L'Eglise et les droits de l'homme (11/12/2018)

On fête les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Comment l'Eglise se situe-t-elle à l'égard de cette proclamation ? Du site ICHTUS.fr, cette synthèse qui, publiée en 2012, conserve toute son actualité :

L’Eglise et les droits de l’homme

Fondements des droits de l’homme

Les droits de la personne humaine sont par là-même antérieurs à la société et à l’Etat qui ont l’obligation de les reconnaître. C’est une idée sur laquelle Jean Paul II insiste également dans son livre “Entrez dans l’espérance”, où il écrit : “Les droits de l’homme ont été inscrits dans l’ordre de la création par le créateur lui-même. On ne peut parler ici de concession faite par des institutions humaines, gouvernements ou organisations internationales, ces institutions n’expriment que ce que Dieu a inscrit dans l’ordre qu’il a lui-même créé”. Autrement dit, aucun Etat, aucune institution, ne peut décréter les droits de l’homme, ils ne peuvent que les entériner, ces droits étant inscrits dans l’ordre que Dieu a lui-même créé.

Plus récemment, Jean-Paul II est revenu sur cette idée à propos des cinquante ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 en disant, dans son message du ler janvier 1999, qu'”elle est claire parce qu’elle reconnaît les droits qu’elle proclame, elle ne le confère pas”.

L’erreur tragique de notre siècle consiste précisément à considérer que les droits de la personne humaine dépendent de la volonté collective des hommes. Car si les droits de l’homme dépendent de la volonté exprimée, à un moment donné, par un Etat ou une institution internationale, alors l’arbitraire est effectivement possible et ces droits peuvent être niés, déformés ou remis en cause à tout moment.

Or les droits de l’homme sont inscrits dans l’ordre naturel des choses tel que Dieu l’a voulu; les vrais droits de l’homme viennent de Dieu. Peut-il d’ailleurs exister de fondement plus solide et moins incontestable que celui-là ?

Etienne Gilson, le célèbre philosophe néo-thomiste, attestait de cette évidence lorsqu’il écrivait : “les droits de l’homme nous sont beaucoup plus chers qu’ils ne le sont aux incroyants, car ils ne se fondent pour eux que sur l’homme qui les oublie, au lieu qu’ils se fondent pour nous sur les droits de Dieu qui ne nous permet pas de les oublier”.

 

Les droits de l‘homme reposent sur Dieu Lui-même et ses commandements. A cet égard, le Décalogue peut être considéré comme la première déclaration des droits de l’homme. En effet, les droits fondamentaux de la personne découlent des obligations qu’il énonce, des devoirs qu’il impose; ainsi le commandement “tu ne tueras point” fonde le droit à la vie, “tu ne voleras pas” le droit de propriété…

Droits de l’homme et droits de Dieu

Dès le début de son pontificat et la parution de l’encyclique “Redemptor Hominis”, Jean-Paul II s’est vu reproché par certains milieux catholiques intransigeants son insistance à parler des droits de l’homme au détriment des droits de Dieu.

Ce jugement est d’autant plus injustifié que “Redemptor Hominis” comme par rappeler que “Le rédempteur de l’homme, Jésus-Christ, est le centre du cosmos et de l’histoire”. Loin de séparer droits de l’homme et droits de Dieu, Jean-Paul II ne cesse au contraire de rappeler qu’ils sont indissolublement liés.

Ainsi, dans sa lettre aux évêques du Brésil du 10 décembre 1980, il écrit : “Les droits de l’homme n’ont de vigueur que là où sont respectés les droits imprescriptibles de Dieu et l’engagement à l’égard des premiers est illusoire, inefficace et peu durable s’il se réalise en marge ou au mépris des seconds”.

A Munich, le 3 mai 1987, il déclarait : “On entend beaucoup parler aujourd’hui des droits de l’homme, dans de très nombreux pays ils sont violés, mais on ne parle pas des droits de Dieu et pourtant, droits de l’homme et droits de Dieu sont étroitement liés. Là où Dieu et sa loi ne sont pas respectés, l’homme non plus ne peut pas faire prévaloir ses droits, nous l’avons constaté en toute clarté à la lumière du comportement des dirigeants nationaux-socialistes, ils ne se souciaient pas de Dieu et persécutaient ses serviteurs et c’est ainsi qu’ils ont traité inhumainement les hommes à Dachau, aux portes de Munich, comme à Auschwitz aux portes de mon ancienne résidence épiscopale de Cracovie. Aujourd’hui encore vaut ce principe : les droits de Dieu et les droits de l’homme sont respectés ensemble ou ils sont violés ensemble”.

Si il y a un reproche que l’on ne peut pas faire à Jean-Paul II, c’est bien celui de négliger le rappel des droits imprescriptibles de Dieu.

Droits et devoirs

On ne saurait non plus reprocher à Jean-Paul II d’évoquer les droits de l’homme en négligeant le rappel de ses devoirs. On ne peut parler des droits de l’homme sans rappeler ses devoirs, c’est une évidence. L’un des mérites de Jean Paul II est de rappeler qu’on ne peut pas séparer ce que Dieu a uni. Il faut en finir avec ce tour d’esprit dialectique, qui consiste à opposer les choses qui n’ont pas à l’être.

Le mot “droit” est issu du latin “jus”; le droit c’est ce qui est juste, comme l’indique l’étymologie et la justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. On le voit bien : les deux notions de droits et de devoirs sont rigoureusement indissociables.

Paul VI, dans son message pour la Xème journée mondiale des Moyens de communication sociale, en avril 1976, ne disait-il pas lui-même : “A chacun des droits correspondent des devoirs, aussi nombreux et aussi importants, et nous les affirmons avec une égale vigueur et une même détermination car toute séparation des droits et des devoirs correspondants serait une cause de déséquilibre et aurait des répercussions négatives pour la vie sociale. Pour cette raison, il convient de rappeler que la réciproque entre droits et devoirs est essentielle, les seconds découlent des premiers et vice-versa. L’Eglise sait et doit rappeler à tous que toute atteinte aux droits de l’homme et toute omission des devoirs correspondants sont à titre égal une violation grave de la loi suprême de l’amour”.

Quant à Jean-Paul II, il ne manque pas non plus une occasion de rappeler que droits et devoirs vont de paire. Citons son premier discours aux Nations-Unies, le 2 décembre 1978 : “Tout en insistant et à juste titre sur la revendication des droits de l’homme, on ne doit jamais perdre de vue les obligations et les devoirs qui sont liés à ces droits”. Ou encore le message du Saint-Père pour la Journée mondiale de la paix, le 1er janvier 1999 : “la promotion du bien de l’individu s’associe ainsi au service du bien commun là où les droits et les devoirs se correspondent et se renforcent mutuellement”.

Mais d’une certaine manière, il y a primauté des devoirs par rapport aux droits; c’est pour nous permettre d’accomplir nos devoirs que nous avons de droits. Gustave Thibon résume fort bien cette idée en rappelant que “si chacun s’acquittait de tous ses devoirs envers ses semblables, tous les droits seraient assurés sans avoir besoin d’être proclamés et revendiqués”...

Saint Pie X ne disait-il pas la même chose dans la lettre “Notre charge apostolique” de 1910 : “la question sociale sera bien prêt d’être résolue lorsque les uns et les autres, moins exigeants sur leurs droits naturels, rempliront plus exactement leurs devoirs”... ?

Jean XXIII écrit lui-même dans l’encyclique “Pacem in Terris” de 1963 : “Jusqu’ici nous avons rappelé une suite de droits de nature chez l’homme, leur sujet, ils sont liés à autant de devoirs. La loi naturelle confère les uns, impose les autres. De cette loi ils tiennent leur origine, leur persistance et leur force indéfectible”.

Les droits et les devoirs de l’homme concret

Dans “Redemptor Hominis”, Jean-Paul II montre que les droits de l’homme auxquels il se réfère ne sont pas les droits de l’homme abstrait, les droits de l’homme des philosophes des “Lumières”, mais les droits de l’homme concret et incarné. Jean-Paul II dit précisément : “il ne s’agit pas de l’homme abstrait mais réel, de l’homme concret, historique, il s’agit de chaque homme…”. La conséquence en est que les devoirs qui correspondent à ces droits sont des devoirs très concrets, très précis vis-à-vis du prochain. Le prochain, c’est-à-dire : le parent, l’ami, le voisin, le collègue, le concitoyen…

Nous avons des devoirs par état qui correspondent à notre situation, à notre place dans la société. Nous avons des devoirs familiaux en tant qu’époux ou épouse, père ou mère de famille. Nous avons des devoirs professionnels. Nous avons des devoirs civiques dans le cadre d’une commune, d’un département, d’une région même. Nous avons bien sûr des devoirs vis-à-vis de la nation, de la patrie dont nous sommes les fils.

Aucun de ces devoirs n’est facultatif. Nous n’avons pas à faire un choix entre certains devoirs d’état qui nous conviendraient et d’autres qui ne nous conviendraient pas. Des médecins auront effectivement des devoirs d’état qui ne sont pas les mêmes que ceux des militaires, qui seront différents de ceux d’un cadre ou d’un employé dans une entreprise, etc… C’est la raison pour laquelle nous avons l’obligation d’agir en premier lieu dans notre milieu naturel en fonction de la place que nous occupons dans la société. Ce constat est le point de départ de l’oeuvre de Jean Ousset et de notre travail.

L’Eglise et les déclarations des droits de l’homme

L’Eglise a condamné la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789, alors qu’elle a globalement approuvé, à quelques réserves près, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Ainsi, certains reprochent à l’Eglise d’être “opportuniste”, l’accusant de défendre et promouvoir aujourd’hui ce qu’elle condamnait hier.

En fait, il n’y a aucune contradiction dans l’attitude de l’Eglise vis-à-vis de ces deux déclarations qui ont des contenus très différents.

Prenons d’abord la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Elle a été condamnée par Pie VI, dans son encyclique “Adeo nota”, du 23 avril 1791, mais le Pape ne s’étend pas sur les raisons pour lesquelles il le condamne, se contentant de dénoncer des droits “si contraires à la religion et à la société”.

Par la suite, le Magistère a précisé les reproches que l’on pouvait faire à l’encontre de cette Déclaration de 1789, si bien qu’aujourd’hui l’Eglise, quand elle parle des droits de l’homme, ne se réfère pas à la Déclaration de 1789 mais plutôt à la Déclaration universelle de 1948.

La déclaration de 1789

Dans son esprit même la Déclaration de 1789, qui n’envisage que les droits de l’homme sans faire mention des devoirs qui leur sont liés, est contraire à l’enseignement traditionnel du Magistère. Dans son ouvrage sur “La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen”, Stéphane Rials rappelait qu’en 1789 tout un débat avait eu lieu pour savoir s’il fallait ou non y introduire une référence aux devoirs de l’homme. Le clergé, notamment l’abbé Grégoire, y était plutôt favorable, mais la majorité ne le souhaitait pas et Robespierre y était violemment opposé.

L’Eglise ne saurait non plus se reconnaître dans l’esprit purement individualiste qui caractérise la déclaration de 1789, comme si la société n’était qu’un assemblage d’individus, comme si l’homme ne vivait pas en société, comme s’il ne vivait pas enraciné dans une multitude de corps naturels et de communautés : la famille, le village, la province, les corps de métier, etc… C’est dans cet esprit qu’en 1791 la Loi Le Chapelier abolira les corporations, laissant les ouvriers sans protection face aux conséquences de la révolution industrielle.

La déclaration de 1789 est donc le reflet d’une idéologie matérialiste et individualiste qui, méconnaissant les corps intermédiaires, aboutit à isoler l’individu face à l’Etat.

Dans “Redemptor Hominis”, Jean-Paul II s’oppose à ce tour d’esprit, notamment dans ce passage où il parle du “bien de l’homme, disons de la personne dans la communauté”. Le bien de l’homme ne peut être que celui de la personne dans la communauté, ce n’est jamais le bien de l’individu isolé. Le vice du libéralisme et de l’individualisme, consiste à ne considérer l’homme qu’en tant qu’individu. A l’inverse le socialisme et le fascisme ne prennent en compte que la dimension sociale de l’homme.

Seule la doctrine sociale de l’Eglise considère les deux dimensions, personnelle et sociale, de la personne humaine, en rappelant qu’il y a effectivement des droits de la personne dans la communauté.

Autre motif de condamnation : en dépit des apparences, la Déclaration de 1789 contient une négation des droits de Dieu.

Elle a, certes, été proclamée sous les auspices de l’Etre Suprême, ce qui permettait à un certain nombre de croyants, de chrétiens “de s’y retrouver”. En réalité, l’Etre Suprême qui est invoqué par la Déclaration n’est pas le Dieu des chrétiens, mais plutôt celui des déistes; c’est la transposition du “grand horloger” dont parlait Voltaire ou du “grand architecte de l’univers” des francs-maçons, un “dieu” impersonnel et lointain qui se désintéresse de sa création. En tout état de cause, ces concepts n’ont rien à voir avec la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Sans être non plus parfaite sur ce plan-là, la Déclaration d’indépendance américaine de 1776 est davantage centrée sur le Dieu de la Révélation : la Bible y est expressément mentionnée.

Dans la déclaration de 1789, une révolution est introduite à laquelle les contemporains n’ont peut-être pas, sur le moment, prêté suffisamment d’attention. En effet, son article 10 affirme que “nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses”. Cela parait plutôt positif, mais par rapport à la société d’Ancien Régime où le catholisme était la religion de l’écrasante majorité des Français, la foi devient une opinion parmi d’autres, ni plus ni moins respectable qu’une autre opinion, fût-ce l’athéisme.

En toute logique, la Déclaration de 1789 manifeste la volonté d’évacuer Dieu de l’organisation de la société qui ne dépendrait plus que de la volonté arbitraire de l’homme. Il y a là une volonté de séparer l’homme et Dieu mais surtout de les opposer, voire de déifier l’homme et de le mettre à la place de Dieu qui ressort plus particulièrement de deux articles de cette déclaration.

– D’abord l’article 3 qui affirme : “le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément”. C’est un renversement de la conception catholique traditionnelle sur l’origine du pouvoir.

“Tout pouvoir vient de Dieu”, dit Saint Paul dans ses Lettres aux Romains; tel est l’enseignement traditionnel et constant de l’Eglise. Vous connaissez également les paroles du Christ à Pilate : “Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’En-Haut”...

Il n’existe pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, quels que soient les titulaires de cette autorité, quelle que soit la manière dont ils sont désignés.

La doctrine de l’origine divine du pouvoir n’est d’ailleurs pas incompatible avec le régime démocratique, ce que dit fort bien Jean XXIII dans “Pacem in Terris” (1963) : “l’origine divine de l’autorité n’enlève aucunement aux hommes le pouvoir d’élire leur gouvernement”.

Il ne s’agit donc pas de dire qu’il n’y a qu’un seul régime possible, la monarchie de droit divin; il s’agit de dire que toute parcelle d’autorité, celle que vous détenez en tant que père et mère de famille, en tant qu’officier, chef d’entreprise, cadre ou à quelque niveau que ce soit, est un reflet de l’autorité de Dieu ainsi qu’une participation à l’autorité divine.

Cet enseignement traditionnel de l’Eglise est contredit par la doctrine révolutionnaire selon laquelle le principe de toute souveraineté réside par essence, dans la nation, dans le peuple, c’est-à-dire en fait dans l’Etat, au point que “nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément”. Or si l’on pousse cette logique jusqu’au bout, toute autorité qui n’est pas issue de la volonté générale, celle des parents comme celle du professeur, du chef d’entreprise, de l’officier, voire même du prêtre ou de l’évêque, qui ne sont pas non plus élus, est illégitime.

L’article 3 de la Délaration n’est donc pas anodin puisqu’il remet en cause toute autorité qui n’est pas soi-disant l’expression de la volonté générale incarnée par l’Etat.

– Dans le même esprit, l’article 6 de la Déclaration de 1789, énonce que “la loi est l’expression de la volonté générale” et qu’elle n’est que cela. Jean Madiran l’a très bien vu dans un de ses ouvrages, “Les deux démocraties”, dans lequel il écrit : “dans toutes les civilisations, jusqu’en 1789, la loi était l’expression d’une réalité, supérieure à l’homme, d’un bien objectif, d’un bien commun, elle était l’expression humaine de la volonté de Dieu sur les hommes, conformément à la nature qui leur a été donnée, à la destinée qu’Il leur veut. Quand Dieu était inconnu, ou méconnu, la loi demeurait néanmoins l’expression d’une raison, d’une justice, d’une ordre supérieur aux volontés humaines”.

Autrement dit, on ne considérait pas que la loi pouvait arbitrairement décider de tout. La loi devait respecter, au minimum, un certain ordre des choses. Ce qui n’est plus le cas dès lors que la loi n’est que l’expression de la volonté générale dont l’Etat s’estime seul dépositaire. Cet article 6 est par conséquent le point de départ de tous les totalitarismes des temps modernes.

La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948

L’Eglise, et surtout Jean-Paul II, en parlent de façon bienveillante. Dans “Redemptor Hominis”, le Pape loue “l’effort accompli pour donner vie à l’organisation des Nations-Unies, effort qui tend à définir et à établir les droits objectifs et inviolables de l’homme en obligeant les Etats membres à une rigoureuse observance de ces droits”.

Dans son message du ler janvier 1999, pour la Journée Mondiale de la Paix, il souligne que “l’année 1998 a marqué le cinquantième anniversaire de l’adoption de la déclaration universelle des droits de l’homme qui éclaire, parce qu’elle reconnaît les droits qu’elle proclame, elle ne les confère pas”.La déclaration de 1948, dont nous commémorions en décembre 1998, le cinquantième anniversaire, est, de par son contexte et son contenu, assez différente de la Déclaration de 1789.

Le contexte

En 1789, s’annonçait une persécution religieuse. Depuis des décennies la philosophie des Lumières était à l’oeuvre pour saper les fondements chrétiens de la société.

En 1948, le contexte historique est très différent. L’humanité sort des atrocités de deux guerres mondiales qui ont fait des dizaines de millions de victimes. Si le nazisme a été terrassé, le communisme est toujours conquérant. La guerre et les totalitarismes ayant gravement porté atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine, l’Eglise se devait de mettre plus particulièrement l’accent sur la dignité de l’homme et sur ses droits fondamentaux.

Le contenu

Quant au contenu lui-même de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, il est incontestablement différent de celui de la déclaration de 1789.

Certes, la déclaration de 1948 ne fait référence ni à Dieu, ni à ses droits.C’est sans doute ce qui explique que l’Eglise n’ait pas immédiatement approuvé cette déclaration sur laquelle Pie XII ne s’est pas directement prononcé.

Ce n’est qu’en 1963, que l’Eglise, par la voix du pape Jean XXIII dans “Pacem in terris”, prit clairement position en approuvant globalement la déclaration de 1948, malgré les quelques réserves que le texte lui inspirait.

Or, contrairement à la déclaration de 1789, la Déclaration de 1948 reconnaît à l’homme non seulement des droits individuels mais aussi des droits sociaux dans le cadre des collectivités humaines que sont la famille, l’école, les associations, les groupements de personnes, etc… ce qui constitue un changement très important.

Un certain nombre de droits fondamentaux sont plus clairement définis que dans la déclaration de 1789. Par exemple l’article 3 de la déclaration de 1948 reconnaît que tout homme a “droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne”. L’article 18, lui, définit la liberté de religion de façon très positive en allant jusqu’à reconnaître le droit à la manifestation officielle, publique et collective du culte, et le droit à l’enseignement religieux. C’est beaucoup plus précis que l’article 10 de la déclaration de 1789 qui disait simplement, qu’on ne pouvait pas être inquiété pour ses opinions religieuses.

L’article 16 parle de la famille en des termes qui sont finalement très proches de certains documents pontificaux. Cet article affirme que “la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat”.

Dans le même esprit, l’article 26 parle de la responsabilité éducative des parents en reconnaissant que “les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants”, ce qui est parfaitement conforme au contenu de “Familiaris Consortio” où Jean-Paul II rappelle que les parents sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants et qu’ils ont le droit de choisir le type d’éducation qu’ils veulent leur donner.

Enfin, l’article 29 va jusqu’à parler des devoirs des personnes, ce que la déclaration de 1789 ne faisait pas : “l’individu à des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible”. Le contexte comme le contenu des deux déclarations de 1789 et de 1948 étant foncièrement différents, l’Eglise ne peut être accusée de se contredire lorsqu’elle condamne la première et approuve la seconde.

Un piège à éviter

La raison d’être de l’Eglise est de veiller au salut des âmes et de favoriser l’avènement du royaume de Dieu. L’Eglise n’a pas pour mission l’édification ici-bas d’une société humaine parfaite et utopique où le respect des droits de l’homme, conçu comme un absolu, garantirait le bonheur de l’humanité. Il n’y a pas ici-bas de cité – même catholique – idéale. Et de fait, dans l’encyclique “Sollicitudo Rei Socialis”, Jean-Paul II a encore rappelé qu’“aucune réalisation temporelle ne s’identifie avec le royaume de Dieu”.

“Experte en humanité”, l’Eglise sait fort bien que les déclarations solennelles de principe ne servent à rien, que la lettre tue et que seul l’esprit fait vivre, c’est pourquoi elle s’est attachée à la conversion des coeurs et des intelligences.

Reste qu’en travaillant au long des siècles à la conversion du plus grand nombre, l’Eglise a fait concrètement bien davantage, hic et nunc, pour le respect de la dignité de la personne humaine et la reconnaissance de ses droits fondamentaux que toutes les déclarations qui en ont été faites depuis deux cents ans.

Que l’on songe, par exemple, s’il est besoin de s’en convaincre, à la longue et patiente lutte de l’Eglise contre l’esclavage, à sa défense de la dignité de la femme, à sa volonté d’éducation des plus humbles, à la création que nous lui devons de lois de la guerre pour en limiter les ravages, etc… L’inlassable proclamation de l’Evangile a permis, tout au long des siècles chrétiens, de dégager et de faire respecter ces droits de l’homme que d’ostentatoires déclarations viennent nous rappeler aujourd’hui sans doute parce qu’ils sont bafoués à peu près partout dans le monde.

Aussi est-ce un comble – et la conséquence de cette guerre culturelle qui est faite à tout ce qui est chrétien – de constater que les catholiques sont aujourd’hui complexés au point de penser que les droits de l’homme ont été promus et défendus par les adversaires de l’Eglise !

Il serait stupide – et totalement inefficace – d’abandonner à l’adversaire des notions, des concepts ou des vérités qui sont essentiels à la foi chrétienne, sous prétexte que “l’ennemi” s’en est emparé pour en fausser ou en dénaturer le sens.

Jean Ousset nous rappelait qu'”il est temps de reprendre notre bien et de redonner un sens, un contenu chrétiens à toutes ces notions” .

Tel est l’état d’esprit dans lequel Jean-Paul II brandit aujourd’hui l’étendard des droits de l’homme. Nous serions mal venus de le lui reprocher alors que l’Eglise catholique en la personne de son Vicaire est la seule à oser proclamer et défendre la vraie dignité et les vrais droits de l’homme réel face à la culture de mort et aux valeurs matérialistes et hédonistes de ce XXè siècle finissant.

Et cela aussi bien dans les faits que dans le rappel des principes.

Ainsi quand on considère l’histoire de ces dix dernières années, le rôle joué par l’Eglise catholique dans la chute du communisme est à peu près universellement reconnu. La “révolution de velours” qui a permis l’effondrement sans effusion de sang du marxisme dans les pays de l’Est n’aurait sans doute pas été possible si Jean-Paul II n’avait pas été vis-à-vis des peuples sous le joug totalitaire le promoteur et le défenseur des vrais droits de l’homme.

De même le Pape est-il le fer de lance du combat pour le respect du droit de l’homme à la vie contre tous les tenants de la culture de mort. Droit à la vie, inscrit à l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, mais surtout inscrit au coeur de celui-ci et de la civilisation par le cinquième commandement du Décalogue, et sur lequel Jean-Paul II insiste tout particulièrement car il est probablement le plus bafoué en même temps que le plus fondamental de tous les droits.

Dans son message du 1er janvier 1999, le pape revient à nouveau sur ce “premier des droits (qui) est le droit fondamental à la vie. La vie humaine est sacrée et inviolable de sa conception à sa fin naturelle. Le commandement divin “tu ne tueras pas” marque une limite extrême au-delà de laquelle il n’est jamais licite d’aller. Tuer directement et volontairement un être humain innocent est toujours gravement immoral. Le droit à la vie est inviolable, cela implique un choix positif, un choix pour la vie”.

Jean Paul II ne cesse de rappeler cet enjeu crucial pour l’avenir de l’humanité. N’ayons pas peur de reprendre à notre compte le patrimoine chrétien qui est celui de la défense de la dignité de la personne humaine dans cet esprit qui consiste à considérer, à la suite de la grande tradition de l’évangélisation, que toute vérité est nôtre.

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