Catherine Dopchie (oncologue) : "L’ambiance euthanasique nous pousse à céder à la peur et « l’à quoi bon »" (06/06/2019)

Du site "Le quotidien du médecin.fr" :

Le point de vue du Dr Catherine Dopchie L’ambiance euthanasique nous pousse à céder à la peur et « l’à quoi bon »

03.06.2019

Cette oncologue, responsable d'une unité de soins palliatifs à Tournai refuse de pratiquer des euthanasies comme la loi de son pays le lui permet. Elle explique pourquoi et estime que la nouvelle législation a modifié la perception de la fin de vie en Belgique.

Cathy Dopchie

L’ambiance euthanasique nous pousse à céder à la peur et « l’à quoi bon »

« Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours ». Le médecin œuvre pour le bien-être physique, psychologique, social et spirituel du malade avec détermination, persévérance, humilité et patience. Il est bien placé pour être acteur et témoin de l’évolution d’une société. C’est pourquoi je dis, avec d’autres soignants (1), que le modèle belge n’est pas la solution pour la fin de vie.

L’impasse thérapeutique est un moteur pour la recherche, pour le don de soi. Or, un collègue, pour échapper à sa peur anticipatoire de ne pas pouvoir soulager une souffrance qui pourrait être vécue par sa patiente, s’apprêtait à aller à l’encontre de sa conscience en prescrivant des morphiniques à visée létale. L’ambiance euthanasique, modifiant l’échelle des valeurs, nous pousse à céder à la peur et « l’à quoi bon » qui coupe les ailes. Beaucoup de soignants n’ont pas acquis ou perdent leur expertise auprès des grands souffrants au lieu de l’améliorer et leur seuil de tolérance, tout comme celui des citoyens, ne fait que chuter. L’euthanasie tue l’imagination thérapeutique.

Être médecin, c’est s’adresser avec ses compétences spécifiques à la personne malade dans la globalité de sa souffrance. C’est œuvrer pour que la vie qui nous habite puisse circuler en nous et entre nous, tissant ce lien d’humanité qui nous relie. Ainsi, ensemble, nous pouvons remobiliser, faire évoluer, guérir ce qui peut l’être dans le corps et la psyché, dépasser les pertes et réorienter les attentes. Madame F. souffre de relire sa vie comme celle d’une femme enfermée dans une cage dorée de pouvoir et d’argent. Entourée de soignants attentifs et de proches qui l’aiment, elle choisit la mort plutôt que de s’investir dans un autre vécu auquel son cœur profond aspire tant. L’euthanasie avorte l’accomplissement humain.

Que reste-t-il de la relation thérapeutique ?

Que veut dire aujourd’hui la promesse hippocratique d’être là jusqu’au bout ? Face à l’incontournable finitude, le malade peut accéder à une vie transformée et la faire sienne, pour retrouver son unité qui l’ouvre à une guérison intérieure. Avec nous Madame S. a appris à recevoir en plus de donner, à accueillir ce qui advient et non le dénier, cela a été vivifiant et salutaire pour elle, pour les siens, pour les soignants. Comme un roseau qui plie mais ne rompt point, elle a déployé sa personnalité et fait un pied de nez à la mort qui voulait l’écraser. On veut nous faire croire que c’est de promettre l’euthanasie qui donne le courage de lutter. Pourtant, la société humaine ne peut s’appuyer et rester solide qu’au travers du paradigme médical humaniste qui respecte l’être humain simplement parce qu’il est tel, indépendamment de tout. L’euthanasie n’est pas fruit d’une autonomie responsable et libre mais acte désespéré de deux personnes piégées par l’impuissance.

Que reste-t-il de la relation thérapeutique ? Madame S., dont nous prenons soin avec bienveillance et respect, s’assure, à notre insu, que l’oncologue vienne l’euthanasier. Monsieur V. débarque avec ses valises pour organiser son euthanasie et se met en colère quand son fils et moi objectons à son projet. La loi n’exige pas que le médecin connaisse la personne qu’il va euthanasier, mais qu’il vérifie si elle fait partie du groupe « euthanasiable sans poursuite ». Le médecin n’est plus que l’instrument d’une volonté désincarnée. L’euthanasie transforme alliance en contrat de droits respectifs.

L'euthanasie réduit la médecine

Madame V. est effondrée. En lui annonçant son cancer ORL, on lui a proposé radiothérapie-chimiothérapie ou euthanasie. L’éthique actuelle voudrait imposer l’euthanasie comme une simple option dans la planification anticipée des soins, non plus comme une transgression. En situation de fragilisation extrême certains malades sont objectivés par une idéologie macabre. On les présente comme des spectres à éliminer car ils remettent en cause l’utopie de la vie idéale sans souffrance, contredite par notre vécu dans la chair.

Mais le médecin peut-il se retirer pour ne plus laisser que son agir quand il n’a plus que son humanité à mettre au service de celui qui souffre ? Pris au piège d’une idolâtrie qui le veut sauveur tout-puissant, peut-il se faire instrument d’une volonté et abandonner la finalité thérapeutique du prendre soin de l’Homme tel qu’il est pour tendre vers une promesse d’amélioration de la condition humaine, conçue comme un idéal subjectif, détaché du réel, libéré de toute dépendance, de toute référence commune ? Cette recherche de maîtrise absolue nie la finitude inscrite dans l’homme et nie l’homme en tant qu’être relié, et ne peut que sacrifier l’homme fragilisé en faveur d’une image idéalisée et abstraite.

L’euthanasie réduit la médecine à résoudre des problèmes, au lieu de s’intéresser à la personne qui souffre. L’euthanasie reste une tentation à laquelle il est juste et bon de résister.

[1] «Euthanasie : l'envers du décor. Témoignages de soignants», Parution 30/05/2019, Editions MOLS Collection(s) : Autres regards

Dr Catherine Dopchie, 
Oncologue, 
Tournai

Source : Le Quotidien du médecin n°9754

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