Le post-modernisme : la maladie dont souffre l'Eglise (05/10/2018)

De Sandro Magister en traduction française sur le site diakonos.be :

La maladie de l’Église se nomme post-modernisme. Le diagnostic d’un théologien

Je reçois et je transmets. L’auteur, un ancien membre des Franciscains de l’Immaculée, enseigne la théologie dogmatique à la Faculté de théologie de Lugano, en Suisse, et sert actuellement au en Angleterre, à la Saint Mary’s Church de Gosport, dans le diocèse de Portsmouth.  Parmi ses ouvrages, publiés en italien et en anglais, figure ce titre : “Il Vaticano II, un concilio pastorale. Ermeneutica delle dottrine conciliari”, 2016.

La relation qu’il établit entre les racines de la crise actuelle et la contestation au sein de l’Église de l’encyclique « Humanae vitae », un texte majeur du magistère de Paul VI, le pape qui sera canonisé dimanche 14 octobre, est particulièrement d’actualité.

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Aux racines de la crise actuelle

de Serafino M. Lanzetta

La Sainte Mère Église, est confrontée à une crise sans précédents dans toute son histoire. Les abus en tous genres, particulièrement dans la sphère sexuelle, ont toujours existé au sein du clergé.  Toutefois, l’épidémie actuelle correspond à la juxtaposition d’une crise morale et d’une crise doctrinale dont les racines sont plus profondes que de simples écarts de conduite de la part de certains membres de la hiérarchie et du clergé.  Il faut gratter un peu la surface et creuser en profondeur.  La confusion doctrinale provoque le désordre moral et vice-versa ; les abus sexuels ont proliféré pendant des années en profitant du laisser-aller, au point d’en venir à transformer silencieusement la doctrine relative à la morale sexuelle en un fait anachronique.

Sans aucun doute, comme l’a dit l’évêque anglais Philip Egan de Portsmouth, cette crise s’étend sur trois niveaux : “primo, une longue liste de péchés et de crimes commis envers des jeunes de la part de membres du clergé ; secundo, les cercles homosexuels qui gravitent autour de l’archevêque Theodore McCarrick mais qui se trouvent également dans d’autres milieux de l’Église ; et tertio, la mauvaise gestion et la couverture de tout cela par la hiérarchie depuis les plus hautes sphères”.

Jusqu’où faut-il remonter pour identifier les racines de cette crise? On peut essentiellement identifier deux causes principales de nature morale. L’une d’entre elles est liée de manière lointaine au problème qui afflige l’Église, une autre de manière plus directe.

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On peut trouver la première cause au sein de l’Église à propos de l’encyclique “Humanae vitae”. En critiquant l’alliance indissoluble entre le principe unitif et procréatif du mariage, on en vient à tolérer toutes les autres formes d’union en les justifiant au nom de l’amour. L’amour devrait être placé avant et au-dessus de ce que fixe la nature. La contraception serait considérée comme un moyen moral légitime permettant de préserver la priorité de la responsabilité de l’homme par rapport à la loi de Dieu, aussi bien naturelle que surnaturelle.

En réalité, le scénario qui se dessinait fut bien différent. De fait, si la procréation n’était plus la fin première du mariage, il fallait non seulement la séparer de l’amour mais, réciproquement, l’amour devait être séparé de la procréation jusqu’à aller à justifier une procréation sans union comme conclusion logique d’un amour sans procréation. On fit la promotion active, dans la société et dans l’Église, d’un amour stérile, isolé de son contexte naturel et sacramentel.

C’est l’identité de l’amour qui était en jeu. Comme l’a récemment souligné l’évêque Kevin Doran, président de la commission de bioéthique de la Conférence épiscopale irlandaise, il y a « un lien direct entre la ‘mentalité contraceptive’ et un nombre étonnamment élevé de personnes qui semblent prêtes à redéfinir aujourd’hui le mariage comme une relation entre deux personnes sans distinction de sexe ».  Il a également ajouté que si l’on peut séparer l’acte d’amour de la procréation, « alors, il devient assez difficile d’expliquer pourquoi le mariage devrait être nécessairement entre un homme et une femme. »

La crise actuelle de l’Église consiste d’une part en la manifestation d’une crise d’identité sexuelle, une rébellion idéologique contre le magistère enraciné dans une tradition morale constante, et d’autre part l’incapacité de regarder le vrai problème en face, c’est-à-dire l’homosexualité et les cercles homosexuels au sein du clergé. Plus de 80% des cas d’abus sexuels connus commis par le clergé ne relèvent en effet pas de la pédophilie mais bien de la pédérastie. La conviction que toute forme d’amour doit être acceptée est devenue un lieu commun au nom du relâchement de l’interdit de la contraception, même si les formules dogmatiques n’ont pas changé.  La véritable essence du Modernisme consiste à inverser la théorie et la pratique en accoutumant les gens aux usages acceptés par le plus grand nombre.

« Humanae vitae » a fait l’objet d’une contestation encore jamais vue auparavant depuis l’intérieur de l’Église. Un livre intitulé « The Schism of ‘68 » décrit entre autre la manière dont les catholiques luttaient pour un aggiornamento sexuel.  Le mot « Aggiornamento » est l’une des mots-clés pour interpréter Vatican II et ses textes.

Des cardinaux, des évêques et des épiscopats entiers ont pris une part active à cette rébellion. Le primat de Belgique, le cardinal Leo Joseph Suenens, parvint même à faire publier par la Conférence épiscopale belge toute entière une déclaration s’opposant à « Humanae vitae » au nom de la soi-disant liberté de conscience.  Cette déclaration, ainsi que celle formulée par la Conférence des évêques allemands, servit de modèle à d’autres pays.  Le cardinal John C. Heenan de Westminster décrivait la publication de l’encyclique du pape Jean-Baptiste Montini sur la transmission de la vie comme « le plus grand choc depuis la Réforme ».  Le cardinal Bernard Alfrink, avec neuf autres évêques hollandais, alla jusqu’à voter en faveur d’une déclaration d’indépendance qui invitait le peuple de Dieu à rejeter l’interdiction de la contraception.

En Angleterre, plus de 50 prêtres signèrent une lettre de protestation publiée dans « Time ». Parmi ces prêtres se trouvait également Michael Winter, qui, en évoquant sa décision d’abandonner la prêtrise, déclara qu’elle fut déclenchée par la crise à propos d’« Humanae vitae ».  Winter finit par se marier et publia en 1985 un livre intitulé « Whatever happened to Vatican II ? » dans le but de ressusciter l’enseignement conciliaire contre ce qu’il percevait comme son enterrement par les autorités romaines.  Il était sans doute convaincu qu’il fallait chercher les racines de la contraception, perçue comme suprématie de l’amour, dans l’enseignement de Vatican II.  Winter était également un membre fondateur du Mouvement pour un clergé marié.  Ce qui est assez étonnant – Winter n’étant pas un cas isolé – du point de vue du clergé, c’est le drame que certains d’entre eux vécurent quand, selon leurs propres termes, le fardeau de l’interdiction de la contraception fut jeté sur les épaules des laïcs.  Comment pouvaient-ils vraiment comprendre – si tel était bien le cas – une telle souffrance ?

Toutefois, la question est ailleurs : si l’on a considéré qu’une protestation « officielle » contre « Humanae vitae », menée par des cardinaux et des évêques, était légitime parce qu’en harmonie avec l’idéologie du moment – n’oublions pas que ces années-là, le mouvement de mai 68 visait à subvertir la morale chrétienne au nom du sexe libre – il est alors difficile de ne pas voir pourquoi une mentalité « officielle » qui justifie l’homosexualité dans le clergé et tout type d’union sexuelle n’aurait pas pu prendre l’ascendant et devenir un jour majoritaire.

« Si la question se trouve devant le gouvernail de notre conscience », comme l’écrit Tom Burns dans « The Tablet » du 3 août 1968 (le même éditorial a été republié le 28 juillet 2018), il peut toujours il y avoir un conscience qui rejette le gouvernail comme tel. Une conscience qui ne serait pas préalablement éclairée par la vérité est comme une barque ballottée par les flots de la mer.  Tôt ou tard, elle finit par couler.  La conscience seule – c’est-à-dire une conscience sans vérité – n’est pas une conscience morale.  Elle doit être éduquée afin de poursuivre le bien et rejeter le mal.

Ce n’est pas un mystère que ceux qui travaillent à enterrer définitivement « Humanae vitae » sont aussi ceux-là mêmes qui se réjouissent de la promulgation d’« Amoris laetitia », comme si on avait finalement comblé le vide d’amour de l’enseignement de l’Église. Une certaine tendance théologique vise actuellement à dépasser « Humanae vitae » avec « Amoris laetitia » de sorte que cet enseignement récent du Pape François sur l’amour dans la famille soit directement relié à « Gaudium et spes » sans aucune référence à « Humanae vitae » et à « Casti connubii ».  La tentation d’isoler Vatican II de la tradition tout entière de l’Église est encore forte.  Mais il en va de la « conscience seule « comme d’un document particulier du magistère comme « Gaudium et spes » ou « Amoris laetitia ».  Aucun document ne peut être lu à sa propre lumière mais uniquement à la lumière de la tradition ininterrompue de l’Église.

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Après le temps de la révolte acharnée, commença le temps du silence de la doctrine. C’est ce qui nous amène à la cause immédiate de ce scandale : la couverture de la doctrine du péché.  Le mot « péché » avait déjà commencé à disparaître de la prédication post-conciliaire. Le péché en tant que séparation de Dieu et d’offense contre lui pour se replier sur les créatures, fut ignoré. Ce vide extraordinaire laissé par la doctrine du péché fut comblé par des considérations psychologiques sur la condition multiforme de faiblesse de l’homme. On remplaça la théologie spirituelle par la lecture de Freud et de Jung qui devinrent les véritables maîtres de nombreux séminaires. Le péché devint sans importance tandis que l’estime de soi et le dépassement de tous les tabous, particulièrement en matière sexuelle, devenait le nouveau mot de passe ecclésiastique.

D’autre part, une nouvelle théologie de la miséricorde, particulièrement celle promue par le cardinal Walter Kasper, a favorisé une nouvelle vision de la miséricorde de Dieu en tant qu’attribut intrinsèque de l’essence divine (s’il en est ainsi, il y a-t-il donc un pardon divin de Dieu avec Lui-même, étant donné que la miséricorde requiert le repentir et le pardon ?) de manière à dépasser la justice punitive en la transformant en un amour qui pardonne tout. Avec cette nouvelle définition, la punition éternelle de l’enfer a-t-elle encore quelque chose à dire ? La miséricorde est devenue un artifice théologique pour couvrir (et camoufler) le péché, en l’ignorant et en l’accueillant sous le manteau du pardon. L’idée de Luther sur la justification n’est pas très éloignée de cette manière de voir.

Il serait intéressant de demander à ceux qui commettent ces crimes au sein du clergé ce qu’ils pensent du péché. La parole des Écritures saintes « … Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. » (Galates 5, 24) pourrait facilement apparaître comme une morale surannée, non pas parce que la Parole de Dieu se serait trompée ou n’aurait pas été inspirée par l’Esprit Saint mais parce simplement parce que proposer un tel enseignement à la société d’aujourd’hui serait tout simplement anachronique, passé de mode.  L’esprit du monde – souvent mêlé à un soi-disant « esprit du Concile » – a étouffé la véritable doctrine de la foi et de la morale.

Le cléricalisme est-il également une cause de cette crise des abus sexuels ? Le Pape François l’a répété à plusieurs reprises. C’est certainement le pouvoir clérical que l’on utilise pour réduire en esclavage sexuel des séminaristes et des hommes en formation. Cependant il est très difficile de comprendre comment le cléricalisme pourrait expliquer la prédation de générations entières de séminaristes si l’homosexualité ne jouait aucun rôle.  Cela reviendrait à dire qu’un ivrogne est toujours saoul non pas parce qu’il aurait l’habitude de boire mais parce qu’il a beaucoup d’argent à dépenser pour s’acheter tout l’alcool qu’il veut.

Le cléricalisme ne peut être la seule réponse, d’autant qu’il existe sous une autre forme – plus subtile et souvent ignorée – qui est bien pire : user de son propre pouvoir clérical pour pervertir la bonne doctrine. Le clergé s’imagine facilement qu’il est propriétaire de l’Évangile et se sent autorisé à distribuer des dispenses des préceptes de Dieu et de son Église au gré de la théologie du moment. Quand on ne s’en tient plus à la droite doctrine de l’Église, on tombe facilement dans le gouffre du simple divertissement et du péché. Au contraire, une vie de péché sans la grâce sanctifiante de Dieu est le meilleur allié de la manipulation de la doctrine. Doctrine de foi et vie morale vont toujours de pair.

En résumé : la cause principale de ce scandale très grave, c’est le modernisme qui s’est aujourd’hui mué en post-modernisme. Après avoir favorisé le changement des formules dogmatiques, nous en sommes peu à peu arrivés à les ignorer complètement. La doctrine est en sécurité comme un livre important sur une étagère couverte de poussière mais elle n’a rien à dire aux palpitations de la vie de tous les jours.

Il ne devrait plus subsister le moindre doute sur l’étendue de cette crise et sur la nécessité d’intervenir avec une action susceptible d’extirper le mal à la racine. Cependant, cette action drastique, dont nous espérons qu’elle puisse être rapidement mise en œuvre, ne sera efficace que si nous retournons tout d’abord à la vérité de l’amour, en comprenant sagement que la mentalité contraceptive ne nous a apporté qu’un hiver démographique rigoureux et une culture de la mort. La contraception est un amour stérile qui ouvre à la possibilité d’un amour placé hors de son contexte, hors de lui-même, immature. C’est un amour mort qui menace aujourd’hui l’Eglise avec une répercussion visible dans les abus sexuels et les scandales du clergé. La mentalité du monde a eu un violent impact sur la vie de l’Église.

Enfin, nous devrions également recommencer à appeler les choses par leur nom. Le péché est encore le péché.  Si nous n’avons plus la force de le faire, c’est déjà un signe qu’il a prévalu. Si en revanche nous appelons le péché par son nom, alors nous nous préparons à pouvoir l’éradiquer.

Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.

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