouveauté.

La liturgie vécue dans les monastères n’est-elle pas aux antipodes du quotidien vécu dans certaines paroisses ?

J’espère que non ! Il faut éviter qu’un abîme se creuse entre ce qui est célébré par les spécialistes de la liturgie – les moines – et l’ensemble du peuple chrétien. Les monastères ne sont pas des conservatoires. Les monastères réussissent leur travail quand les simples fidèles se sentent inclus dans la prière monastique.

Par où commencer pour initier les jeunes au mystère de la liturgie chrétienne ?

Il faut les sortir de leurs tablettes et de leurs smartphones, les sortir de leur incapacité à vivre le silence... Le silence, c’est la chose la plus dure pour eux, mais aussi la plus fructueuse. Les jeunes sont capables de comprendre que l’important n’est pas de s’ennuyer ou pas à la messe mais d’y aller. Il faut leur faire dépasser le côté affectif qui les mobilise souvent à 99 %. Le plus important, ce n’est pas de donner des explications sur la liturgie, mais de la faire vivre ! Combien de fois ai-je vu des jeunes en larmes lors de belles liturgies ? Ils pleuraient car ils découvraient une nouveauté transformante, ils faisaient l’expérience de Dieu.

On a l’impression que les querelles liturgiques des années soixante-dix intéressent moins les nouvelles générations... Pourquoi ?

Les acteurs des controverses des années soixante-dix avaient une certaine culture religieuse... Elle a disparu. Ils avaient étudié le latin, ils connaissaient le patrimoine musical européen et savaient à quoi ressemblait une messe de Mozart ! Le grand tourbillon des années soixante-dix a passé par-dessus bord le patrimoine. On n’a rien transmis.

Résultat ? Les jeunes sont aujourd’hui des déshérités à la recherche de leur héritage. Les mêmes iront à une session charismatique à Paray-le-Monial, puis à une messe tridentine et ensuite à un rassemblement de Taizé... Ils butinent. Mais où sont leurs racines ? Elles ne sont nulle part !

 

L’urgence, à mes yeux, est d’expliquer aux jeunes qu’ils ont besoin de faire un travail pour apprendre le sens profond de la liturgie. Savoir relier les gestes, les rites et les chants avec toute l’Histoire de l’Église. Toutes les initiatives – comme celles de l’abbaye de Randol (voir l’encadré) – sont utiles pour aider nos jeunes. Car, je le répète, la plupart sont comme des plantes sans racines. Faute de formation, certains pourraient même passer de l’Église à autre chose qui les satisferait mieux au niveau affectif...

Journées liturgiques à Randol

En Auvergne, l’abbaye bénédictine célèbre sous la forme extraordinaire du rite. Elle lance une session sur « La liturgie, chemin du salut » destinée aux jeunes de 18 à 35 ans qui se déroulera du 28 juin au 1er juillet. Nourris et logés au monastère, les participants seront plongés dans les offices monastiques. Les enseignements se feront à la lumière du concile Vatican II et du pape Benoît XVI.

Inscriptions : 04 73 39 31 00 ; sessiondeliturgie@randol.org

En quoi la culture est vitale pour la liturgie ?

Les gens qui n’ont pas de culture risquent vite d’être attirés par le clinquant, le show, les paillettes, un discours envoûtant à la manière de certains évangéliques américains. Mais la liturgie n’est pas un show pour entrer en transe ! Ça, c’est le degré zéro de la liturgie. C’est pourquoi l’Église catholique, dans sa grande tradition, a toujours veillé à une symbiose entre la culture et la liturgie. Ces dernières décennies, nous avons eu des compositeurs comme Jacques Berthier (1) qui ont fait du bon travail. L’effort doit être poursuivi pour sortir de l’indigence qui a marqué le chant liturgique.

On a quand même du mal à sortir de l’opposition entre l’ancien et le nouveau ?

Le nouveau est fécondé par l’ancien. C’est le principe même de la réforme liturgique de Vatican II. Certains ont voulu faire table rase du passé. Au contraire, le pape Benoît a souligné la continuité, en faisant remarquer, par exemple, que la liturgie tridentine avait encore des choses à dire à la liturgie rénovée.

Le plus important, ce n’est pas de donner des explications sur la liturgie, mais de la faire vivre !

Pourquoi la liturgie a-t-elle été l’objet de tant de controverses en France ?

Tout le monde a pris en otage la liturgie parce qu’elle était le signe le plus visible des réformes voulues par le Concile. La liturgie a été choisie par Mgr Lefebvre comme un lieu de combat : il estimait que la messe de Paul VI n’était pas vraiment catholique.

À l’opposé, la liturgie a été instrumentalisée par des gens qui avaient une perspective complètement horizontale : ils pensaient qu’il fallait inventer de nouveaux rites, faire bavarder les gens, les mettre en carrefours au nom de la convivialité chrétienne !

La liturgie est un lieu symbolique. Le langage rationnel n’est pas premier car la liturgie est un langage amoureux, mais il y a aussi une dimension rationnelle (rationalis, dit la liturgie à propos de l’offrande eucharistique) : autrement, l’affectivité prévaudrait et tout deviendrait passionnel.

Inversement, une approche purement rationnelle (qui voudrait, par exemple, en finir avec les répétitions des mêmes gestes) serait un contresens sur la nature de la liturgie : encore une fois, la liturgie n’est pas une réunion de conseil d’administration, c’est un dialogue amoureux !

Au diable les querelles liturgiques ?

Il y a beaucoup de querelles sans fondement. « Face au peuple », « dos au peuple », c’est un faux débat ! À Saint-Pierre de Rome, si la messe est « face au peuple », c’est simplement pour que le célébrant soit tourné vers l’Orient.

Dans la liturgie rénovée par Vatican II, le Christ fait face à l’assemblée : c’est un dialogue amoureux, redisons-le, et dans l’amour, on se fait face. Dans la forme extraordinaire, la symbolique est différente : tout le monde est tourné vers le soleil levant, symbole du Christ ressuscité.

Quand j’étais aumônier scout, lorsqu’il m’arrivait de célébrer dans une chapelle ancienne avec l’autel contre le mur, j’utilisais pour les plus jeunes la comparaison de la locomotive qui tire les wagons et je leur disais que le prêtre était là pour entraîner derrière lui tous les fidèles. Ailleurs, je célébrais face à eux : rien de tout cela n’est contradictoire.

Doit-on choisir entre prière personnelle et prière liturgique ?

Elles vont de pair et il ne faut jamais les opposer. La prière ne s’apprend pas que dans la liturgie, mais la liturgie préserve d’un individualisme piétiste qui pourrait se traduire ainsi : « moi et mon Dieu » (tel que je me l’imagine).

La prière est une relation avec Dieu qui s’apprend dans une sorte d’imprégnation. Regardez comment font les parents : ils tournent leur petit enfant vers Dieu en lui faisant comprendre que Dieu fait partie de la famille. L’enfant va aimer Dieu parce que ses parents aiment Dieu. Dans la prière familiale, des rites se mettent en place, auxquels l’enfant est vite très attaché. On allume une bougie, on se met à genoux, on se prosterne...

À l’église, il y a bien autre chose qu’une simple image ou un simple crucifix : la présence du prêtre qui agit in persona Christi capitis – « dans la personne du Christ Tête ». Et il y a le corps du Christ, l’Église en prière : l’enfant comprend ainsi que l’Église est beaucoup plus large que le cercle familial qui, pourtant, a joué un rôle indispensable pour lui apprendre à prier.

Samuel Pruvot

(1) Décédé en 1993, Jacques Berthier est l’auteur de nombreux chants de Taizé.

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