L'enjeu n'est pas seulement l'Amazonie, tout est en jeu ! (20/10/2019)

Du blog de Jeanne Smits :

Cardinal Brandmüller : le synode amazonien tente-t-il d'imposer une religion naturelle panthéiste de l’homme ? (Cela pose des questions eschatologiques…)

Voici la traduction intégrale par mes soins (d'après la traduction anglaise faite par Maike Hickson pour LifeSiteNews) d'une récente déclaration du cardinal Walter Brandmüller, l'un des deux survivants des quatre signataires des Dubia adressés au pape François à propos d'Amoris laetitia, toujours restées sans réponse.

Le cardinal accuse le synode de manipulation en vue de mettre en place une nouvelle conception de la religion, visant à l'Eglise catholique par une « religion naturelle panthéiste de l'homme », variante du modernisme du début du XXe siècle, dit-il. Et laisse entendre son effroi devant une telle apostasie qui fait penser aux « temps eschatologiques ».


De manière somme toute amusante, le cardinal en veut notamment pour preuve l'absence quasi totale du Concile Vatican II dans l'Instrumentum laboris qui se borne quasiment à citer l'assemblée d'Aparecida de 2007, au mépris bien plus large de l'ensemble de la doctrine de l'Eglise… Cela montre en tout cas qu'on n'est jamais allé aussi loin dans la promotion de la religion de l'homme.


La dernière ligne de sa déclaration fait allusion a ce qu'a dit le pape François à l'orée du synode, lorsqu'il a affirmé que l'Instrumentum Laboris était un « texte martyr », destiné à être détruit. En attendant, les Circuli minores ont clairement et majoritairement abouti à l'affirmation que l'on devait envisager l'ordination des viri probati et la possibilité d'un ministère ordonné pour les femmes.

Voici donc ma traduction intégrale non officielle de la déclaration du cardinal Brandmüller. – J.S.

Ce n’est pas l’Amazonie qui est en jeu : tout est en jeu.

Par le Cardinal Walter Brandmüller
 
On commettrait une erreur fatale à penser que les promoteurs de l’actuel Synode des évêques ne se préoccupent vraiment que du bien-être des tribus indigènes des forêts amazoniennes. De toute évidence, Ils sont plutôt instrumentalisés au service d’un programme qui concerne l’Église universelle et qui plonge en grande partie ses racines dans le XIXe siècle.
Ce qui est en jeu ici, c’est la foi catholique, ni plus ni moins, la foi judéo-chrétienne pure et simple. Mais il faut d’abord se poser ici cette question décisive et fondamentale : « Qu’est-ce donc que la religion ? »
 
On ne conteste guère que la « religion » constitue un élément essentiel de l’existence humaine. Cependant, la signification de cela n’est pas du tout claire – ou connue par le grand nombre. Il existe même des réponses contradictoires à cette question. Essentiellement, la question est de savoir si la religion est le résultat de tentatives de l’homme en vue de préserver et de gérer sa propre existence – c’est-à-dire, si elle est un produit humain et culturel – ou bien, si elle doit être comprise autrement.
 
Dans le premier cas, la religion trouve sa source dans la réflexion sur l’expérience des profondeurs existentielles de la personne, c’est-à-dire de sa finalité. Mais alors la religion n’est rien d’autre que la rencontre de l’homme avec lui-même. Il s’agirait alors aussi de la conséquence du culte de la raison tel qu’il a été promu par les Lumières. Apparaît dès lors – souvenons-nous de Rousseau – l’idéal du « bon sauvage », par opposition au penseur autonome européen éclairé.
 
La religion en tant que rencontre avec soi-même propose une conception de la religion qui a en effet des conséquences considérables, dans la mesure où l’évolution de la vie d’une personne peut de soi entraîner des changements, voire des contradictions, quant à ces expériences "religieuses". C’est également ici qu’intervient la notion d’évolution, ce qui signifie que, parallèlement à la progression du développement humain, il se produit aussi un développement de la conscience (de soi) religieuse. Dès lors, les nouvelles idées changeantes peuvent alors dépasser et remplacer celles qui avaient été acquises précédemment. Ainsi, cela peut conduire à un pas en arrière – mais celui-ci sera considéré comme un progrès – un recul par rapport à la culture de l’Europe, comme dans le cas de l’Amazonie.
 
L’histoire de la religion judéo-chrétienne est en fort contraste avec cette conception de la religion comme autoréalisation de l’homme.
 
Quand juifs et chrétiens parlent de la religion – avec ses formes d’expression propres quant à la doctrine, la morale et le culte – ils désignent la manière dont l’homme répond à une réalité extra ou supra-mondaine qui lui vient de l’extérieur. En langage clair, il s’agit de la réponse de l’homme à la révélation de l’auto-communication du Créateur à Sa créature, l’homme. C’est un véritable événement dialogique entre Dieu et l’homme.
 
Dieu parle – sous quelque forme que ce soit – et l’homme donne une réponse. C’est un dialogue. La conception religieuse du Modernisme, au contraire, revient à un monologue : l’homme reste seul avec lui-même.
 
Cet événement dialogique a commencé par l’appel de Dieu à l’homme, comme en témoigne l’histoire du peuple d’Israël.
 
Le discours de Dieu à son peuple élu s’est déroulé au cours d’une histoire mouvementée qui, à chaque étape, a conduit à un niveau supérieur. La Lettre aux Hébreux commence par ces mots : « Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils. » L’Évangile de saint Jean appelle ce Fils le Verbe incarné du Dieu éternel. Il est et Il apporte la Révélation finale, qui peut être trouvée sous forme écrite dans les livres bibliques et dans la tradition orale authentique de la communauté des disciples choisis par Jésus-Christ, d’où l’Église est issue. Tout cela s’est produit une fois pour toutes et vaut universellement, qu’il s’agisse de l’espace ou du temps.
 
Mais cela signifie, en ce qui concerne notre problème concret du « Synode sur l’Amazonie », que les faits décrits ci-dessus excluent une conception de la religion soumise à des limites géographiques ou dans le temps. Mais cela signifie aussi qu’une Église amazonienne est impensable d’un point de vue théologique. C’est l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique (et donc Romaine) à qui la transmission de l’Évangile et la transmission de la Grâce du Christ à tous les peuples de tous les temps ont été confiées, et à laquelle est promise la lumière et la puissance de l’Esprit Saint pour l’accomplissement de sa mission.
 
L’Église s’acquitte de cette mission – avec l’aide de l’Esprit Saint – en accomplissant son ministère magistériel et pastoral à travers l’histoire.
 
Cela étant clairement posé d’emblée, il convient maintenant de relever un constat presque alarmant. L’Instrumentum Laboris du Synode ne contient – hormis cinq citations plutôt marginales – aucune référence aux Conciles et au Magistère pontifical. L’absence totale de Vatican II est particulièrement spectaculaire (à l’exception de deux références plutôt marginales). Le fait que des documents aussi importants et pertinents sur le plan thématique que le Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad Gentes – sans même parler des Constitutions majeures sur la liturgie, la Révélation et l’Église – ne soient à aucun moment cités, est tout simplement incompréhensible. Il en va de même pour le Magistère post-conciliaire et les encycliques importantes.
 
Cette méconnaissance de la tradition doctrinale de l’Église – et le fait que, à sa place, on cite presque exclusivement le Synode latino-américain d’Aparecida de l’année 2007 – ne peut être comprise que comme une rupture spectaculaire avec l’histoire antérieure. De plus, la quasi absolutisation de cette assemblée d’Aparecida soulève aussi la question de la compréhension latino-américaine de la Communio ecclésiale au niveau universel.
 
Considérons enfin, au passage, une contradiction ouverte dans l’Instrumentum Laboris par rapport au Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad Gentes. Ce décret stipule (n° 12) que l’Église ne veut en aucun cas (nullo modo !) s’immiscer dans la politique (c’est-à-dire la politique des pays de mission) et ne revendique donc aucune autorité matérielle. Il s’agit là d’une affirmation claire d’un document conciliaire qui, cependant, est diamétralement contredite par une grande partie de l’Instrumentum Laboris.
 
Bref, les auteurs de l’Instrumentum Laboris ignorent le Concile Vatican II et – comme mentionné plus haut – tous les documents du Magistère post-conciliaire qui interprètent le Concile. Mais cela constitue – comme cela a déjà été mentionné également – une rupture avec la tradition dogmatique. Et en fait aussi avec l’universalité de l’Église. Le fait que cette rupture soit, pour ainsi dire, mise en œuvre de manière « sournoise », c’est-à-dire de manière cachée et secrète, est d’autant plus inquiétant.
 
La méthode pratiquée ici, cependant, suit le modèle d’Amoris Laetitia"-, où la tentative de faire disparaître la doctrine de l’Église se trouve dans la note 351, dont on a tant parlé.
 
En considérant ce qui a été dit, il est peut-être devenu évident que les différends au sujet du Synode de l’Amazonie ne concernent que très superficiellement la population indigène de l’Amazonie, qui est elle-même très peu nombreuse.
 
C’est plutôt cette question, effrayante, qui surgit : celle de savoir si les protagonistes de ce synode ne sont pas davantage préoccupés par la tentative secrète de remplacer la religion comme réponse de l’homme à l’appel de son Créateur par une religion naturelle panthéiste de l’homme, c’est-à-dire par une nouvelle variante du modernisme du début du XXe siècle. Il est difficile de ne pas penser aux textes eschatologiques du Nouveau Testament !
 
Il appartient maintenant aux évêques réunis du Synode sur l’Amazonie – et en dernière analyse au Pape François lui-même – de décider si une telle rupture avec la tradition constitutive de l’Église doit survenir malgré les conséquences inévitables et dramatiques.
 
Les remarques du Pape François sur le sort attendu de l’Instrumentum Laboris – peuvent-elles éveiller l’espoir ?

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