La vérité n'est plus ce qu'elle était... (11/08/2018)

De Jeanne Smits sur Réinformation TV :

Mgr Rino Fisichella conteste la dimension « fixiste » de la vérité, de laquelle il nous faudrait avoir une « conception dynamique »

La vérité n’est plus ce qu’elle était : une adéquation de l’intelligence avec la réalité. C’est en tout cas ce que l’on peut déduire de l’entretien accordé le 6 août au site d’information du Vatican, VaticanNews, par Mgr Fisichella, président du Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation. Une interview de grande importance dans le contexte actuel, puisque on le considère comme un bras droit du pape et qu’au nom de sa tâche d’évangélisation du monde moderne, il confirme la dérive relativiste dans la présentation actuelle de la doctrine catholique. Il assure dans l’entretien qu’« Il n’y a aucun fondement à la contestation du magistère du pape François à la lumière du magistère antérieur », s’en prenant durement à ceux qui s’appuient selon lui à tort sur Veritatis splendor pour ce faire. Il conteste carrément la « dimension fixiste de la vérité » à laquelle ces personnes critiquant le pape adhèrent, alors qu’il faudrait en avoir une « conception dynamique ».

L’entretien a été accordé à l’occasion des 25 ans de l’encyclique Veritatis splendor. L’archevêque, chargé comme on l’a dit de promouvoir la « nouvelle évangélisation », y semble relativiser l’importance de ce texte de Jean-Paul II dont on attribue l’architecture intellectuelle au cardinal Ratzinger, son futur successeur, en soulignant que l’encyclique « présentait les points fermes (…), les points fondamentaux qui restent comme des rappels pour la doctrine chrétienne », « dans un contexte culturel transformé, très déterminé par la sécularisation et les conséquences d’un fort relativisme philosophique ».

Mgr Rino Fisichella réinvente la vérité

Le choix de l’imparfait, la formulation elle-même semblent désigner le côté en quelque sorte opportuniste, voire dépassé de cette encyclique, marquée par son contexte et dont la nécessité aurait été dictée par des circonstances particulières. Attention : ces mots sont bien ceux de Mgr Fisichella, contrairement à ce que l’on peut lire sur la version française de l’entretien publiée par Vatican News, qui les attribue au journaliste Amedeo Lomonaco. La version italienne les attribue correctement à l’archevêque mais fait disparaître l’usage de l’imparfait. On peut vérifier tout cela ici.

En réalité, c’est tout l’ensemble de l’entretien qui laisse comprendre le parti pris de Fisichella, au nom de sa fidélité au pape François, en faveur d’une vérité qui ne serait que partiellement immuable, et capable au moins pour partie d’évoluer, comme on parle de la théorie de l’évolution. D’où le choix du mot « fixiste », habituellement utilisé pour dénigrer ceux qui ne croient pas en cette théorie.

C’est ainsi qu’il dit : « Avant toute chose, quand nous parlons de la vérité, nous devons toujours en avoir une conception dynamique. La vérité n’est pas une dimension fixiste. La vérité, pour les chrétiens, est avant tout cette Parole vive que le Seigneur nous a laissée », une « rencontre personnelle » où la vérité ouvre toujours plus à la découverte du mystère révélé, dit-il. Les choses se corsent lorsqu’il précise : « II y a quelques points fondamentaux qui restent comme des pierres miliaires dans l’enseignement dogmatique et moral de l’Eglise. Ce sont des éléments qui demeurent dans leur immutabilité. » Il en tire l’idée que le principe, « la norme immuable qui se fonde sur la vérité de l’Evangile », toujours sujet au travail et à l’interprétation des théologiens, « doit toujours être ouvert à la découverte de la vérité de la parole de Dieu » comme si celle-ci s’en distinguait de quelque manière.

 

La vérité soumise à la dialectique de Rino Fisichella : fixiste ou dynamique ?

Le glissement est là. Comme le dit Mgr Fisichella : « L’Eglise catholique ne peut pas accepter, à mon avis, une idée de vérité renfermée sur elle-même. La vérité, par sa nature même, fait référence à la fidélité et aussi à la liberté : “La vérité vous rendra libres.” Une vérité qui s’ouvre toujours plus est une vérité qui fait aussi découvrir à tous les croyants, à tout homme, une liberté plus profonde. » C’est, en définitive, une inversion discrète mais réelle, où la liberté, fruit de l’adhésion sincère à la vérité, devient condition pour l’atteindre et qui même la colore. Car « l’ouverture » ne saurait être en bonne doctrine qu’une ouverture à la vérité qui ne change pas, et non une ouverture pour elle-même, teintée de liberté, qui permettrait de découvrir le dynamisme évoqué plus haut.

Dynamisme qui est celui revendiqué par le cardinal Kasper qui écrivait en 1967, dans un essai sur Dieu et l’histoire : « Le Dieu qui trône sur le monde et l’histoire comme un être immuable est une offense à l’homme. Il faut le renier au nom de l’homme, parce qu’il réclame pour lui la dignité et l’honneur qui reviennent de droit à l’homme. Nous devons résister face à ce Dieu, cependant, non seulement au nom de l’homme, mais aussi au nom de Dieu. Il n’est pas du tout le vrai Dieu, mais plutôt une misérable idole. Car un Dieu qui se contente d’être seulement en marge de l’histoire, qui n’est pas lui-même histoire, est un dieu fini. Si nous appelons un tel être Dieu, alors, au nom de l’Absolu, nous devons devenir des athées absolus. Un tel Dieu trouve sa source dans une vision du monde rigide ; il est le garant du statu quo et l’ennemi de ce qui est nouveau. » Ce Dieu qui ne change pas empêcherait tout changement, mais si Dieu même change, alors tout doit pouvoir changer en fonction des circonstances – voilà comment on justifie l’ouverture aux divorcés remariés ou bien l’affirmation plus récente du caractère « inadmissible » de la peine de mort pourtant justifiée dans son principe par le magistère catholique depuis toujours.

Mgr Rino Fisichella commente “Veritatis splendor” en démolissant ses bases

Mgr Fisichella a-t-il conscience de s’inscrire dans cette logique ? Ce qui est sûr, c’est qu’il récuse « l’instrumentalisation du magistère » utilisé pour contester « le développement de la doctrine ». Ce développement que l’on invoque pour justifier tout changement, même quand il contredit un principe longuement accepté. Il ajoute : « Quand il y a une instrumentalisation, alors je crains qu’il n’y ait pas le désir d’une découverte de la vérité et qu’il n’y ait pas non pas plus une fidélité à la tradition de l’Eglise. Je pense qu’il n’y a il n’y a aucun fondement permettant la contestation du magistère du pape François à la lumière du magistère antérieur. »

De là vient la nouvelle conception de l’évangélisation selon Rino Fisichella, qui n’oppose plus pastorale et doctrine, comme lors de la préparation d’Amoris laetitia, mais pastorale et vérité : « Tel est le sens d’une Eglise en sortie et donc aussi de la capacité, comme il est dit dans Evangelii Gaudium, d’accompagner notre monde contemporain, de cheminer avec lui pour le comprendre, et parfois aussi de faire un pas en arrière », précise Fisichella (et non « un pas de côté » comme le traduit à tort le texte français).

Et c’est ainsi que tout doit pouvoir changer…

Mgr Rino Fisichella dénonce les tenants de la tradition doctrinale…

Diane Montagna de LifeSiteNews rapporte les commentaires du Pr Peter Kwasniewski à la suite de ces propos de Mgr Fisichella :

« Tous les partisans d’une révolution au sein de la doctrine morale invoquent toujours le concept spécieux et vague du “développement de la doctrine”. C’est devenu un mantra qui permet de défendre n’importe quelle position, dès l’instant où elle conserve un élément de lointaine ressemblance, sans besoin d’argumenter ou de préserver véritablement la substance. Rappelez-vous, la règle donnée pour le développement est celle-ci : toute nouvelle compréhension doit totalement respecter les vérités déjà atteintes, dans leur spécificité même. Il pourrait donc y avoir une nouvelle compréhension dans le domaine de la christologie, mais elle ne pourrait être telle que Jésus-Christ cesse d’être confessé comme vrai Dieu et vrai homme. De même, dans le domaine de la morale, il y a de nombreuses nouvelles compréhensions du mariage, mais aucune d’entre elles ne saurait jamais justifier sa dissolution, ou le recours à la contraception, ou la communion pour les adultères ; et cela n’est pas moins vrai en ce qui concerne la peine de mort, qui, quelle que soit la fréquence ou la rareté de son utilisation, est contenu dans le pouvoir même de l’Etat en tant que représentant de Dieu dans la gouvernance des affaires humaines. »

A propos de l’entretien de Fisichella, le Pr Kwasniewski ajoute :

« De manière caractéristique, Fisichella se cache dans le flou : “Nous devons réitérer combien il y a de continuité dans le développement.” Traduit du vaticanais, cela donne : “Nous devons continuer de répéter, jusqu’à n’en plus pouvoir, que le lapin que nous avons tiré de notre chapeau est identique à la grenouille que nous y avons mis.” En langage codé, il parle de placer la “proclamation” avant “la norme”, ce qui signifie qu’il n’y a pas de norme absolue qui gouverne la proclamation et l’accompagnement pastoral.

« Puis, dans un geste qui nous est familier depuis la théologie de la révélation selon Walter Kasper, il dit que la Vérité est “un concept dynamique, pas une dimension fixiste, une parole ‘vivante’”, c’est-à-dire incapable d’être exprimée sous forme de propositions une fois pour toutes (comme cela se fait dans les déclarations et les jugements de fide de l’Eglise). De cette manière, plutôt que d’avoir un point de référence fixe pour la vie et la pensée chrétiennes, ce qui, dans la pensée de Fisichella, serait “renfermé sur soi”, nous avons “une vérité qui s’ouvre toujours davantage”.

« Quel qu’en soit le sens, cela signifie apparemment que nous devons être prêts “à faire un pas en arrière”, c’est-à-dire à renoncer à l’enseignement moral traditionnel de l’Eglise au nom de “ l’accompagnement de nos contemporains”. Toujours en langage codé, c’est ce qu’il veut dire en invoquant “un grand travail d’interprétation” dont il fait ici habilement un travail de déconstruction en utilisant les points de l’encyclique de Jean-Paul II comme des “références” mais non comme des données indiscutables. »

… Peter Kwasniewski répond

En somme, conclut Kwasniewski, « l’effet cumulé des contorsions orwelliennes de Fisichella est que nous pouvons mettre au rancart tout ce qui dans Veritatis Splendor (ou Humanae vitae ou Familiaris consortio et ainsi de suite) ne semble plus être en concordance avec les besoins des Occidentaux tels que les conçoit le pape François ».

Pour Mgr Fisichella, ce n’est pas un coup d’essai. Dans l’affaire de l’avortement des jumeaux d’une fillette de neuf ans enceinte des œuvres du petit ami de sa mère, à Recife, au Brésil, il avait pris clairement position contre le rappel de l’excommunication automatique des adultes impliqués dans la décision et l’exécution de l’avortement par Mgr Cardoso Sobrinho, s’exprimant longuement dans L’Osservatore Romano en faveur des « intérêts » de la fillette sans rappeler que deux vies humaines innocentes avaient été détruites. Fisichella affirmait alors que « chaque situation est unique », s’inscrivant, comme l’a expliqué Mgr Michel Schooyans, dans une claire adhésion « à la morale opportuniste, la morale de l’option fondamentale, la morale proportionnaliste, toutes catégoriquement condamnées par Jean-Paul II dans Veritatis splendor ».

Il est curieux de voir ce même archevêque justifier le rejet, dans son principe, de la peine de mort comme contraire à la dignité de la personne humaine dont la compréhension aurait fait l’objet d’un « véritable progrès », comme Fisichella vient de l’écrire il y a quelques jours dans L’Osservatore romano.

Certaines personnes sont plus dignes que d’autres, mais plus tout change, plus il faut se réjouir de l’» ouverture » nouvelle selon le pape François !

 

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