GPA : refuser ce modèle de société qui nous mène vers une rupture anthropologique majeure (13/01/2020)

Une opinion de Régine Hazée, Maître-Assistante en Droit à la Haute Ecole Galilée (Bruxelles) parue sur la Libre de ce 13 janvier, pp. 38-39 :

La GPA et le cheval de Troie

La gestation pour autrui pose des problèmes éthiques et juridiques fondamentaux. Le législateur européen doit urgemment refuser ce modèle de société qui nous mène vers une rupture anthropologique majeure.

Il est parfois des vérités qui avancent masquées pour s’imposer. La normalisation progressive de la gestation pour autrui (GPA) dans le paysage juridique européen compte parmi celles-là. De pratique sociale encore marginale, la GPA s’est muée, lentement mais sûrement, en réalité juridique incontournable, quoi qu’il en coûte à ses contempteurs.

Le législateur européen ne saurait ignorer plus longtemps l’impérieuse nécessité d’établir un cadre clair, traduisant la recherche d’équilibre entre l’interdiction de la GPA, d’une part, et la défense des intérêts des enfants conçus selon ce mode d’engendrement d’autre part.

Les arguments des pro-GPA

Si ceux-ci ne doivent pas être discriminés au regard du mode de procréation dont ils sont issus, encore faut-il admettre que la maternité de substitution pose des problèmes éthiques et juridiques fondamentaux.

Depuis vingt ans, les lobbyistes pro-GPA s’attellent à lutter sur deux fronts simultanément Pour les uns il s’agit de réclamer la légalisation de la GPA en droit interne au motif que lorsqu’elle serait "éthique", rien ne devrait contrarier la consécration du droit à l’enfant. Pour les autres, il est question d’exiger la reconnaissance des actes d’état civil dressés à l’étranger à la suite de "conventions de mère porteuse" désignant les commanditaires comme auteurs de l’enfant.

L’argumentaire développé à l’appui de ces revendications est bien connu. On n’a pas fini de questionner les impensés sur lesquels il repose. Tantôt on convoquera le mythe de la femme naturellement généreuse, qui fait le don d’elle-même de manière altruiste et désintéressée. Tantôt on s’égarera dans la fable du consentement, conduisant à légitimer l’asservissement volontaire des femmes concernées. Tantôt encore, on n’hésitera pas à justifier la politique du fait accompli, en instrumentalisant sans scrupule la notion de l’intérêt de l’enfant.

Un tournant historique

C’est dans ce contexte qu’ont été prononcés le 18 décembre dernier, par la Cour de cassation française, deux arrêts marquant un tournant historique dans la saga judiciaire des GPA transfrontières.

À la suite d’un arrêt rendu dans l’affaire "Mennesson" le 4 octobre 2019, la Cour a validé, à la demande de deux couples d’hommes - l’un français, l’autre franco-belge -, la transcription intégrale dans les registres de l’état civil français des actes de naissance d’enfants nés aux USA (Californie et Nevada) de mère porteuse, dès lors qu’il apparaissait que lesdits actes avaient été dressés conformément aux dispositions du droit local. En dépit de la prohibition stricte édictée par le droit français en 1994 et 2011, la Cour valide l’entérinement d’une GPA réalisée à l’étranger, pourvu que l’acte soit régulier sur le plan formel, exempt de fraude et conforme au droit de l’État dans lequel il a été établi. Cette jurisprudence française consacre donc l’établissement d’une filiation fondée sur la seule intention, sans contrôle judiciaire de l’intérêt de l’enfant, la légalité de l’acte d’état civil étranger semblant constituer le seul critère pertinent.

Sur la mauvaise pente

Il n’aura fallu que quelques semaines pour que s’opère un curieux glissement qui, si on n’y prend garde, aura tôt fait d’achever de vider l’interdiction de la GPA de sa substance.

Comme elle l’a toutefois rappelé en décembre dernier, la Cour de Strasbourg n’impose ni obligation de transcription intégrale, ni automatisme. Il appartient aux États signataires de la CEDH (NdlR : Convention européenne des droits de l’homme) de déterminer la manière dont le lien de filiation entre l’enfant et le parent d’intention est susceptible d’être reconnu. Le lien peut ainsi être établi par une autre voie que la transcription intégrale de l’acte étranger : l’adoption par le parent non biologique est considérée comme une voie parfaitement acceptable au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle seule permet un contrôle juridictionnel, in concreto, de cet intérêt. C’est du reste la voie qu’a choisie la Belgique. Pourvu qu’elle s’y tienne.

On le voit bien, ce qui se joue là est fondamental. Au-delà de la technique juridique, on cible un point de cristallisation d’enjeux éthiques et anthropologiques majeurs. C’est qu’il s’agit de préférer la voie la plus humainement acceptable, c’est-à-dire celle de l’adoption, en affirmant avec vigueur le refus d’avaliser des transactions menées au mépris de la loi, aux termes desquelles les mères génétique et gestationnelle sont effacées. Sitôt leur office rempli (et leurs "défraiements" respectifs réglés), celles-ci disparaissent purement et simplement. La réalité biologique et psychique de la maternité est occultée, niée tandis que, dans le même temps, la consécration de la paternité biologique se trouve consolidée. Est-ce là l’avènement d’une filiation intentionnelle, privatisée, contractualisée, supplantant la maternité biologique, de plus en plus incertaine ?

Le corps comme champ contractuel

Faut-il se résigner face à cette vague de fond libérale, mêlant utilitarisme et consumérisme ? Certes non ! Plus que jamais, nous sommes à la croisée des chemins, et sans doute pas très éloignés d’une rupture anthropologique majeure. Cette fameuse ère de l’homme augmenté, de l’ectogenèse, adviendra-t-elle un jour ? Est-elle inéluctable ? Il faut espérer que non. Cependant, mal nommer les choses, jugeait Camus, c’est ajouter au malheur du monde. Que dire de la mère, "invisibilisée", dont le corps devient un nouveau champ contractuel à investir ? Que dire de l’enfant-objet du contrat et si peu sujet de droit, que dire encore des droits de l’une et de l’autre, sinon qu’ils se consumeront dans une humanité assurément diminuée, si on n’y prend garde ? Que dire de ces GPA mondialisées à l’instar des échanges marchands dont elles constituent souvent un avatar ? Délaisser aux législateurs ou aux juges nationaux ces questions cruciales relève du non-sens. Il appartient au législateur européen, tant qu’il en est encore temps, de refuser ce modèle de société et de privilégier les techniques juridiques propres à restaurer un peu d’humain dans un monde qui en manque cruellement.

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