Réchauffement climatique : la faute aux bébés ? (19/01/2019)

De Joseph Savès sur le site Herodote.net :

Climat : la faute aux bébés ?

Dans un document de 2009, les démographes mandatés par l'ONU (UNFPA) ont identifié la cause du réchauffement climatique qui menace l'humanité. Serait-ce notre frénésie de consommation, qui a épuisé en moins d'un siècle des combustibles fossiles accumulés dans le sous-sol pendant 60 millions d'années ? Pas du tout. Selon nos experts onusiens, la faute en reviendrait principalement aux bébés nés ou à naître, autant de consommateurs-pollueurs en puissance.

En 2017, des scientifiques de l'université de Lund (Suède) récidivent dans une étude publiée dansEnvironmental Research Letters : d'emblée, ils énoncent les quatre mesures les mieux appropriées à leurs yeux pour enrayer le réchauffement climatique, la principale étant de renoncer à avoir un enfant (note)...

Ces rapports et l'écho qu'ils ont reçu dans la bonne presse témoignent pour le moins d'une grande méconnaissance des enjeux démographiques, pour ne rien dire de la bêtise des personnes susmentionnées (note).

Pour faire bref, soulignons d'abord que la bombe P (comme population) annoncée par le prophète Paul Ehrlich en 1968 n'explosera pas. La population mondiale a franchi le seuil du milliard au milieu du XIXe siècle et celui des 6 milliards en 1999. Contre toute apparence, elle est en voie de stabilisation rapide avec un indice de fécondité qui n'est déjà plus que de 2,1 enfants par femme en moyenne (hors Afrique subsaharienne).

Soulignons ensuite que c'est l'american way of life partagé aujourd'hui par un cinquième de la population mondiale qui est tout entier responsable des dérèglements climatiques, du fait d'un usage inconsidéré de l'automobile, de l'avion et des énergies.

Or, de l'Amérique du nord à la mer de Chine en passant par l'Europe, cette population est déjà en voie de diminution et son indice de fécondité varie généralement de 1 à 1,5 enfant par femme. Dès lors qu'à la différence de nos éminents scientifiques cités plus haut, nous élargissons notre réflexion aux enjeux démographiques, nous voyons que la préconisation d'un enfant de moins par femme revient à quasiment annoncer la disparition physique des sociétés et des populations considérées à l'horizon d'une ou deux générations (un demi-siècle).

Faut-il s'en réjouir ? D'ores et déjà, la fécondité très faible des pays développés pose de graves problèmes sociaux (poids des personnes âgées, non-transmission des connaissances etc.). L'immigration ne résout en rien ces problèmes et les aggrave plutôt, du fait que les pays d'accueil ont de moins en moins la capacité humaine d'intégrer et former les nouveaux-venus (on ne peut à la fois demander aux jeunes générations de relayer leurs aînés dans les usines et les entreprises, s'occuper des personnes âgées et assurer la formation des nouveaux arrivants de façon à ce qu'ils puissent un jour prendre leur relève).

Cette fécondité, qui n'assure plus du tout le simple renouvellement des générations, n'est pas elle-même la conséquence d'un choix librement assumé par les couples mais de notre mode de vie : baisse de la fertilité des hommes et des femmes due à la pollution et à l'agro-industrie, stress des transports, pression sociale et chantage à l'emploi sur les travailleurs etc. Les enquêtes d'opinion montrent de façon concordante dans nos pays que les couples ont en général moins d'enfants au final qu'ils n'en auraient souhaité (de l'ordre de 2,3 en moyenne).

Au demeurant, à supposer que les populations riches renoncent complètement à enfanter, les effets sur leur consommation ne commenceront à se faire sentir que dans vingt, trente ou quarante ans. D'ici là, ces populations continueront à consommer tant et plus les ressources de la planète et, qui plus est, elles seront rejointes dans cette frénésie de consommation par les habitants des pays émergents. Or, le changement climatique est déjà en marche et pourrait s'autoentretenir bien avant cette échéance. C'est dès aujourd'hui qu'il importe de renverser la tendance et donc de réformer notre mode de vie.

Au bilan, pour épargner aux futures générations le choc de la crise climatique, faut-il comme Gribouille, qui se jetait dans la rivière pour ne pas être mouillé par la pluie (note ), éradiquer les futures générations ou plutôt réformer notre mode de vie par des choix collectifs courageux ? L'enjeu climatique mérite un examen approfondi et un peu de réflexion... 

La population en voie de stabilisation

En 1969, la Terre comptait 3,6 milliards d'habitants ; 40 ans plus tard, à la date du rapport onusien, elle en comptait 6,8 milliards (+84%) et si nous sautons encore 40 ans, vers 2050 donc, elle en comptera environ 9,4 selon les estimations de l'ONU. Cet accroissement à venir peut sembler important en valeur absolue. Il ne sera que de +38%, soit deux fois moins rapide que dans la période qui est derrière nous.

Sur les 2,6 milliards d'hommes supplémentaires qui peupleront la Terre en 2050, 900 millions seront en Afrique et 1,7 milliard dans le reste du monde, ce qui correspond pour celui-ci à un accroissement de « seulement » 28%.

Les démographes sont à peu près d'accord pour considérer que la population mondiale ne devrait pas dépasser les 10 milliards à la fin du siècle. « Mais c'est 3 milliards de gens en plus qui vont réclamer comme les autres de brûler du pétrole et consommer du steak, disent en substance les rapporteurs de l'ONU. Ne faut-il pas intervenir dès maintenant pour amplifier la baisse de la natalité, en premier lieu dans les pays riches, qui ont le plus d'impact sur l'environnement ? »

Derrière ce bon sens trivial, le rapport de l'ONU véhicule beaucoup de poncifs dans un domaine, la démographie, à la lisière de l'Histoire et de la sociologie. Il méconnaît les « lois » qui guident les comportements individuels et collectifs. À vouloir les ignorer ou les contourner, il prend le risque d'entraîner dans le précipice les décideurs et ceux qui les suivent.

Tandis que ralentit fortement la progression démographique, soulignons-le, la dégradation de l'environnement, les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique connaissent une accélération continue. Plus baisse la fécondité des pays développés, plus ceux-ci tendent à polluer la planète ! Au contraire de ce qu'écrivent les experts onusiens, on a l'impression d'une corrélation négative entre croissance démographique et réchauffement climatique, à rebours du sens commun.

Les peuples inféconds sont aussi ceux qui polluent le plus

Jouissons tant et plus, après nous le déluge !... Tel est le guide de vie des golden boy new-yorkais. À quelques lieues de leurs tours de verre climatisées, la petite communauté des Amish fait, génération après génération, la preuve qu'il est possible de vivre décemment dans un profond respect de l'environnement et avec des familles de huit à dix enfants ! Sans aller jusqu'à ces extrémités, elle démontre qu'il est possible de combiner bien-être, amour de la vie et respect de la nature...

Au sein même des pays développés, le refus d'enfant ou l'absence d'enfant, pour quelque raison que ce soit, n'est pas corrélé à un comportement plus vertueux du point de vue de l'écologie. Tout au contraire, il semblerait que les familles avec enfants polluent en général moins que les célibataires ! Elles se déplacent moins, se montrent plus chiches en matière de consommation, apprennent à leur progéniture à maîtriser leurs désirs, enfin se montrent davantage soucieuses de l'état du monde après leur mort.

Avoir ou non des enfants relève d'un choix individuel ou d'un parcours propre à chacun. Il serait indécent de s'en justifier au nom d'enjeux collectifs qui n'ont rien à voir avec un destin individuel et de vouloir ainsi se donner bonne conscience. Le comble de la bêtise est atteint par des ménages qui renoncent délibérément à engendrer mais vont adopter un enfant en Afrique ou ailleurs pour satisfaire malgré tout leurs besoins affectifs. S'ils élèvent ledit enfant dans le mode de vie occidental, il n'y a évidemment aucun bénéfice pour la planète et le climat.

« Je veux profiter du moment présent, ne pas m'embarrasser de contraintes ni m'interroger sur le sens de ma vie. Je ne veux pas d'enfants... Mais c'est pour la bonne cause, c'est pour sauver la planète ! » dit un tel. C'est souvent aussi la même personne qui s'épuise au travail, pour le plus grand bénéfice du système productiviste qui détruit la planète, et s'enivre dans la consommation : « Je pars en vacances aux antipodes mais c'est encore pour la bonne cause, je participe au "commerce équitable" et, pourquoi pas ? je vais offrir mes bras à des malheureux qui n'attendent que moi pour se doter d'une école ou arranger leur maison »... 

Les pollueurs sont les autos, pas les bébés !

Observons sans y voir de lien causal que les habitants des pays industrialisés sont les plus inféconds et également, de très loin, les principaux pollueurs de la planète. A contrario, les peuples africains sont de loin les plus féconds du monde actuel ; ce sont aussi les seuls dont l'empreinte écologique (contribution au réchauffement climatique) est négligeable.

Cette observation élémentaire nous permet de rappeler que c'est le mode de vie, davantage que le nombre d'enfants, qui détermine l'empreinte écologique.

On voit par là que, derrière ses imprécations malthusiennes, le rapport de l'ONU et l'étude scientifique cachent le secret désir de prolonger envers et contre tout un american way of life fondé sur le gaspillage d'espace et l'énergie bon marché. Ce mode de vie plébiscité par les nouveaux riches d'Europe et d'Extrême-Orient est de toute façon condamné à terme par l'épuisement inéluctable des ressources. Le nombre d'enfants à naître n'y changera rien.

Émissions de CO2 par habitant selon les régions de la planète
grandes régions

Population

(milliards)

enfants

/femme

tonnes

CO2/hab/an

total CO2

(mds t/an)

Monde


Afriques
Moyen-Orient + Asie centrale
Asie du Sud (monde indien)
Sud-Est asiatique
Amérique latine
Pays pauvres

Chine

Extrême-Orient
Amérique du Nord
Europe
Pays riches

transports internationaux
7,6


1,3
0,4
1,9
0,7
0,6
4,9

1,4

0,2
0,4
0,7
1,3
 
2,5


4,6
2,8
2,4
2,3
2,1
3

1,8

1,4
1,8
1,6
1,6
 
4,7


0,5
3
2
3
3
2

10

10
15
7
10
 
38


 
 
 
 
 
10

13

 
 
 
13

2

Le tableau ci-dessus, établi à partir d'estimations officielles récentes (PRB, ONU), met en évidence les contrastes entre 1) des régions très riches, à faible fécondité et très forte « empreinte écologique »(contribution au réchauffement climatique) et 2) des régions pauvres ou très pauvres, à fécondité modérée ou très forte et à très faible empreinte écologique.

  • Les pays plus ou moins pauvres du premier groupe représentent les deux tiers de l'humanité, avec une croissance modérée ou forte. Mais ils contribuent aux émissions de C02 pour un quart tout au plus.
  • La Chine, devenue l'« atelier du monde », est dans une situation intermédiaire : la plus grande partie de sa population vit encore très pauvrement et s'apparente au premier groupe. La population des métropoles riveraines de la mer de Chine et du fleuve Jangze, environ 300 millions de personnes, a déjà atteint un niveau de vie de type occidental et émet pour son compte propre au moins autant de CO2. C'est le cas aussi d'une centaine de millions d'Indiens.
  • Le troisième groupe (Amérique du Nord, Europe, Extrême-Orient...) représente seulement 1,3 milliards d'habitants, soit à peine un sixième de l'humanité. Mais il contribue directement au tiers des émissions de gaz à effet de serre (C02) responsables du réchauffement climatique.

Sa contribution au réchauffement climatique est dans les faits bien supérieure car il faut y ajouter la majeure part des émissions de la Chine et du Sud-Est asiatique ainsi que des transports internationaux (fret maritime et aérien). En effet, si les usines chinoises émettent du CO2, c'est en bonne partie pour fabriquer avec des techniques énergivores (métallurgie des terres rares...) des appareils électroniques comme nos portables ou nos téléviseurs qui contourneront ensuite l'Afrique à destination de nos ports et de nos hypermarchés. Les émissions de CO2 très élevées des pays exportateurs de pétrole sont aussi liées à notre frénésie de consommation.

Retenons de ce qui précède l'absence de lien entre population et climat. C'est notre mode de vie, exceptionnellement énergivore, qui est source du réchauffement climatique en cours. Certes, la croissance démographique très rapide de certaines régions (Afrique subsaharienne) va aussi poser des problèmes sérieux dans les décennies à venir mais ces problèmes seront d'ordre géopolitique et sociaux, pas écologique.

Joseph Savès

08:18 | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer |