Et si l'on évoquait le négationnisme de gauche ? (07/06/2019)

Du site de la Nef (Christophe Geffroy) :

Le négationnisme de gauche

Thierry Wolton, essayiste et historien, a consacré une grande part de son travail de recherche à étudier le communisme et en dénoncer la perversité.

La Nef – Comment définissez-vous le « négationnisme de gauche » et quelles sont ses particularités par rapport à celui de « droite » ?

Thierry Wolton – Le négationnisme est un déni des faits avérés, reconnus, de l’histoire. Le terme est apparu dans les années 1970 quand de prétendus chercheurs ont commencé à nier l’ampleur de la Shoah et à contester les méthodes utilisées par les nazis pour l’extermination en masse des Juifs. Le même type de négation existe de nos jours par rapport à l’histoire du communisme, qu’il s’agisse du nombre des victimes ou des moyens employés pour liquider ceux qui gênaient les pouvoirs en place. Parler de négationnisme de gauche permet de distinguer ces deux types de négation bien qu’ils soient similaires : l’objet de la négation est différent, mais les méthodes utilisées par les deux « camps » sont les mêmes. Mauvaise foi, trucages des faits et des chiffres, relativisme qui consiste à exonérer les crimes en question en accusant d’autres d’avoir fait pire, voilà quelques-uns des moyens utilisés par tous les négationnistes, de droite comme de gauche.

Pourquoi une telle dissymétrie entre le négationnisme de droite et celui de gauche ?

Cela tient en premier lieu à l’aveuglement dont a bénéficié le communisme tout au long du XXe siècle. Le négationnisme de gauche en est l’héritage. Le rapport à l’histoire n’est pas le même non plus. Le nazisme a été vaincu et jugé par la communauté internationale après la guerre, le communisme s’est effondré de lui-même et n’a fait l’objet d’aucun jugement, fut-il moral. Il y a aussi un facteur idéologique. Le nazisme était une doctrine d’exclusion – le peuple élu d’un côté, tous les autres peuples de l’autre –, quand le communisme se veut rassembleur au nom de l’égalité, et qu’il propose d’emmener l’humanité entière vers un paradis sans État, sans classe sociale, sans exploitation. Cela parle à tout le monde. Difficile de condamner cette espérance, pis d’admettre qu’il s’agit d’une utopie meurtrière comme l’a montré sa mise en pratique. On pardonne alors à ceux qui veulent sauver l’idéologie en trichant sur le bilan. Pourtant, l’idéologie c’est le bilan, les deux ne peuvent être séparés, à moins d’être négationniste justement. Peut-on distinguer le national-socialisme d’Auschwitz ? Non, alors pourquoi vouloir exonérer le communisme du Goulag, des déportations de masse, des famines exterminatrices ?

Pourquoi est-il important de rétablir la balance et dénoncer le négationnisme de gauche ?

La diabolisation méritée et nécessaire du nazisme a malheureusement été instrumentalisée par les communistes après 1945 pour masquer leurs propres forfaits. Autant qu’une question de morale, la reconnaissance des crimes communistes, à l’instar des crimes nazis justement, est une nécessité politique. Il est capital de comprendre pourquoi et comment une idéologie d’espérance a conduit à pareille catastrophe humaine, pour en éviter la répétition. De plus, le voile qui recouvre toujours ces crimes nous empêche de comprendre notre époque. L’histoire étant un perpétuel continuum, nous vivons en ce début du XXIe siècle à l’heure du post-communisme même si nous avons radicalement changé d’époque. Comment voulez-vous comprendre la vague populiste en Europe de l’Est, la politique menée par la Russie de Poutine, ou plus grave, l’expansionnisme naissant de la Chine de Xi Jinping si on escamote cette histoire ? Le communisme et le nazisme ont été deux maux absolus, il est d’autant plus vital de l’admettre qu’il existe toujours des pays communistes.

Vous avez un dernier chapitre passionnant sur « la convergence des négationnismes » où vous montrez que l’islamisme prend la suite du communisme : pourriez-vous nous expliquer cela ?

L’idéologie communiste s’est construite contre le capitalisme et contre son expression politique, la démocratie. L’idéologie islamiste également. Les orphelins du communisme, et particulièrement ceux qui en nient les crimes, ont aujourd’hui tendance à exonérer l’islamisme de ses forfaits. La haine, il n’y a pas d’autre mot, qu’éprouve une partie de ceux qui se réclament toujours du marxisme-léninisme, contre les sociétés ouvertes telle que la nôtre, qu’ils dénoncent comme exploiteuses, rejoint la haine des extrémistes religieux qui condamnent pour leur part la liberté de nos mœurs, entre autres. On se retrouve donc face à un front rouge-vert si l’on veut, comme hier il y a eu un front rouge-brun contre ces mêmes démocraties.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Thierry Wolton, Le négationnisme de gauche, Grasset, 2019, 224 pages, 18 €.

© LA NEF n°315 Juin 2019

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