Abus dans l'Eglise : le syndrome de Contumeliosus (05/03/2019)

D'Arnaud Join-Lambert (Faculté de théologie de l'Université catholique de Louvain) sur le site du journal La Croix :

Le syndrome de Contumeliosus et les abus dans l’Eglise

Pour tenter de comprendre la gestion calamiteuse des abus sexuels dans l’Église catholique, il est utile de rappeler la situation d’un évêque du VIe siècle dont on ne sait presque rien, mais qui a laissé sa marque dans l’histoire comme un horrible évêque que ses confrères ont dû subir et gérer tant bien que mal. Contumeliosus était évêque de Riez, petit évêché de Provence aujourd’hui disparu. Non seulement il détournait les fonds du diocèse, mais il était dépravé et adultère. Le nom latin qu’il reçut indique son état, « l’outrageant », « l’injurieux », ou les deux. Il était le méchant rêvé et parfait du scénario d’un mauvais film. Lors d’un concile provincial à Marseille en 533, présidé par saint Césaire d’Arles, Contumeliosus, l’outrageant, est condamné à rembourser l’argent volé et à un temps de pénitence dans un monastère. Le plus intéressant pour notre époque de crise ecclésiale actuelle est ce qui suivit. Le pape Jean II conteste le verdict selon lui trop clément et demande le renvoi définitif de l’évêque scandaleux. Après un appel de Contumeliosus, le pape suivant, Agapit Ier, le rétablit dans ses droits après le temps de suspension.

En deux papes, tout est dit de l’impossibilité d’une gestion sereine des mauvais évêques, ou plutôt des « erreurs de casting », ces responsables choisis alors qu’ils n’auraient pas dû l’être. Il est d’abord particulièrement difficile de désavouer son collègue, celui qu’on a choisi et avec qui on travaille. Cette dimension humaine est accentuée en Église, entre des évêques, des pairs unis dans la foi et le don d’eux-mêmes au plus grand service qu’est celui de Dieu en la communauté croyante et célébrante. Le déni et la souffrance profonde ne peuvent que se mêler lorsqu’est révélé le comportement scandaleux d’un des siens. Ceci vaut pour les évêques, mais aussi pour les prêtres. Il est facile de comprendre pourquoi le regard choqué, voire révolté, de l’extérieur, fut indispensable et décisif pour la prise de conscience si tardive de la gravité des abus sexuels commis par des clercs.

Alors que faire ? L’histoire de Contumeliosus nous enseigne que les responsables ecclésiaux ne sont pas préparés à la gestion de telles affaires. Toute situation de pouvoir peut fasciner des individus soit malintentionnés, soit fragiles et aisément corruptibles. La première réponse, une fois que le mal est fait, est collective et par les pairs. Le concile provincial de Marseille a jugé le mouton noir en son sein, sans rien cacher de ses turpitudes, qu’il a lui-même reconnues. Aujourd’hui, on peut légitimement se demander pourquoi il faut attendre les sanctions de Rome. Le retour à l’état laïc pourrait être décidé localement, et sans limite de prescription canonique. Il faudrait ici réviser le droit canon, laissant à Rome la fonction de seconde instance en appel.

Et les papes ? Jean II et Agapit Ier prirent des options différentes, le premier en fonction du mal commis, le second selon les droits de la défense. Pourtant nous ne sommes pas dans le monde de la justice humaine. En toute victime, c’est le Christ qui est abusé, violé, tué. Mais lorsque l’agresseur est un homme qui, par le sacrement de l’ordination qu’il a reçu, agit en la personne du Christ (sacrements, gouvernance), la situation mérite les plus fortes sanctions et le plus rapidement. Voyons concrètement ce syndrome de Contumeliosus. Le retour à l’état laïc de deux évêques chiliens en septembre inscrit le pape François dans la ligne de Jean II, ainsi que la récente sanction la plus forte de l’ex-cardinal McCarrick. Mais ailleurs, on peut se demander pourquoi l’ancien évêque de Bruges, condamné pour inceste et démissionnaire forcé, coule les jours heureux d’une « pénitence » discrète avec sa pension aux frais de l’État belge. Les autres évêques belges demandent pourtant son retour à l’état laïc. Les victimes de l’évêque démissionnaire de Guam ne se réjouissent certainement pas qu’il puisse continuer à célébrer l’eucharistie. Ces deux exemples manifestent une continuité de la ligne d’Agapit Ier. Aujourd’hui, il en va de la survie de l’Église catholique de prendre en tout le parti des victimes.

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