Poursuite de la controverse sur les enseignements dogmatiques de Vatican II (03/04/2019)

Sur la « possibilité de salut offerte à tous » de M. Dumouch.

Nous avons reçu un commentaire de M. Dumouch à notre article précédent, portant sur la question de la « possibilité de salut offerte à tous » qu’il pense voir affirmée dans Vatican II (cf. ses « 9 propositions »). Etant donné la longueur de notre réponse, nous ne pouvions la publier dans un simple commentaire. C’est pourquoi nous avons souhaité publier notre réponse sous le format d’un article.

Le lecteur trouvera, en italique et en vert, le texte du commentaire de M. Dumouch à notre article, et en-dessous de chaque paragraphe, notre commentaire.

Cher Léon de saint Thomas,

Si on suit les deux critères de l'Abbé Lucien pour qu’il y ait infaillibilité dans un acte du Magistère universel, alors la décision fondamentale du premier Concile œcuménique, celui de Jérusalem (voir Actes 15, 28 qui établit que les préceptes de la loi Mosaïque n'ont plus à être accomplis car le Christ les a accomplis, n'est pas une décision infaillible et engageant l'Eglise universelle...

Les critères de distinction d’un acte infaillible du Magistère s’appliquent à un acte du Magistère et non à l’Écriture Sainte.

En effet : le premier critère n'est pas accompli : la formulation est floue et non posée pour elle-même de manière précise. Lisez : "Actes 15, 28 L'Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas vous imposer d'autres charges"

Ah oui ? Lesquelles ne sont plus imposées ? La circoncision ? Les dix commandements ? Le Sabbat ? Les images ? Bref, on peut ergoter.

Je crois que les critères de l'Abbé Lucien ne sont pas valables pour lire les décisions doctrinales du Concile De Jérusalem et du Concile Vatican II. Ce dernier concile fait autre chose en matière de formulation.

Libre à vous de mettre au même niveau un texte de l’Écriture Sainte et les textes du concile Vatican II. Les Actes des Apôtres ne sont pas un acte du Magistère, mais la Parole de Dieu consignée par écrit. Ce n’est pas la même chose (cf. Dei Verbum n°10, distinction entre Tradition, Écriture et Magistère).

[Addendum : d’ailleurs, il ne suffit pas de dire « je crois que les critères de l’Abbé Lucien ne sont pas valables (…) ». S’ils ne sont pas valables, il faut le montrer avec des arguments.]

Il faut simplement regarder ceci : "Où voit-t-on, dans ce Concile œcuménique, une doctrine universelle du salut ? "

Qu’il y ait une « doctrine universelle du salut » dans Gaudium et Spes 22, 5, je le concède. Que cette doctrine implique un salut universel de fait, réalisé ou à réaliser, je le nie (cf. ma réponse à la proposition n°6).

 

D'autre part, notez qu'un dogme n'est pas une "nouveauté". C'est juste l'affirmation par le Magistère d'une chose ancienne, présente dans la Tradition et/ou dans l'Ecriture.

1° Le texte de Gaudium et Spes que vous alléguez ne correspond pas à une promulgation formelle d’un dogme.

2° Concernant l’évolution du dogme : qu’il puisse y avoir nouveauté dans la formulation, l’explicitation du contenu révélé, je le concède. Qu’il puisse y avoir nouveauté dans le contenu ou le sens du contenu révélé (sachant que la Révélation est close à la mort du dernier Apôtre), je le nie. Conformément au concile Vatican I : « le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé à perpétuité est celui que notre Mère la sainte L'Eglise a présenté une fois pour toutes et jamais il n'est loisible de s'en écarter sous le prétexte ou au nom d'une compréhension plus poussée » (DS 3020 ; et 3043)[1].

Du coup, dire que Gaudium et Spes 22, 5 n'est pas nouveau est évident.

1° Je le concède, puisque j’ai montré que la doctrine de la possibilité de salut offerte à tous est déjà présente dans le Magistère antérieur (cf. ma réponse à la proposition n°6).

2° Cependant il semble évident que vous donnez à la proposition « possibilité de salut offerte à tous » un sens qui est différent de l’Écriture, de la Tradition et du Magistère.

C'est la base du Nouveau Testament : "Le salut sera proposé à tout homme".

Le « proposé » a un sens obvie évident dans ce contexte : l’absence de nécessité. On peut toujours refuser quelque chose de proposé. Et de fait il y a des gens qui refusent le salut proposé (cf. ma réponse à la proposition n°6).

Cependant, cette affirmation solennelle était indispensable car elle a permis de sortir de la théorie scolastique des centaines de millions d'enfants morts sans baptême et séparés de Dieu pour l'éternité (voir les décisions de Benoît XVI en 2007 sur l'éternité des limbes).

1° En quoi cette affirmation (qui a peut-être la solennité d’un texte conciliaire, mais n’a pas la solennité d’une déclaration engageant l’infaillibilité) est-elle « indispensable » ? Pour nier la distinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel de la grâce (et donc de la vision béatifique), qui est gratuit et non dû, et aller par le fait même contre l’enseignement de l’Eglise ?[2]

2° Le texte de la Commission Théologique internationale (CTI) de 2007 n’a pas valeur de Magistère même authentique. Cette commission n’a qu’une fonction consultative. Par contre, si la doctrine des Limbes n’est pas de foi définie, elle a été soutenue par Pie VI (DS 2626)[3]. Si l’on tient, et il faut tenir la gratuité du surnaturel, de deux choses l’une : soit ceux qui meurent avec le seul péché originel (cas des enfants morts sans baptême) vont simpliciter en enfer et souffrent non seulement la peine du dam mais celle du feu, soit on tient avec la tradition catholique qu’ils vont dans un lieu appelé les Limbes, où ils ne souffrent que de la peine du dam.

3° La Congrégation pour la Doctrine de la Foi a en outre réaffirmé la doctrine traditionnelle de l’Eglise (Instruction Pastoralis Actio, 20 octobre 1980)[4]. Et le même texte de la CTI rappelle au n°79 : « Il faut clairement reconnaître que l'Église n'a pas une connaissance certaine au sujet du salut des enfants non baptisés qui meurent. Elle connaît et célèbre la gloire des saints Innocents, mais le sort général des enfants qui meurent sans baptême ne nous a pas été révélé, et l'Église n'enseigne et ne juge qu'en ce qui concerne ce qui a été révélé (…) »

4° Ce qui nous amène à la question : comment expliquez-vous la vérité révélée de la nécessité du baptême pour être sauvé, même pour les petits enfants ? Cette nécessité est enseignée :

  1. a) par l’Écriture : Jn 3, 5 (Jésus répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, aucun homme, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit-Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu»), Mt 28, 19 ; Mc 16, 16 ; Ac 2, 37-38.
  2. b) par les Pères : Tertullien (De baptismo), St Cyprien, St Cyrille de Jérusalem (Catéchèses), St Jean Chrysostome ( 3 sur Philippiens), St Ambroise (de Abraham), etc.
  3. c) par le Magistère : Concile de Carthage (XV ou XVI) (DS 223-224), 2e concile de Latran (DS 718), concile de Florence (DS 1349)[5], concile de Trente (DS 1514, 1524, 1529, 1618 : « Si quelqu'un dit que le baptême est libre, c'est-à-dire n'est pas nécessaire pour le salut : qu'il soit anathème»), St Pie X, décret Lamentabili, 42e proposition moderniste condamnée[6].
  4. d) Saint Thomas : « pour [les enfants] il n'y a pas d'autre remède que le sacrement de baptême» (ST 3, q. 68, a. 3, c.)

Nous concédons qu’il reste possible que Dieu, par mode d’exception, sauve certains enfants non baptisés. Mais il n’existe aucune certitude à ce sujet.

5° De deux choses l’une. Soit l’Écriture, les Pères et tous les enseignements magistériels avant vous ont raison, et vous avez tort. Soit vous avez raison, et tous ces enseignements ont tort, parce que les contradictoires ne peuvent être vrais en même temps. Je prends le parti de suivre l’Écriture, les Pères et le Magistère[7].

Léon de Saint-Thomas

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[1] « Si quelqu'un dit qu'il est possible que les dogmes proposés par l'Eglise se voient donner parfois, par suite du progrès de la science, un sens différent de celui que l'Eglise a compris et comprend encore, qu'il soit anathème ».

[2] Saint Pie V, Bulle Ex omnibus afflictionibus, 1er octobre 1567 (DS 1921). Proposition condamnée : « l’élévation au surnaturel est due à la nature » ; Vatican I (DS 3015) : « L'Eglise catholique a toujours tenu et tient encore qu'il existe deux ordres de connaissance, distincts non seulement par leur principe, mais aussi par leur objet. Par leur principe, puisque dans l'un c'est par la raison naturelle et dans l'autre par la foi divine que nous connaissons. Par leur objet, parce que, outre les vérités que la raison naturelle peut atteindre, nous sont proposés à croire les mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus s'ils ne sont divinement révélés ».

[3] « La doctrine qui rejette comme une fable pélagienne ce lieu des enfers (que les fidèles appellent communément les limbes des enfants) dans lequel les âmes de ceux qui sont morts avec la seule faute originelle sont punis de la peine du dam, sans la peine du feu, comme si ceux qui écartent la peine du feu introduisaient par là ce lieu et cet état intermédiaire, sans faute et sans peine, entre le Royaume de Dieu et la damnation éternelle dont fabulaient les pélagiens, (est) fausse, téméraire, injurieuse pour les écoles catholiques ».

[4] « Ainsi, par sa doctrine et sa pratique, l’Église a montré qu’elle ne connaît pas d’autre moyen que le baptême pour assurer aux petits enfants l’entrée dans la béatitude éternelle… » (n°13).

[5] « Au sujet des enfants, en raison du péril de mort qui peut souvent se rencontrer, comme il n'est pas possible de leur porter secours par un autre remède que par le sacrement du baptême, par lequel ils sont arrachés à la domination du diable et sont adoptés comme enfants de Dieu (…) »

[6] « La communauté chrétienne a introduit la nécessité du baptême, en l'adoptant comme un rite nécessaire et en y joignant les obligations de la profession chrétienne » (nous rappelons que c’est une proposition condamnée).

[7] Pour approfondir la question des fins dernières, des Limbes et du salut universel, on consultera avec utilité les articles du Dossier sur les fins dernières du n°142 (décembre 2017) de la revue Sedes sapientiae.

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