Les internes sont en première ligne. Si l’avortement est un acte banal par sa fréquence (224 300 avortements, dont la moitié par acte chirurgical – pour 758 000 naissances en 2018), « il reste une tâche ingrate dont on se débarrasse bien volontiers sur d’autres », lâche Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France. « On ne veut pas embêter les titulaires avec ces opérations glauques. Ce n’est facile pour personne. Certains ont la nausée les premières fois », explique Gilles Grangé, gynécologue à la maternité de Port-Royal. « Il n’y a quasiment que les internes qui font les IVG par aspiration, résume Adèle. Pour les titulaires, ce n’est ni technique, ni noble et cela prend du temps sur la “belle chirurgie”. »

Les étudiantes sages-femmes sont elles aussi concernées. Depuis 2016, elles font partie des soignants qui peuvent délivrer une pilule abortive, jusqu’à sept semaines de grossesse. Elles participent également aux accouchements des femmes qui demandent des interruptions médicales de grossesse (IMG), qui peuvent intervenir jusqu’au terme. Mathilde raconte : « à chaque stage, j’arrivais le matin la boule au ventre de peur que ça me tombe dessus. J’ai réussi à dire que je ne voulais pas délivrer la pilule abortive aux patientes, éviter les IMG de bébés trisomiques mais je n’ai pas pu échapper à tout. » D’autant, témoigne-t-elle, qu’il n’est pas simple de savoir où commence l’implication dans un acte abortif. « Quand on fait une péridurale avant une IMG, est-ce qu’on y participe ? »

Quelles frontières ?

Où se situe la frontière ? Pour les soignants, les réponses varient. Pour certains, l’intentionnalité de donner la mort ne se trouve jamais du côté du professionnel mais bien de la patiente qui sollicite l’intervention. « Il me semble qu’il peut y avoir de l’hypocrisie de la part de ceux qui donnent une bonne adresse de confrère et détournent le regard ! On est tous impliqués d’une manière ou d’une autre », relate Gilles Grangé, gynécologue catholique. « Avant mes études, je me disais que jamais je ne participerais à un avortement. Et puis j’ai vu la détresse de ces femmes et j’ai changé d’avis. Notre rôle de chrétien, c’est de les accompagner », témoigne Valentine, une étudiante sage-femme, passée par un stage au planning familial.

La plupart se sentent pourtant complices d’un péché mortel en apportant à une patiente une pilule abortive ou en pratiquant une IVG chirurgicale. Entre les deux, beaucoup se sentent comme Mathilde « les petits maillons d’une chaîne de mort ». « Les progrès constants de la technique ont et vont nécessairement conduire les médecins catholiques à être confrontés à de plus en plus de tragédies éthiques », observe le père Jean-Marie Onfray, chargé des questions de santé à la Conférence des évêques de France. « Et si certains souhaitent accompagner les patients dans ces drames, ils vont devoir assumer quelques compromis. Je me garde bien de les juger. »