Vian – dont la famille était proche de celle du Pape Giovanni Battista Montini au XXe siècle – n’est jamais entré dans les grâces de Jorge Mario Bergoglio. Il n’a jamais cédé à la tentation de faire de « L’Osservatore Romano » le journal de campagne du pape actuel et de ses actions, pas même de celles qui ont été immanquablement saluées comme étant « historiques », « capitales » et « révolutionnaires » par les journalistes de son fan club.
Avec comme résultat que sous François, « L’Osservatore Romano » a cessé d’être considéré comme étant l’expression de la ligne du pontificat actuel. En témoigne par exemple l’indifférence générale – rompue uniquement par Settimo Cielo – qui a entouré la publication en première page du journal du Vatican d’un éditorial bien argumenté qui prenait résolument la défense de l’encyclique « Humanae vitae » de Paul VI, à l’occasion du quarantième anniversaire de sa publication, contre les « révisions » de son enseignement qui sont aujourd’hui largement à l’œuvre dans l’entourage du Pape Bergoglio.
« L’Osservatore » ayant été mis sur la touche, c’est dans les faits un autre organe de presse qui joue aujourd’hui le rôle de refléter la ligne du pontificat actuel, il s’agit de la revue « La Civiltà Cattolica » dirigée par le jésuite Antonio Spadaro.
Dario Viganó, le prélat controversé auquel François avait confié en 2015 la réorganisation globale des médias du Vatican, croyait alors pouvoir facilement envisager la fermeture de « L’Osservatore Romano » et le réduire à un simple bulletin d’informations officielles qui ne serait distribué qu’en interne à la Curie.
Vian avait alors réagit à cette attaque frontale en se retranchant derrière la Secrétairerie d’État qui était effectivement à la Curie la véritable autorité de référence dont dépendait « L’Osservatore Romano ».
Et la Secrétairerie d’État, dirigée par le cardinal Pietro Parolin, l’avait toujours assuré de son soutien indéfectible. Un soutien grâce auquel Vian a pu seulement pu résister à l’offensive de Viganò et garder « L’Osservatore Romano » en vie mais également engager de nouveaux rédacteurs, développer et distribuer des suppléments hebdomadaires en plusieurs langues et donner forme et notoriété au supplément mensuel « Donne Chiesa Mondo » dont la directrice, Lucetta Scaraffia, était également une éditorialiste influente au sein de ce même « Osservatore Romano ».
Le moment emblématique de cette contre-attaque aura été le lancement au Vatican, le 3 mai 2016, de la nouvelle série de « Donne Chiesa Mondo », dont la présentation officielle a été effectuée par le cardinal Parolin flanqué de Vian et de Scaraffia alors que Mgr Viganò n’avait fait que passer en coup de vent, mêlé au public au fond de la salle.
C’est à cette même occasion qu’on avait appris que « Donna Chiesa Mondo » fonctionnerait également en autonomie totale, grâce au soutien financier des Postes italiennes.
C’est ainsi qu’en mars 2018, quand le Pape François dut se résoudre à démettre Viganò de ses fonctions de préfet et d’assesseur du dicastère pour la communication à la suite de la manipulation désastreuse – démasquée par Settimo Cielo – à laquelle il avait procédé sur une lettre du pape émérite Benoît XVI, la partie semblait jouée en faveur de « L’Osservatore Romano ».
Mais bien peu ont prêté attention au fait que, dans la lettre qui annonçait sa mutation, le Pape François demandait à nouveau à Viganò de mener à son terme la « fusion » du quotidien du Vatican « au sein du système de communication unique du Saint-Siège ».
Et c’est précisément cette opération que le nouveau préfet du dicastère, Paolo Ruffini, a menée à bien peu avant Noël, avec la défenestration de Vian le 18 décembre, sans même un mot de remerciement pour ce dernier de la part du pape, mis à part une lettre tardive et laconique du 22 décembre qui ne sera publiée que le 27.
Le 19 décembre, le changement au sein de « L’Osservatore Romano » était déjà en marche. Le 20 décembre, dans son premier éditorial, le nouvel rédacteur en chef, Andrea Monda, écrivait vouloir donner la parole à une Église « pèlerine ». Un adjectif typiquement bergoglien dans la droite ligne de la consigne qu’il avait donnée au préfet Ruffini dans son acte de nomination : donner « une réponse à l’appel du Pape François à être une ‘Église en sortie » et à ‘mettre en œuvre des processus’ inédits notamment en matière de communication ».
Ruffini connaît bien Monda. Ce dernier a travaillé pour lui comme présentateur d’un docu-réalité sur l’enseignement de la religion dans les écoles sur TV 2000, la chaîne de la Conférence épiscopale italienne dont Ruffini a été directeur de 2011 à 2018.
Mais surtout, Monda est étroitement lié au directeur de « La Civilità Cattolica », le P. Spadaro, qui est le grand confident du Pape Bergoglio et l’éminence grise derrière toutes ces manœuvres dans les médias du Vatican. Monda est depuis des années l’un des abonnés les plus fidèles du blog littéraire de Spadaro, « Bomba carta ».
De plus, en tant que son supérieur direct dans le nouvel organigramme du dicastère pour la communication, Monda retrouve à présent Andrea Tornielli, le vaticaniste le plus intime de Bergoglio puisqu’il était déjà son ami bien avant qu’il ne soit élu Pape.
Quant à Tornielli, l’ancien coordinateur de « Vatican Insider » nommé depuis le premier janvier de cette année à la tête de la direction éditoriale du dicastère pour la communication, il sera, selon les statuts, responsable de « l’orientation et la coordination de toutes les lignes éditoriales » des médias du Vatican.
Depuis ce changement de direction, aucune variation notable n’est encore visible dans « L’Osservatore Romano ».
Mais cela ne saurait tarder, sinon à quoi bon tout ce remue-ménage. Et il est vraisemblable que ces changements reflèteront avec emphase la ligne du pontificat de François.
2. La salle de presse
Les démissions inopinées de Greg Burke et de Paloma García Ovejero sont symptomatiques d’une perte de pouvoir de la secrétairerie d’État en faveur du « cercle rapproché » du Pape François.
Un problème qui ne date pas d’hier puisque déjà sous Jean-Paul II, le directeur de la salle de presse de l’époque, Joaquín Navarro-Valls était le porte-parole direct de son ami le pape plus que des diplomates de la secrétairerie d’État.
Âgé de 59 ans, l’américain Burke a été reporter pour Fox News et correspondant à Rome pour Time magazine, il a été littéralement élevé à la Secrétairerie d’État en vue de le préparer à son futur rôle de porte-parole officiel du Saint-Siège. En 2012, on avait créé sur mesure pour lui une fonction de « senior communication advisor » au sein même de la Secrétairerie et en 2015, on l’avait nommé comme second du P. Federico Lombardi, dont il finira par prendre la place le 1 août 2016 en tant que directeur de la salle de presse, flanquée de l’espagnole García Ovejero comme numéro deux, qui devenait ainsi la première femme nommée à une telle fonction au Vatican.
Officiellement, la salle de presse dépend directement de la Secrétairerie d’État. Il suffit d’ailleurs pour s’en assurer de lire l’article 10 des statuts du dicastère pour la communication, qui sont toujours en vigueur.
Mais bien sûr, il ne devrait plus en être ainsi.
Pendant le synode d’octobre dernier on avait déjà remarqué des signes de changement. Alors que pendant le synode de 2015, ce n’était pas Mgr Viganò, à l’époque préfet du dicastère pour la communication, mais bien le directeur de la salle de presse, le P. Lombardi, qui organisait les briefings quotidiens à la presse sur ce qui s’était passé en séance, à l’occasion du synode de 2018, ce n’est pas Greg Burke, le successeur de Lombardi, qui remplissait cette fonction mais bien Ruffini, le nouveau préfet du dicastère pour la communication. Par ailleurs, ce dernier s’est illustré dans l’art d’éluder pendant presque un mois toute information ou réponse un tant soit peu digne de faire la une, dans un synode, celui sur les jeunes, qui figure déjà parmi les plus inutiles de l’histoire.
Bien entendu, les démissions de Burke et de García Ovejero, dont le travail était jusqu’à présent très apprécié des journalistes accrédités auprès de la salle de presse du Vatican, fait suite au séisme créé le 18 novembre par la défenestration de Vian et la nomination de Tornielli comme boss de tous les médias de communications du Vatican, salle de presse comprise. Tous deux ont vu leur marge d’autonomie réduite au point de les pousser à la démission.
Là aussi sans que la Secrétairerie d’État ne vole à leur secours, comme cela avait déjà eu lieu dans le passé.
Curieusement, pendant ces dix jours de bouleversements majeurs, le cardinal Pietro Parolin était en voyage loin de Rome. D’abord au Mali puis à Tarente dans la plus grande aciérie d’Europe et ensuite en Irak où il a notamment été photographié dans un tunnel souterrain creusé par l’État islamique.
Pendant ce temps, au Vatican, certains sont en train de creuser en-dessous de sa Secrétairerie d’État.
Les trois voyages du cardinal Parolin que nous avons cités ont été organisés avec un agenda similaire à celui d’un voyage papal et ont contribué à le positionner comme étant le seul cardinal en mesure de recueillir assez de voix pour être élu dans un hypothétique prochain conclave, comme l’homme de l’équilibre après un pontificat sous le signe de la confusion.
Mais l’accord fantomatique signé avec Pékin – dont les effets sont jusqu’à présent négatifs pour l’Église catholique – a déjà fait baisser ses chances d’être papabile.
Et à présent, cette nouvelle déconfiture sur le double front de « L’Osservatore Romano » et de la salle de presse qui ont été l’un et l’autre abandonnés au camp adverse par la Secrétairerie d’État, ne plaide certainement pas non plus en sa faveur.
Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.
Commentaires
La crainte des journalistes qui ont été mis à pied par François est que ce pape et son entourage veuillent imprimer un glissement général de l’information du Saint-Siège vers une promotion pure et dure du culte de l’image et de la « pensée » du pontife régnant et de sa garde rapprochée. Bref, passer de la communication à la propagande.
Écrit par : JPSC | 06/01/2019