"Christus vivit" : un rejet de la doctrine et de la morale ? (07/04/2019)

D'Aldo Maria Valli en traduction française sur le site "Benoît et moi" :

"CHRISTUS VIVIT" ET CETTE AVERSION INSIDIEUSE POUR LA DOCTRINE

De l'exhortation post synodale Christus vivit, dédiée "aux jeunes et à tout le peuple de Dieu", émerge un aspect: l'aversion, de la part de celui qui a rédigé le document, pour le contenu doctrinal et moral.

Il suffit de lire ici : «Concernant la croissance, je veux faire une mise en garde importante. Dans certains endroits, il arrive que, après avoir suscité chez les jeunes une expérience intense de Dieu, une rencontre avec Jésus qui a touché leur cœur, on leur offre ensuite seulement des réunions de "formation" où sont uniquement abordées des questions doctrinales et morales : sur les maux du monde actuel, sur l’Eglise, sur la Doctrine sociale, sur la chasteté, sur le mariage, sur le contrôle de la natalité et sur d’autres thèmes. Le résultat est que beaucoup de jeunes s’ennuient, perdent le feu de la rencontre avec le Christ et la joie de le suivre, beaucoup abandonnent le chemin et d’autres deviennent tristes et négatifs. Calmons l’obsession de transmettre une accumulation de contenus doctrinaux, et avant tout essayons de susciter et d’enraciner les grandes expériences qui soutiennent la vie chrétienne. Comme l’a dit Romano Guardini: "dans l’expérience d’un grand amour […] tout ce qui se passe devient un évènement relevant de son domaine"» [n. 212].

Ce passage est significatif parce qu'il montre que le document a été écrit non pas tant en tenant compte des besoins et des exigences des jeunes d'aujourd'hui, mais sur la base des idiosyncrasies de certains anciens jeunes, aujourd'hui âgés, liés à l'idée que "les questions doctrinales et morales" ne comptent pas et ne font qu'ennuyer.

Ceux qui travaillent avec les jeunes savent qu'à notre époque, le problème n'est pas d'offrir des "expériences intenses" et des occasions de rencontres fortes d'un point de vue émotionnel. Ils peuvent en trouver partout parce que le monde les offre en abondance. Ce que les jeunes demandent, peut-être d'une manière confuse mais non moins évidente, c'est le contraire. Puisqu'ils vivent dans une société "liquide", pleine d'expériences possibles mais sans repères moraux et sans sens rationnel, ils ont soif de doctrine, de pensée structurée, de contenu, de règles, et quand ils trouvent quelqu'un qui puisse satisfaire leur soif, ils ne s'ennuient pas du tout, mais sont reconnaissants, car ils découvrent de nouveaux horizons, dont on ne leur a jamais parlé. Et ils découvrent la valeur de l'autorité.

Écoutez ce qu'un éducateur catholique m'écrit: «Dans mon expérience de plusieurs décennies de travail avec les jeunes d'abord du lycée, puis les étudiants et les travailleurs, j'ai fait l'expérience du contraire de ce que Christus vivit prétend. J'ai été témoin de la demande de la part des jeunes d'être aidés pour porter un jugement sur des questions dont l'école, l'université et d'autres endroits ne parlent pas. Mais quels jeunes ont écouté les évêques et le pape pour en arriver à des affirmations de ce genre?»

Mon ami Andrea Mondinelli propose de comparer le passage cité par Christus vivit avec le magistère exprimé par saint Pie X dans Acerbo nimis, où est affirmée l'essentialité de la doctrine, parce que «l'intellect, s'il lui manque la vraie lumière, c'est-à-dire la connaissance des choses divines, sera comme un aveugle qui prête son bras à un autre aveugle, et ils tomberont dans la fosse tous les deux».

C'est comme cela. Et seule une vision idéologique de la réalité peut soutenir que le problème, aujourd'hui, est «de calmer l'anxiété de transmettre une grande quantité de contenus doctrinaux».
Ces expressions, ce sont les soixante-huitards qui les utilisaient quand ils s'en prenaient au notionnisme [i.e. la connaissance basée sur un ensemble de notions, pour la plupart superficielles et déconnectées] et contestaient tout type d'autorité. Mais aujourd'hui, elles semblent anachroniques.
La méfiance, pour ne pas dire l'hostilité, envers la doctrine et les normes morales émerge en d'autres points de Christus vivit. Comme quand elle met en garde contre le risque d'«étouffer» [écraser, dans la traduction officielle] les jeunes «avec un ensemble de règles qui donnent du christianisme une image réductrice et moralisante» [n. 233]. Etouffer? Mais si c'était justement le manque de directives morales (les éducateurs le savent bien) qui conduit la personne au déséquilibre intérieur et au malheur?

Méprisante envers la doctrine et la morale, Christus vivit soutient à un moment donné la nécessité d'une pastorale «synodale» et «populaire» de la jeunesse. Des étiquettes qui utilisent des adjectifs en vogue, mais qui ne disent pas grand-chose. Et même qui ne disent rien.

Bien différents sont le ton et le contenu de Fides et ratio de Jean-Paul II, là où il explique que pour promouvoir à la fois la dignité de chaque être humain et l'annonce du message évangélique, il est urgent «d'amener les hommes à la découverte de leur capacité à connaître le vrai et de leur aspiration à un sens ultime et définitif de l'existence» [n.102].

Connaître le vrai et le beau, donner un sens à la vie. C'est cela, la grande soif des jeunes. Il faut une pensée philosophique orientée dans un sens authentiquement chrétien. Il faut fonder une nouvelle alliance entre la raison humaine et la parole divine, comme Benoît XVI n'a jamais cessé de l'enseigner.

On peut douter que «les pastorales synodales», quelle que soit le sens de ces fumeuses expressions bureaucratico-cléricales, puissent contribuer à rapprocher les jeunes de Dieu.

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