L'unité se fait dans la vérité (14/10/2018)

Du blog d'Aldo Maria Valli en traduction sur le site "Riposte catholique" : 

Mgr Nicolas Bux : le pape, l’hérésie et le schisme…

Dans un long entretien accordé hier à Aldo Maria Valli, Monseigneur Nicola Bux aborde les problèmes de l’heure et la situation grave que connaît la Sainte Église. En  voici la traduction de l’italien

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Aldo Maria Valli – Mgr Nicola Bux, hérésie et schisme, mots qui semblaient avoir disparu du vocabulaire des catholiques, reviennent au centre de nombreuses analyses et observations sur la situation actuelle de l’Église. Pouvons-nous faire le point sur le statut quaestionis après Amoris laetitia et le débat qui a suivi ?

Il me semble qu’après la publication, le 24 septembre 2017, de la Correctio filialis de haeresibus propagatis (Correction filiale à cause de la propagation des hérésies), et de la Déclaration promulguée à Rome, lors de la conférence du 7 avril dernier, où les cardinaux Brandmüller et Burke se sont exprimés, l’idée se répand que le pape lui-même, par son Magistère, est maintenant au cœur de ce vaste débat qui devient chaque jour plus passionnel. À l’origine, il y a l’exhortation apostolique Amoris laetitia, dans laquelle, selon les quarante signataires de la Correctio (qui sont maintenant deux cent cinquante, sans compter des milliers d’adhérents), on trouve sept propositions hérétiques concernant le mariage, la vie morale et la réception des sacrements.

Il convient simplement de noter que les problèmes, au moins en ce qui concerne Amoris laetitia, se sont considérablement aggravés et compliqués. Comme on le sait, la lettre du pape François aux évêques argentins de la région de Buenos Aires, approuvant les critères de ces derniers pour l’accès à la communion des divorcés remariés, qui ont contracté un nouveau mariage civil, ont été publiés dans les Acta Apostolicae Sedis, accompagnés par un rescrit ex audientia SS.mi du cardinal Secrétaire d’État ; ces documents sont donc considérés comme l’expression du « Magistère authentique » du Pape actuel et, par conséquent, comme un Magistère auquel il faut accorder une soumission respectueuse de l’intelligence et de la volonté.

En même temps, le cardinal Brandmüller, l’un des quatre cardinaux des dubia (les autres étant Burke, Meisner et Caffarra, ces deux derniers étant entre-temps décédés), relance dans un article l’idée, que j’avais également exprimée, d’une profession de foi du Pape.

 

À cet égard, Mgr Nicola Bux, à la lumière également des déclarations du cardinal Müller sur la nécessité d’un débat public sur Amoris laetitia et des paroles du secrétaire d’État du Saint-Siège, le cardinal Parolin, selon lesquelles « dans l’Église il est important de dialoguer », est-il réaliste d’imaginer qu’une réponse puisse venir du pape et qu’on puisse en venir à une profession de foi pour dissiper doutes et ombres ?

L’unité authentique de l’Église se fait dans la vérité. L’Église a été placée par son Fondateur – Celui qui a dit : « Je suis la vérité » – comme « la colonne et le fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15). Sans vérité, il n’y a pas d’unité, et la charité serait une fiction. L’idée, qui prévaut de nos jours, selon laquelle l’Église est une fédération de communautés ecclésiales, un peu comme les communautés protestantes, rend difficile pour le pape de faire une profession de foi catholique. En fait, après les deux derniers synodes des évêques, une foi et une morale à deux vitesses ont fait leur chemin : la preuve en est que dans certains endroits, il n’est pas possible de donner la communion aux divorcés remariés, et dans d’autres oui. Beaucoup d’évêques et de curés se trouvent donc dans une situation pastorale instable et confuse, ce qui les met dans un grand embarras. Cela étant, il me semble réaliste d’envisager un débat contradictoire à ce sujet au sein de l’Église, pour définir ce qui est catholique et ce qui ne l’est pas : il s’agirait d’une confrontation doctrinale, dont dépend tout travail pastoral. Le développement doctrinal bénéficie toujours du débat. L’exemple vient de Joseph Ratzinger, qui, d’abord comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, puis comme pape, a reçu divers théologiens dissidents en les confrontant.

Et s’il n’y a pas de confrontation ?

Je crains que l’apostasie ne s’approfondisse et que le schisme de fait ne s’élargisse. C’est précisément la confrontation rationnelle et charitable au sein de l’Église qui obligerait le pape à faire une profession de foi, avec abjuration, évidemment, des erreurs et des opinions erronées déclarées jusqu’alors, afin de réaffirmer la foi catholique comme règle de la foi de tout catholique. De plus, cette situation est devenue encore plus urgente à la suite des dernières innovations introduites par le pape, comme celle concernant la définition du caractère « anti évangélique » de la peine de mort : une définition réalisée, de manière discutable, en modifiant un article du Catéchisme de l’Église Catholique à partir d’une conception résolument historiciste, et qui pose une série de problèmes. Y compris de conscience. D’autant plus que dans les catéchismes précédents, je pense au Catéchisme romain ou tridentin, ou au Grand Catéchisme de saint Pie X, on enseignait la légitimité de la peine capitale et sa pleine conformité à la Révélation divine. Le Catéchisme tridentin a même exposé la règle autorisant l’État à imposer une juste punition à un coupable de crimes graves, sans exclure la peine capitale, et présentant même cette norme comme une « loi divine ». Et les problèmes, comme je le disais, sont importants, parce que, soit on admet que l’Église a enseigné pratiquement pendant deux mille ans, la légitimité d’une vérité, qui était en réalité anti évangélique, soit on doit admettre que c’est le pape François qui a erré, considérant anti-évangélique ce qui est, au contraire, au moins en principe, conforme à la Révélation. C’est une question très sensible. Mais tôt ou tard, on devra se la poser. Et pas seulement pour la peine de mort.

Beaucoup de gens se posent cette question : si le pape est libre de changer un article du Catéchisme en fonction de l’évolution des besoins ou des exigences du peuple de Dieu, ou des différentes sensibilités de l’homme aujourd’hui, pourrait-t-il le faire sur d’autres points, encore plus cruciaux ?

C’est une question très inquiétante également, d’où la nécessité légitime de garder le depositum fidei libre des sensibilités contingentes de la société d’aujourd’hui ou de demain.

Pour en revenir à la question initiale, il faudrait une profession de foi semblable à celle de Paul VI, en 1968, pour réaffirmer ce qui est catholique, face aux erreurs et aux hérésies qui se sont répandues immédiatement après le Concile Vatican II, surtout à cause de la publication du Catéchisme néerlandais. En l’occurrence, il s’agirait de réaffirmer certaines vérités sur les sacrements, la morale et la doctrine sociale de l’Église, et de rejeter également tout doute ou erreur qui aurait pu se répandre, même involontairement, sur ces questions.

Quelqu’un a fait remarquer que l’initiative de la Correctio, aussi sensationnelle fut-elle, n’est pas nouvelle, car déjà à l’époque de Jean-Paul II et de Benoît XVI, et même sous le pontificat de Paul VI, il y avait déjà eu des manifestes et des pétitions de théologiens, clercs et laïcs, à titre individuel ou en groupe. Ces personnes considéraient que le Concile Vatican II, par anti dogmatisme, avait introduit une rupture avec l’Église précédente ; ils accusaient donc les Pontifes romains de centralisme et de fermeture aux exigences de la modernité. Peut-on y voir une analogie avec ce qui se passe aujourd’hui ?

Non, parce que c’était une attaque anticatholique contre le Magistère catholique. D’autres théologiens et laïcs, hostiles au Concile, ont exprimé leur opposition à toute saine innovation. Dans les deux cas, il s’agissait de protestations et non de corrections. Actuellement, ceux qui sont placés aux postes clés de l’establishment ecclésiastique, se taisent ou se contentent d’une défense officielle de l’institution, sans jamais entrer dans l’étude des hérésies qui font l’objet de demandes de corrections, en particulier, en ce qui concerne l’exhortation apostolique Amoris laetitia. Il faut rappeler de cet avertissement de saint Pie X, dans l’encyclique Pascendi : le fait de ne jamais confesser clairement sa propre hérésie est le comportement typique des modernistes, parce que c’est de cette façon qu’ils peuvent se cacher dans l’Église.

Mais pourquoi pensez-vous qu’une profession de foi serait souhaitable ? Et si le pape, comme on peut le penser, ne la fait pas, que pourrait-il arriver ?

Dans le décret de Gratien (par. I, dist. 40, ch. VI), il y a ce canon : « Aucun mortel n’aura la présomption de parler de la culpabilité du pape, car, s’il chargé de tous nous juger, il ne doit être jugé par personne, sauf s’il dévie de la foi ». L’éloignement et la déviation de la foi s’appellent une hérésie, un mot qui vient du grec airesis et signifie choix et absolutisation d’une pseudo vérité, minimisant ou reniant ce qui fait partie des vérités catholiques. Évidemment, l’écart doit être manifeste et public. Et dans le cas d’une hérésie manifeste, selon saint Robert Bellarmin, le Pape peut être jugé. Je me souviens que Bellarmin était aussi préfet du Saint-Office, un personnage qui a pour fonction de veiller au respect de l’orthodoxie de la foi par tous, y compris le Pape, étant bien entendu que celui-ci est aussi le premier à devoir exercer cette fonction de contrôle. Le Pape est appelé par le Seigneur à répandre partout la foi catholique, mais pour ce faire, il doit se montrer capable de la défendre. Les orthodoxes – les chrétiens orientaux séparés de Rome – sont appelés ainsi précisément parce qu’ils affirment la primauté de la vraie foi comme condition de la vraie Église. Sinon, l’Église cesse d’être le pilier et le fondement de la vérité. Par conséquent, ceux qui ne défendent pas la vraie foi ne peuvent plus demeurer dans les charges ecclésiastiques, quelles qu’elles soient : patriarcat, éparchie, etc.

Excusez-moi Mgr Nicola Bux, dites-vous qu’en cas d’hérésie, tout comme un chrétien hérétique cesse d’être membre de l’Église, même le Pape cesserait d’être Pape et le Chef du Corps ecclésial, et qu’il perdrait toute juridiction ?

Oui, l’hérésie affecte la foi et l’appartenance à l’Église, qui sont la racine et le fondement de la juridiction. C’est la pensée des Pères de l’Église, en particulier de saint Cyprien, qui était confronté à Novatien, antipape sous le pontificat du Pape Corneille (cf. Lib. 4, Ep. 2). Tout croyant, y compris le Pape, du fait de l’hérésie, se sépare de l’unité de l’Église. On sait que le Pape est à la fois un membre et une partie de l’Église, parce que la hiérarchie est à l’intérieur et non au-dessus de l’Église, comme le dit Lumen Gentium (n. 18). Face à cette éventualité, si grave pour la foi, certains cardinaux, ou même le clergé romain ou le synode romain, pourraient avertir le Pape en lui adressant une correction fraternelle, ils pourraient « lui résister en face » comme saint Paul l’a fait à l’égard de saint Pierre à Antioche ; ils pourraient l’admonester et, si nécessaire, l’interpeler afin de l’inciter au repentir. Dans le cas manifeste d’un Pape tombé dans l’erreur, il faut s’éloigner de lui, conformément à ce que dit l’Apôtre saint Paul (cf. Tite 3, 10-11). De plus, son hérésie et son éventuelle contumace devraient être déclarées publiquement, afin qu’il ne fasse pas de mal aux autres, et que chacun puisse se protéger. À partir du moment où l’hérésie est notoire et rendue publique, le pape perd ipso facto son pontificat. Pour la théologie et le droit canonique, s’obstiner dans l’hérésie signifie que l’hérétique remet en cause une vérité de foi consciemment et volontairement, c’est-à-dire avec la pleine conscience que cette vérité est un dogme et avec la pleine adhésion de la volonté. Je vous rappelle qu’il peut y avoir obstination ou persistance dans un péché d’hérésie, même s’il est commis par faiblesse. De plus, si un Pape ne voulait pas maintenir l’union et la communion avec tout le Corps de l’Église, en décidant, par exemple, d’excommunier toute l’Église ou de bouleverser radicalement les rites liturgiques fondés sur la Tradition apostolique, il pourrait être déclaré schismatique. Si le Pape ne se comporte pas comme Pape et chef de l’Église, l’Église n’est pas en lui ni lui dans l’Église. En désobéissant à la loi du Christ, ou en ordonnant ce qui est contraire à la loi naturelle ou divine, c’est-à-dire ce qui a été universellement décidé par les Conciles ou par le Siège Apostolique, le Pape se sépare du Christ, qui est le Chef de l’Église et donc le fondement de l’unité ecclésiale. Le pape Innocent III a dit qu’il faut obéir au Pape en tout, jusqu’à cette limite : s’il agit contre l’ordre universel de l’Église, à moins d’une cause raisonnable, il ne doit pas être suivi, car, en agissant ainsi, il n’est plus soumis au Christ, et il se sépare donc du Corps de l’Église. Je ne peux vous cacher, cependant, que ce que je viens d’indiquer, tout en étant clair et en ne posant théoriquement aucun problème, suscite néanmoins maintes difficultés dans la pratique, y compris de nature canonique.

Admettons qu’on puisse en arriver là. Quelles seraient les conséquences pour la foi et pour l’Église ?

Qui veut être Pape ne peut nier la vérité catholique, au contraire, il doit y adhérer pleinement s’il veut exercer l’autorité magistérielle. En fait, ce que Ratzinger a écrit, il y a déjà bien des années, s’applique ici : il soulignait que le pape ne peut pas « imposer sa propre opinion », mais qu’il doit « rappeler précisément que l’Église ne peut pas faire ce qu’elle veut et qu’elle n’a pas la faculté de le faire », car « en matière de foi et de sacrement, ainsi que des problèmes fondamentaux de la morale », l’Église ne peut qu’« accepter la volonté du Christ ». En cas d’opposition entre le texte d’un document pontifical et d’autres écrits et témoignages de la Tradition, il est légitime pour un fidèle, qui a étudié attentivement la question, de suspendre ou de refuser son consentement au document lui-même. Dans le cas d’Amoris laetitia, certains ont bien montré que le document comporte des difficultés et qu’il est contradictoire sur de nombreux points ; leurs citations de saint Thomas d’Aquin sont mentionnées à côté des propositions qui contiennent des affirmations contraires à la pensée du Docteur Angélique. On comprend donc ce que Joseph Ratzinger a écrit : « Au contraire, il est possible et nécessaire de critiquer les déclarations papales, dans la mesure où elles manquent de référence dans les Écritures et le Credo, dans la foi de l’Église universelle. Là où il n’y a ni unanimité de l’Église universelle, ni témoignage clair des sources, une décision contraignante et obligatoire n’est pas possible ; si elle devait avoir lieu formellement, elle ne remplirait pas les conditions indispensables et le problème de sa légitimité devrait donc être soulevé » (Joseph Ratzinger, Faith, Reason, Truth and Love, Lindau, 2009, p. 400). Bref, si le Pape ne garde pas la doctrine, il ne peut exiger la discipline ; s’il perd alors la foi catholique, il tombera du Siège Apostolique. « Le pouvoir des clés de Pierre ne s’étend pas au point que le Souverain Pontife puisse déclarer ”ne pas être un péché” ce qui est un péché, ou “être un péché ” ce qui n’est pas un péché. Ce serait, en fait, appeler bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien, c’est quelque chose qui a toujours été et sera étranger au chef de l’Église, colonne et fondement de la vérité » (cf. Robert Bellarmin, De Romano Pontifice, lib. IV ch. VI, p. 214, et aussi Lumen gentium, n° 25). Par conséquent, le Pape qui, en tant que personne privée, s’identifierait à l’hérésie, ne serait plus le Souverain Pontife ou le Vicaire du Christ sur la terre.

Toutefois, vous avez vous-même déclaré qu’il y a des difficultés pratiques considérables…

Pour un Pape, en fait, il y a une sorte d’immunité de juridiction. Ainsi, bien qu’en théorie on dise que les cardinaux peuvent vérifier son hérésie, en pratique la chose deviendrait certainement difficile, à cause du principe fondamental Prima sedes a nemine iudicatur, du canon 1404 du Code de Droit Canonique. Aucune Église, en tant que fille, ne peut juger sa mère, c’est-à-dire le Siège Apostolique. Encore moins les brebis du troupeau ne peuvent se dresser pour juger leur Berger. Si nous regardons comment ce principe a été appliqué dans l’histoire de l’Église, et, en particulier, de la papauté, nous remarquons que même dans le cas d’accusations d’hérésie, ou même d’apostasie vraie et propre du Pape, tout s’est terminé sans que rien ne soit fait rien. Je vais vous donner quelques exemples. Le premier qui me vient à l’esprit est celui du pape Marcellin. Selon des sources anciennes, en particulier le Liber Pontificalis, face à la grande persécution dioclétienne du IVe siècle après J.C., il aurait offert de l’encens aux idoles, c’est-à-dire qu’il aurait apostasié, bien que cela ne soit pas totalement certain sur le plan historique (par exemple, certains auteurs et historiens de l’Église antique, comme Eusèbe de Césarée et Théodore de Cyre, nient ces faits, déclarant toutefois que ce pape apostasia pendant la Grande Persécution). Par la suite, un synode fut convoqué à Sinuessa, ville située entre Rome et Capoue, près de l’actuel Mondragone, en 303, dans le but de vérifier et de déclarer l’apostasie du pape. Or, il est vrai que les actes de ce synode sont considérés comme apocryphes et remontent au VIe siècle, mais il ne fait aucun doute qu’il en ressort le refus clair des Pères synodaux de constater et de condamner Marcellin pour son acte d’apostasie. Au contraire, les Pères synodaux demandèrent au pape lui-même de juger son geste et de déterminer sa juste punition, reconnaissant une sorte d’immunité de juridiction pour le pape, précisément à cause du principe que j’ai rappelé plus haut, à savoir que le Premier Siège ne peut être jugé par personne. Rappelons toutefois que Marcellin semble cependant s’être repenti de son geste, avoir témoigné de sa foi et être mort martyr. C’est pourquoi il est vénéré comme pape et martyr le 26 avril.

Le deuxième cas est celui du pape saint Léon III et de son fameux serment, représenté par Raphaël sur une célèbre fresque de la Salle dédiée à l’incendie du Borgo, dans les non moins célèbres salles du Palais Apostolique. Le pape Léon III y apparaît dans ses habits pontificaux, prêtant serment sur les Évangiles, devant Charlemagne et une foule de dignitaires, laïcs et ecclésiastiques, et tout le peuple de Dieu, le 23 décembre 800, en la basilique Saint-Pierre. Le pape a été accusé – bien que les sources anciennes ne soient pas très précises à cet égard – de parjure et d’adultère (on ne sait pas avec qui) par les neveux de son prédécesseur, le pape Adrien Ier. Lorsque Charlemagne vint à Rome pour mettre de l’ordre entre ceux qui soutenaient le pape et les opposants, le pape, librement, « sans être jugé et corrigé par personne, spontanément et volontairement », nia ses fautes devant Dieu, en déclarant et en professant son innocence face aux accusations formulées contre lui. Le Pape conclut : « Je le déclare spontanément pour éliminer toute suspicion : non pas que cela soit prescrit par les chanoines, ni même que de cette façon je veuille créer un précédent et imposer un tel usage dans la Sainte Église à mes successeurs et à mes frères de l’épiscopat ».

Dans la peinture de Raphaël il y a une inscription : Dei non hominum est episcopos iudicare, c’est-à-dire : « C’est à Dieu de juger les évêques, non aux hommes ». Il s’agit d’une allusion à la confirmation, donnée en 1516 par le Concile du Latran V, de la Bulle Unam sanctam de Boniface VIII, dans laquelle on affirme le principe selon lequel le Pontife romain est jugé uniquement par Dieu.

En résumé, beaucoup de difficultés pratiques….

Une autre difficulté est d’identifier les contours exacts d’une hérésie. Voyez la situation actuelle : contrairement au passé, la théologie n’est plus fiable, mais elle est devenue une sorte d’arène où tout converge et son contraire. Ainsi, lorsqu’une vérité est affirmée, il y a toujours quelqu’un prêt à défendre exactement le contraire.  Comme vous pouvez le constater, la question du jugement du pape hérétique présente de nombreuses difficultés pratiques, théologiques et juridiques. Peut-être – et je le dis précisément d’un point de vue pratique – serait-il plus facile d’examiner et d’étudier plus précisément la question de la validité juridique du renoncement du pape Benoît XVI, à savoir s’il est total ou partiel (« à mi-chemin », comme on l’a dit) ou douteux, puisque l’idée d’une sorte de papauté collégiale me semble résolument contraire à l’Évangile. En effet, Jésus n’a pas dit : « Tibi dabo claves … » en se tournant à la fois vers Pierre et André, mais il l’a dit seulement à Pierre ! C’est pourquoi j’affirme qu’une étude approfondie de la renonciation pourrait peut-être être plus utile et plus profitable, tout en contribuant à résoudre des problèmes qui nous semblent aujourd’hui insurmontables. On a écrit : « Le temps des épreuves les plus redoutables pour l’Église viendra. Les cardinaux s’opposeront aux cardinaux et les évêques aux évêques. Satan se mettra en travers de leur chemin. Même à Rome, il y aura de grands changements » (Xavier Gaeta, Fatima, toute la vérité, 2017, p. 129). Et ce grand changement, avec le pape François, nous pouvons le voir de façon palpable, étant donné son intention claire de marquer une ligne de discontinuité ou de rupture avec les pontificats précédents. Cette discontinuité – une révolution – génère des hérésies, des schismes et des controverses de toutes sortes. Et tout cela nous conduit au péché. Origène notait déjà ceci : « Là où il y a le péché, il y a la multiplicité, les schismes, les hérésies, les controverses. Là où règne la vertu, au contraire, il y a l’unité, la communion, grâce à laquelle tous les croyants étaient un seul cœur et une seule âme » (In Ezéchielem homilia, 9,1, dans Sources Chrétiennes 352, p. 296).

La liturgie a aussi été affectée par tout cela, et vous l’avez affirmé plusieurs fois dans vos livres….

C’est vrai. Elle est célébrée comme si Dieu n’était pas présent, une animation mondaine. Mais ici, nous sommes réconfortés par les paroles que saint Athanase d’Alexandrie adressait aux chrétiens que les ariens faisaient souffrir : « Vous restez en dehors des lieux de culte, mais la foi demeure en vous. Considérons cela : qu’est-ce qui est le plus important, le lieu ou la foi ? La vraie foi, bien sûr. Qui perd et qui gagne dans ce combat, celui qui maintient le lieu ou celui qui observe la foi ? Il est vrai que les édifices sont bons, quand on vous prêche la foi apostolique ; ils sont saints, si tout s’y passe d’une manière sainte… C’est vous qui êtes heureux, vous qui restez dans l’Église pour votre foi, qui la maintenez ferme dans les fondations toute comme celles-ci étaient venues à vous de la Tradition apostolique, et si, à diverses reprises, quelque exécrable jalousie a essayé de l’ébranler, elle n’a pas réussi. Jamais personne ne prévaudra contre votre foi, frères bien-aimés, et nous croyons que Dieu nous fera un jour retourner dans nos églises. Plus les tentatives violentes d’occupation des lieux de culte sont nombreuses, plus ces gens se séparent de l’Église. Ils prétendent représenter l’Église, mais en réalité, ce sont eux qui en sont à leur tour expulsés et quittent la route » (Coll. Selecta SS. Eccl. Patrum). Nous prions cependant que la Divine Providence intervienne en faveur de l’Église, afin que nous ne nous retrouvions pas dans un cas semblable à celui que je viens d’évoquer ; c’était aussi l’espérance de l’éminent canoniste jésuite, le Père Gianfranco Ghirlanda, moins d’un mois après la démission de Benoît XVI, à la fin d’un article de grande qualité (La Civiltà Cattolica, 2 mars 2013).

En conclusion, peut-on dire que l’hérésie ne consiste pas seulement à répandre de fausses doctrines, mais aussi à réduire au silence la vérité sur la doctrine et la morale ?

Bien sûr que si. Si quelqu’un est dérangé par le terme doctrine, utilisez le terme enseignement, parce que les deux sont des traductions du grec didache. Là où il n’y a pas de doctrine, il y a des problèmes moraux, comme nous le voyons ! Quand le Pape et les évêques font cela (c’est-à-dire réduire au silence la vérité sur la doctrine et la morale), ils utilisent leur propre office pour le détruire. Saint Augustin dit qu’ils cherchent leurs propres intérêts, pas ceux de Jésus Christ, ils proclament sa parole mais pour répandre leurs idées. Le nom de Jésus-Christ, a dit le cardinal Biffi, est devenu une excuse pour parler d’autre chose : migrations, écologie, etc. Ainsi, nous ne sommes plus unanimes à parler (1 Co 1, 10) et l’Église est divisée.

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