RDC : le mensonge et la corruption toujours au pouvoir après les élections truquées de janvier 2019 (10/09/2019)

Sous le titre « L’affaire des 15 millions de dollars qui embarrasse le pouvoir » , cette analyse de Christophe Rigaud sur le site web « Afrikarabia »  (9 sept. 2019)

Kamerhe-Tshisekedi-2018.jpg« Depuis plusieurs semaines, les soupçons de détournement de 15 millions de dollars des caisses de l’Etat empoisonnent le climat politique congolais. Il faut dire que le sujet est d’autant plus sensible que le nouveau président Félix Tshisekedi a fait de la lutte contre la corruption son principal marqueur politique. L’affaire porte sur une somme de 100 millions de dollars versée par l’Etat aux entreprises pétrolières « pour compenser leur manque à gagner ». Sur ces 100 millions, 15% de « décote » devaient revenir au Trésor public congolais. Mais le 17 juillet dernier, un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) se penche sur la transaction et affirme que l’Etat n’a jamais vu la couleur des 15 millions de dollars, qui ont été versés sur un autre compte bancaire, contrevenant ainsi « aux dispositions légales et règlementaires régissant les finances publiques », affirme l’IGF.

Kamerhe s’enmêle

Suite à ce rapport, qui fuite sur les réseaux sociaux, comme l’essentiel des documents officiels depuis l’élection controversée de Félix Tshisekedi, les regards se tournent inévitablement sur l’omniprésent directeur de cabinet de la présidence, Vital Kamerhe. Car le 24 août, le très puissant directeur de cabinet, demande par une lettre, qui se retrouve aussi sur les réseaux sociaux (décidément !), l’arrêt de l’enquête menée par l’Inspection générale des finances sur la gestion de l’État depuis l’investiture de Félix Tshisekedi. Deux inspecteurs de l’IGF sont également auditionnés par le bureau du conseiller spécial en matière de sécurité de la présidence, François Beya. Visiblement, le contrôle de l’Inspection générale des finances dérange au plus niveau.

« Où sont passés les 15 millions ?»

Depuis le début de l’affaire, Vital Kamerhe, comme la présidence sont restés silencieux, alimentant la machine à rumeurs qui ne manque pas de s’emballer, notamment sur les réseaux sociaux, où tout le monde se demande « où sont passés les 15 millions ? » Il faudra attendre ce dimanche pour que le directeur de cabinet de la présidence décide de briser le silence et de se confier à Jeune Afrique. Pour Vital Kamerhe, l’affaire est simple : « il n’y a pas eu détournement (…), cet argent n’a pas disparu et le ministre de l’économie qui a autorité sur le comité de suivi des prix pétrolier pourra vous l’expliquer ». Le hic, c’est que le ministre des finances, tout juste nommé, n’a toujours rien dit et que Vital Kamerhe ne sait donc visiblement pas où se trouve cet argent. Seul aveu gênant du directeur de cabinet : il a bien demandé la suspension de l’audit et écrit en ce sens au ministère des finances, ce qui prouve que le courrier qui a fuité sur internet n’était pas un faux. Un aveu qui met en doute la sérénité de la présidence dans cette affaire.

Comment en est-on arrivé-là ? « L’affaire des 15 millions » résume à elle seule les 8 premiers mois de mandat de la présidence Tshisekedi, dont 7 passés sans gouvernement. Pendant ce long temps de tractations à l’infini pour tenter de composer une liste gouvernementale qui convienne à la fois à l’UDPS, à l’UNC et aux dizaines de partis composant le FCC, la présidence a dû enclencher dans la précipitation ses premières mesures d’urgence, sans passer directement par les ministères concernés. Des décisions et des décaissements d’argent ont été prises de manière peu orthodoxes, bousculant les administrations. C’est en tout cas le message que souhaite faire passer la présidence. Mais pour croire cette petite musique que tente de faire passer la présidence, il faudrait mener une enquête sérieuse et indépendante pour faire la lumière sur les 15 millions. Pour cela, pourquoi ne pas avoir laisser travailler l’IGF, visiblement capable de tracer la somme, qui aurait ensuite été retirée en plusieurs fois par des cadres du ministère de l’économie ?

Une cohabitation toxique

Mais ce que démontre surtout « l’affaire des 15 millions », c’est la lutte de pouvoir qui est en train de se jouer au sein de la nouvelle majorité CACH/FCC. Depuis les élections de décembre 2018, on retrouve aux manettes de la République démocratique du Congo de farouches ennemis, condamnés à cohabiter, alors que tout les sépare. Après la victoire surprise de Tshisekedi, les relations se tendent notamment lors du partage du pouvoir entre les deux alliés de circonstance. Les cadres de l’UDPS souffrent mal de se voir cornaquer par le très puissant Vital Kamerhe à la présidence. Le patron de l’UNC fait tout, décide de tout et a désormais l’oreille de Félix Tshisekedi. A l’UDPS, beaucoup voudrait bien l’éloigner du président et gouverner sans partage. Vital Kamerhe est également en milieu hostile avec les cadres du FCC pro-Kabila. L’ancien président congolais n’a jamais pardonné à Kamerhe, son ancien bras droit, de l’avoir trahi en partant dans l’opposition. Entre l’UDPS et le FCC, Vital Kamerhe a désormais beaucoup d’ennemis dans son entourage, surtout lorsque l’on sait que le patron de l’UNC prépare déjà la présidentielle de 2023. Avec autant d’hostilités, pas étonnant que la moindre lettre ou ordre de mission du directeur de cabinet de Félix Tshisekedi se retrouve quelques heures après sur les réseaux sociaux.

Pas d’affaire?

« L’affaire des 15 millions » montre également les limites de cette coalition/cohabitation, où chacun surveille tout le monde pour tenter de le faire trébucher ou de lui mettre des bâtons dans les roues. La guerre ouverte entre UDPS, UNC, CACH et FCC pourrait s’avérer explosive. Ce que révèle enfin cette affaire, c’est l’extrême fragilité de l’alliance qui unie Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe. Le président ne peut laisser tomber son directeur de cabinet sans le payer très cher en terme d’image, mais aussi politiquement. La coalition CACH ne peut clairement pas se passer de l’UNC, au risque de déséquilibrer son fragile rapport de force avec le FCC de Joseph Kabila, toujours en embuscade. D’un autre côté, Félix Tshisekedi doit montrer l’exemple en matière d’éthique et de lutte contre la corruption s’il veut conserver une certaine crédibilité. Il faut donc que la lumière soit rapidement faite. Ce dimanche, le président Tshisekedi avait l’occasion de s’exprimer devant les Congolais à 20h sur les ondes de la télévision nationale. En guise d’explications, les téléspectateurs ont eu droit à un clip vidéo du président, vantant ses espoirs pour un avenir meilleur, avec musique et images au ralenti, comme si la campagne électorale n’était pas terminée depuis 8 mois… et surtout comme si il n’y avait pas d’ « affaire des 15 millions ».

Pour situer la position "post-électorale" de la puissante Eglise catholique au Congo, voir ci-après l’ interview du nouvel archevêque de Kinshasa , Mgr Fridolin Ambongo:

JPSC

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