Sur l'actualité récente de l'Eglise et les principes de la morale catholique (12/03/2019)

L'abbé Guillaume de Tanoüarn s'exprime sur l'actualité récente de l'Eglise et les principes de la morale catholique :

Un entretien paru dans Présent

Je republie ici, avec l'accord bienveillant du Quotidien Présent, l'entretien qu'il a publié lundi dernier (4 mars 2019), sur l'actualité récente de l'Eglise et les principes de la morale catholique .


Anne Le Pape : Le film d’Ozon, Grâce à Dieu, sortant alors que le procès du père Preynat n’est pas terminé, la sortie du livre Sodoma de Martel : des éléments de nature différente (nous y reviendrons), mais ne doit-on pas noter cette convergence ?
Guillaume de Tanoüarn : Si vous voulez parler d’un complot contre l’Eglise, je ne crois pas qu’il n’y en ait qu’un. Frédéric Martel a tenu à faire paraître son livre, Sodoma (comprenez : Sodome à Rome) au moment où s’ouvrait à Rome le sommet contre les abus sexuels sur mineurs, avec les présidents des conférences épiscopales françaises. Quant à François Ozon, il avait pour son film Grâce à Dieu une fenêtre de tir avant le rendu des jugements concernant le cardinal Barbarin (pour non-dénonciation) et surtout le Père Preynat (pour agressions sexuelles en série). La convergence entre les deux agendas, celui du film et celui du livre, me paraît, elle absolument fortuite. Mais elle marque un trop plein. Je pense que les désordres sexuels ont fleuri depuis que ce que j’ai appelé jadis la religion de Vatican II prêche l’Evangile selon Polnareff : Nous irons tous au paradis. La question du pardon divin est fondamentale et magnifique. Mais on détruit la doctrine de la miséricorde et on tombe dans le laxisme quand on rend le pardon divin automatique.
Anne Le Pape : « De nature différente », a-t-on dit : le film dénonçant les abus sexuels, l’autre l’hypocrisie de l’Eglise qui devrait ne plus condamner l’homosexualité. Le but est-il le même, fragiliser l’Eglise (malgré les dénégations répétées des auteurs) ?
Guillaume de Tanoüarn : Je pense qu’il y a dans le film comme dans le livre, et je dirais dans le film plus encore que dans le livre, une sorte de militantisme athée, qui en limite la portée. En Ozon et en Martel, il nous faut voir d’abord des artistes engagés, qui veulent à tout prix crédibiliser cet agnosticisme, qui constitue aujourd’hui, dans le vaste domaine de la mondialisation, en Chine, aux Etats unis et en Europe, comme une anti-religion d’Etat. Mais je n’ai jamais cru à l’art pour l’art. Le fait d’être des artistes engagés n’interdit pas que l’on puisse, avec cet engagement même, faire un bon film ou un bon livre. Ainsi Sodoma est l’un des rares essais de ce calibre (630 pages) qui se lise aisément. Cela peut ne pas nous plaire mais il y a une écriture. Quand Martel nous raconte sa visite manquée au cardinal Burke, et son expédition dans ses toilettes, on ne peut s’empêcher de sourire, même si Martel n’a pas l’ombre d’un vrai grief à faire valoir contre le pauvre cardinal, auquel il reproche simplement d’être un conservateur et de trop aimer l’apparat dans lequel, comme cardinal, il vit.

Anne Le Pape: Que pensez-vous de l’analyse d’Hubert de Torcy sur le film d’Ozon ?

Guillaume de Tanoüarn: Hubert de Torcy reproche à Ozon de n’avoir pas saisi dans toutes ses dimensions le drame de conscience du cardinal. C’est vrai qu’il n’en juge qu’à travers les apparences, en reconstruisant son personnage (l’acteur François Marthuret fait un travail formidable en le rendant crédible sous les oripeaux du hiérarque cauteleux, qui ne serait vraiment soucieux que du fonctionnement de l’institution. Hubert de Torcy a raison de dire que nous sommes là à mille lieues du personnage réel. Mais s’il n’y avait pas la dimension militante de ce film, par exemple la volonté du cinéaste de peser sur le procès, on pourrait dire qu’une telle reconstitution relève des libertés du créateur artistique. Lorsque Sartre écrit Le diable et le bon Dieu, il commet une grande pièce, même si l’on n’est pas d’accord avec ses conclusions. Je dirais la même chose, chacun dans son ordre, pour nos deux artistes.
Anne Le Pape: La dénonciation de l’homosexualité de certains hommes d’Eglise n’est pas nouvelle. En quoi ce livre franchit-il un seuil ?
Guillaume de Tanoüarn : Parce que, même s’il n’est pas objectif, il signe la première véritable enquête sur le sujet et que son enquête se lit souvent comme un roman, même si hélas elle n’en est pas un.
Anne Le Pape :  Jean-Marie Guénois, s’il reconnaît dans Le Figaro le sérieux du travail de Martel, souligne qu’il majore ses conclusions et oublie la doctrine de l’Eglise. Est-ce votre avis ?
Guillaume de Tanoüarn : Si Frédéric Martel majore ses conclusions, c’est pour deux raisons bien identifiables dès le début : il est manifestement payé (au propre ou au figuré) pour charger tous les conservateurs qui passent à la portée de son gaydar (le radar gay, censé identifier les personnes homosexuelles). Mais (deuxième raison), il arrive que le gaydar s’emballe et laisse la place à des enthousiasmes immaîtrisés de vieille folle, pas encore blasée, cela en particulier lorsqu’il parle liturgie. J’ai regardé sur you tube ce qu’il appelle lui-même « la messe félinienne » au cours de laquelle le pape Ratzinger a ordonné évêque son secrétaire Geinswain. Il s’agit d’une messe de Paul VI un peu solennelle, au cours de laquelle on remarque l’extrême qualité des chœurs, plutôt que le nombre (tout à fait raisonnable en fait) des dentelles. Devant un tel spectacle, pas possible de lui faire entendre raison : le gaydar de Martel s’emballe. Pas possible de lui faire entendre raison : Martel aime ça et il en parle… comme un gay… avec chaleur.  C’est amusant le gaydar, mais le problème concrètement est dans la distinction qu’opère Martel entre homophiles et homosexuels. Les homophiles seraient des homosexuels non pratiquants, mais qui auraient gardé une tendance. Il faut dire que Martel en voit partout, jusqu’à mettre en cause plusieurs papes récents. On arrive là à la limite de sa tentative. Il y a des choses qui se disent (verba volant), mais qui ne s’écrivent pas, tout simplement parce que ce sont de pures conjectures, qui, en l’absence de preuves, ne cerneront jamais qu’un aspect – souvent bien ténu - de la réalité.
Anne Le Pape : Martel a rencontré des informateurs complaisants. N’est-ce pas un trait de la modernité, on se répand, on se raconte ?
Guillaume de Tanoüarn : Il me semble au contraire que c’est une des grandes qualités de son livre : on y est. Il faut parfois effleurer beaucoup de sujets avant de réussir à brancher un cardinal sur l’homosexualité…
Anne Le Pape : Que pensez-vous du rôle de Maritain selon Martel ?
Guillaume de Tanoüarn : Martel parle du Code Maritain. C’est un signe de reconnaissance que s’envoyaient des homophiles (voir question précédente), décidés à vivre dans la chasteté parfaite cette tendance mal sonnante. Quand on lit dans le journal de Julien Green le récit de sa première rencontre avec Maritain (« Il me regarda de ses grands yeux bleus profond… » etc.), on se dit que manifestement, entre eux, le message est passé. Frédéric Martel émet une hypothèse : la pureté sans faille des homosexuels catholiques (selon lesquels la moindre pulsion est « hors nature ») a servi de modèle à la morale catholique post-conciliaire, celle que développent Paul VI, puis Jean-Paul II.
Anne Le Pape : Le but de Martel, selon Roberto de Mattei, est « d’abattre la Bastille de la morale catholique ». Le pensez-vous ?

Guillaume de Tanoüarn : Quelle Bastille ? Celle qu’a érigée Paul VI, en mettant la contraception et l’avortement sur le même plan dans Humanae vitae, qu’il publie – cela ne s’invente pas – en mai 68 ? Peut-être. La vraie morale, on ne la détruit pas comme ça : elle est dans les cœurs. Que trouve-t-on dans nos cœurs ? Jusqu’à Vatican II tous les prêtres et tous les fidèles catholiques croyaient au péché originel. A partir de Dignitatis humanae (1965), qui enseigne que toute conscience va d’elle-même à la vérité absolue, on ne peut plus y croire, que comme à un concept purement rhétorique. Le fait est, du coup, que la morale postconciliaire, telle qu’elle ressort des textes, est une morale rigoriste, une morale sans le péché originel, qui repose, elle, entièrement sur le droit naturel, c’est-à-dire sur l’idée d’homme telle qu’elle sort de la pensée divine… On oublie que le droit naturel renvoie à une vérité contraire, celle de la nature déchue et du péché originel. C’est comme l’enseignement sexuel de Jean-Paul II : peut-il exister une sexualité parfaite et normative entre homme et femme ? La sexualité peut-elle – bien comprise – servir de fondement ? Je ne le crois pas : depuis le péché originel, il n’y a pas de sexualité bien comprise. La sexualité n’est donc pas un fondement. Juste un moteur. Pour que le moteur nous emmène dans la bonne direction, il importe que nous ne quittions jamais le volant, c’est-à-dire que nous vivions, ou au moins que nous voulions vivre dans la grâce de Dieu.

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